Seule voie d’avenir : que le peuple reprenne la main

jeudi 13 novembre 2014.
 

Seuls des choix économiques, sociaux, démocratiques clairs, porteurs de justice sociale, d’égalité et de solidarité peuvent tirer d’affaire les populations et le pays. Bref, des choix de gauche ! C’est l’heure de les faire entendre. Une première occasion en sera donnée le 15 novembre avec la marche contre l’austérité. Assurons-en le succès !

Paraphrasant sans doute Bertolt Brecht, le premier ministre est persuadé que dès lors que les militants socialistes, leur parti et la gauche de transformation résistent à la dérive droitière du gouvernement, il faut les dissoudre. Pourtant, sa légitimité pour le faire est nulle, lui qui n’a recueilli que 5 % des suffrages de la primaire socialiste. La place que lui a octroyée le président de la République dans les institutions, à ses yeux, l’autorise à imposer aujourd’hui sa loi à son propre parti, en pulvérisant, du même coup, la gauche en son entier.

Le débat qui secoue le Parti socialiste et une grande partie de la gauche depuis l’été dernier n’est certes pas nouveau. Le même a eu lieu lorsque, en 1983, François Mitterrand et Laurent Fabius, nommé premier ministre, entamèrent ce qu’on baptisa alors le tournant de « la rigueur ». Les ministres communistes refusèrent de cautionner de leur présence ce tournant. En 1988, Michel Rocard et François Mitterrand construisirent un gouvernement ouvert à la droite dite centriste. En 2005, lors du débat sur le traité constitutionnel, le Parti socialiste et ses électeurs se divisèrent en deux parts presque égales. Ce que nous vivons s’inscrit dans le prolongement de ces rappels et à la fois s’en distingue parce que la période n’est plus la même. Ce qui la caractérise aujourd’hui, c’est tout autant un recul des idées progressistes, un affaiblissement des mouvements sociaux et de la gauche de transformation sociale, alors que la crise du système capitaliste mondialisé ne cesse de s’approfondir et de s’amplifier, ce qui devrait constituer un formidable appel au dépassement du système. C’est le contraire, certes non sans contradictions, qui se produit.

Manuel Valls en conclut qu’il peut en être la béquille. Ses déclarations récentes sont d’une grande violence contre toutes les militantes et tous les militants de gauche. « Il faut en finir avec la gauche passéiste », s’étranglet- il, ajoutant : « Celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. » L’expression est d’une terrible clarté et ne doit pas être prise à la légère. En finir ! Pas besoin pour lui de congrès pour passer de Jean Jaurès à « touche pas au capital ». Dans ce texte, relu et approuvé, avant publication, par le chef de l’État, le premier ministre préconise l’ouverture à la droite bayrouiste, la même qui soutient Alain Juppé dans la course à l’investiture de l’UMP pour l’élection présidentielle. Ce dernier venant de s’inspirer de l’extrême droite pour mettre en cause l’aide médicale d’État !

L’entrée en lice de Martine Aubry à ce moment précis ne doit sans doute rien au hasard. Elle intervient alors que plusieurs ministres ont quitté le gouvernement, en désaccord avec les choix économiques mis en oeuvre, et qu’une quarantaine de députés socialistes refusent de voter la partie recettes du budget. Une phase nouvelle commence. Le Parti socialiste et de larges fractions de la gauche entrent dans une nouvelle zone de tempête, marquée par l’expression d’électeurs de gauche et écologistes qui se préparent à sanctionner de nouveau le refus du pouvoir de prendre des décisions en faveur du monde du travail, de la création et des retraités, conçues comme un des moyens de sortir le pays du marasme économique et social. Pour une part importante, les dénonciations de Mar tine Aubry et d’autres dirigeants et élus socialistes rejoignent celles que les forces du Front de gauche ont exprimées depuis très longtemps jusqu’à les porter dans plusieurs marches populaires. Certaines des propositions des uns et des autres pourraient faire l’objet de démarches parlementaires, ce qui ne manquerait pas de constituer des raisons d’espérer, de se rassembler et de se mobiliser pour celles et ceux qui veulent que ça change. Ce n’est que leur mise en mouvement qui pourra élargir les potentialités d’un rassemblement d’un nouveau type pour un projet de nouvelle République sociale, solidaire, laïque et écologique. Ce ressaisissement du mouvement populaire est d’autant plus urgent qu’après la promesse de « l’inversion de la courbe du chômage » voici que le ministre du Travail reconnaît être en échec et déclare, penaud, « qu’on n’y pourrait pas grand-chose ». Affligeant !

Certes, nous savons que, tels qu’ils se déroulent, ces nouveaux épisodes de la vie politique suscitent beaucoup de doutes et de méfiances tant ils peuvent sembler très éloignés de la vie réelle de chacun et tout devoir aux jeux politiciens. Pourtant, ils nous concernent tous au premier chef. Dans un monde labouré à la fois par la puissance du capitalisme et ses fortes contradictions, de nouveaux et immenses enjeux pour l’avenir de notre civilisation sont posés. Ils s’accompagnent de tensions, de guerres, de multiples bouleversements, sociaux, culturels, numériques, écologiques, démographiques, monétaires qui travaillent de manière contradictoire les sociétés et les consciences. Il s’agit de savoir si les forces progressistes de gauche et celles de l’écologie politique sont capables de proposer un projet totalement nouveau de transformation sociale et d’émancipation humaine, adapté à notre temps.

Cette ambition se doit d’irriguer tout ce que les progressistes entreprennent. Il en est ainsi des mille rencontres pour une alternative à l’austérité et des actions unitaires pour l’emploi, le pouvoir d’achat, les services publics, la défense des collectivités territoriales auxquelles invite le Parti communiste. Du mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon pour changer de République à partir d’un processus constituant englobant l’ensemble des enjeux auxquels est confrontée la société. De la nouvelle marche proposée le 15 novembre prochain par le Collectif d’alternative à l’austérité (3A) regroupant des personnalités, des syndicats, des associations, les forces du Front de gauche, des écologistes et désormais des socialistes. D’autres initiatives, d’autres débats, d’autres actions aideront à ce que nos concitoyens prennent conscience de la force qu’ils représentent, jusqu’à la rendre irrésistible. Leur indispensable prise de parole et leurs interventions unitaires modifieront progressivement le climat ambiant que tentent d’imposer ceux qui dominent le débat public dans une incessante fuite en avant droitière et réactionnaire.

Ne nous y trompons pas ! L’affaire est sérieuse. Une course de vitesse est engagée entre ceux qui, au pouvoir aujourd’hui et dans les cercles de la finance internationale, veulent liquider la gauche jusqu’à effacer son nom pour un scénario à l’italienne qui l’a vu sombrer pour devenir le « parti démocrate », cher à Manuel Valls. Ou qui la voit en Allemagne préserver les intérêts du capital dans une grande coalition entre la CDU de Mme Merkel et les socialistes. C’est du reste ce qui vient de se passer au Parlement européen où une coalition des droites et du Parti socialiste européen a choisi ensemble une Commission européenne dont les peuples verront très vite qu’ils n’en ont rien de bon à attendre. Les projets d’unité nationale développés par des responsables gouvernementaux et de l’UMP sont à cette image. Leur objectif est de s’assurer une base politique suffisamment large pour rendre possible, en France, la mise en oeuvre d’un « big-bang social » comme cela se murmure de plus en plus, avec le projet de « contrat unique de travail », les jobs act à l’italienne, les assurances privées se substituant à la Sécurité sociale, le Code du travail vidé de l’essentiel des droits qu’il préserve encore. Tout cela pour accompagner de plus grands transferts de richesses vers le capital.

Le président de la République laisse faire et, comme le dit le secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis : « Il n’a pas dit son dernier mot. » Autrement dit, le monarque élyséen reste maître des horloges et maître du jeu... politicien. Si cela consiste, à la manière de Machiavel, à fomenter de nouveaux coups comme une dissolution de l’Assemblée, un référendum ou toute autre manoeuvre, en s’appuyant sur la crise politique et peut-être sur une crise institutionnelle, pour tenter de se sauver du désastre annoncé, ce serait un très mauvais service à rendre au pays. Aucune combine ou combinaison politicienne, même ce fameux projet de gouvernement d’unité nationale, ne pourront purger la multiplicité des crises actuelles qui ne cessent de donner du grain à moudre à une toujours plus dangereuse extrême droite.

Seuls des choix économiques, sociaux, démocratiques clairs, porteurs de justice sociale, d’égalité et de solidarité peuvent tirer d’affaire les populations et le pays. Des choix inédits, de résistance à l’Europe de l’argent qui s’accompagnent des transformations institutionnelles vers une VIe République. Bref, des choix de gauche ! C’est l’heure de les faire entendre.

Une première occasion en sera donnée le 15 novembre avec la marche contre l’austérité. Assurons-en le succès !

Patrick Le Hyaric, L’Humanité dimanche


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