Grenoble peut être le point de départ d’une nouvelle étape du Front de Gauche

dimanche 23 novembre 2014.
 

La semaine passée j’étais à Grenoble.

Le dimanche, je suis allé enfin jusqu’à la Bastille qui surplombe la ville. Je voulais voir ce paysage que j’ai manqué à cinq reprises depuis que les remue-méninges du Parti de Gauche se tiennent dans cette ville. Cinq années de suite, il y a eu une fausse bonne raison de n’avoir plus de temps disponible pour cette promenade édifiante. Car on devine combien la hauteur permet de voir dans un grand souffle l’organisation de la plaine, des montagnes et des deux rivières. Comme toujours dans ce cas, la splendeur de la vue percole dans tout le corps et l’esprit. C’est comme une « limpia », l’exercice à vocation purificatrice des chamans des Andes. En tout cas, après ce regard porté sur ce tableau, on ne sait pourquoi, on se sent mieux qu’avant. Grenoble est bien posée de longue date comme un entre-deux mondes. Natif de Tanger entre Méditerranée et Atlantique, comme l’est aussi mon caractère, je repère ces sortes de lieux à des signes invisibles comme un oiseau migrateur connaît son chemin dans l’air. Les deux cours d’eau ont fait la loi ici au fil du temps long. Et si on a dompté leur croisement tout le paysage, reste un compromis avec l’eau. Elle affleure presque du sol partout où, pendant dix mille ans elle couvrait encore tout. La voie romaine savait cela et se tenait écartée de la zone restée inondable après le retrait du lac, au temps des marais. Je commence toujours par regarder ce qu’on fait les romains. Où est le « Cardo maximus » dans Grenoble, l’axe central fixé par l’arpenteur de l’Empire ? C’est la grande rue. Le plan n’a pas bougé pendant mille ans et la ville est restée sagement dans la muraille du troisième siècle. Je me demande comment s’est manifestée en ce temps-là cette constante tension politique qui semble couler du paysage. Je la sens comme une sorte de résurgence de l’énergie dissipée par le surgissement des Alpes, l’explosion du sous-sol calcaire en plateaux tout fripés et les fluides tumultueux des deux rivières se choquant l’une à l’autre pendant des millénaires. On me racontera ça, je suppose, un jour où l’autre.

La ville a d’abord été gauloise, bien sûr, car le lieu est habité depuis le temps le temps profond le plus abyssal, celui des silex taillés et des grottes en surplomb. Je suis stupéfait d’apprendre l’existence de cette église mérovingienne où l’on voit représentés des palmiers et des animaux du Moyen-Orient. A ce compte, la ville sent plus fort l’aventure que son air placide ne le laisse croire. D’ailleurs, la Grande Révolution a formellement commencé ici, un an avant l’heure parisienne et nationale. J’humais donc l’air, cherchant les fumets des remuements. Ils marquent la piste qui conduit jusqu’à Dubedout, gérant l’avant-garde de la gauche post soixante-huit et ensuite jusqu’à Eric Piolle, Elisa Martin et mon équipe d’amis. Ceux-là, depuis mars dernier, annoncent selon moi le futur de la gauche qui viendra après la nuit de la bureaucratie solférinienne.

Sous l’ancien régime, l’évêché trônait à l’est et le palais delphinal à l’ouest. Les consuls s’installèrent à mi-chemin, sur le centre-ville actuel. Le peuple ici, tel qu’il s’est défini au fil des âges, ne s’est jamais tenu sous les sujétions prévues pour lui. S’il y a consenti, c’est toujours comme si c’était négocié davantage que subi. La journée des tuiles se passe en 1788. Le parlement local se tourne en rébellion contre le roi qui envoie ses troupes pour rétablir l’obéissance. Le peuple harcèle les troupes royales en leur jetant depuis les toits les tuiles qui s’y trouvent sous la main. Le Cazeneuve de l’époque fit tirer. Sans parvenir à terroriser. C’est là une grande sagesse politique du grand nombre. Car partout en France ces Parlements étaient des antres réactionnaires défendant les refus devant l’impôt des puissants du moment. Reste qu’il fallait s’opposer et ruiner le pouvoir du monarque sachant qu’en cas de victoire sur celui-ci, la tourmente emporterait les autres privilèges ! Et c’est bien ce qui se passa. Une fois entré en rébellion, le Parlement se réunit dans une salle mise à sa disposition par un puissant notable bourgeois, dont un lointain descendant sera le président de la troisième république Casimir Perier. On vérifie ici que le temps long a toujours eu sa part entre le hasard et la nécessité. Une fois réuni, le Parlement proclama la confusion des ordres, une majorité du bas clergé et une grosse proportion de la noblesse locale se fondant avec les représentants du Tiers Etats. Un an avant la même scène à Paris, libérant l’énergie de la Révolution qui a ouvert l’ère moderne. C’est la même force préfiguratrice qui crée le maquis du Vercors, véritable et seule armée de plus de 4000 personnes en résistance constituée en pleine occupation. Les allemands eurent les plus grandes peine à la détruire en dépit de l’énorme différence de moyens mis en œuvre. Bref, Grenoble est davantage qu’une ville. C’est un cratère essentiel du volcan populaire français. Les activités souterraines et informelles de la tension politique d’une époque se libèrent ici combien davantage qu’ailleurs !

Conformément aux lois du temps long et des hasards bien ordonnés, l’élection municipale de l’an passé a ouvert la brèche par où va se constituer la nouvelle période de notre camp. Le deuxième tour avait montré comment se passent les choses quand elles le doivent. Quand ils furent convaincus que les nôtres incarnaient le vote utile du second tour, ce fut une marée qui déferla depuis les quartiers ou régnaient l’absentéisme. Tout fut emporté : la droite autant que la coalition du PS et de ses commensaux. L’onde de choc de la déroute de nos adversaires de cette séquence n’a pas fini de travailler le terrain. L’émergence des nôtres a reconstruit de fond en comble le paysage. Je me réjouis de savoir que la direction locale du PCF est en pleine restructuration. Il le fallait après la déplorable aventure qui l’a entrainé à nous combattre de bout en bout et même à se maintenir au deuxième tour contre notre liste pourtant arrivée en tête. Sur la base des nouvelles orientations du PCF affichées en Convention, la grande convergence sans ambiguïté à laquelle nous travaillons depuis des mois est désormais possible localement, me semble-t-il. La logique d’élargissement du Front de Gauche sur la ligne de l’opposition sans ambiguïté au gouvernement est à portée de main. Je crois que Grenoble peut en être le point de départ une nouvelle fois. Je dis à nos amis de la majorité municipale qu’ils ont une responsabilité particulière. Elle leur fait devoir. Je sais très bien que c’est plus facile à dire qu’à faire. Car j’ai bien vu sur place mes amis dévorés à plein temps par l’action municipale, affrontant par-dessus le marché les traquenards que tendent les revanchards socialistes et leurs divers suppôts locaux, confits de haine et de rancœurs après avoir perdus leurs prébendes. Ici comme ailleurs les équipes municipales sont aussi confrontées au coup de rabot sur les finances publiques imposé par Berlin et Bruxelles via Hollande et Valls.

J’ai vu sur place l’effort réalisé pour constituer des assemblées citoyennes sur les thèmes municipaux. Je veux dire qu’on m’en a largement parlé. L’expérience ne manque donc pas, ni la légitimité à en parler. J’ai produit ici même ce que le Parti de Gauche pense sur cette forme d’organisation pour construire l’action dans l’avenir. Dès lors, nous serions à la disposition des Grenoblois pour relayer ce qu’ils nous demanderaient de faire. Car le temps est venu de passer aux actes. Leur autorité morale est grande à cet instant de désarroi généralisé. Nous devons impérativement entrer dans la fondation d’un nouveau cycle.


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