Front national : discours social et capitalisme autoritaire

mardi 2 décembre 2014.
Source : Le Monde
 

- A) À rebours du discours « social », l’austérité municipale version FN (L’Humanité)

- B) Front national : derrière l’unité affichée, des luttes intestines (Le Monde)

Front National : l’insulte aux Lyonnais dans la ville où Jean Moulin fut torturé (Alexis Corbière)

Au FN rien ne change... (Magali Escot)

Marine Le Pen photographiée entre deux néo-nazis

Front National, service d’ordre, barbouzeries et opérations armées

24 décembre 2006 Karim Zaiter, tué par un militant du Front National ?

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A) À rebours du discours « social », l’austérité municipale version FN (L’Humanité)

La stratégie nationale du parti d’extrême droite impulsée par sa présidente, mélange d’exaltation de l’autorité, d’une France réinscrite dans un roman national fantasmé et de détournement d’un vocabulaire de gauche à fin de brouillage idéologique, a été à nouveau validée par les militants.

La reprise, hier matin sur France Culture, de l’expression marxiste « armée de réserve du capitalisme » par le vice-président du parti, Florian Philippot, en est une preuve, notamment parce qu’il l’employait à propos… de l’immigration, ce « projet du grand patronat », dénonce-t-il, qui « tire vers le bas les salaires ». Pour draguer les classes populaires qui subissent la crise de plein fouet, le Front national organise la concurrence entre pauvres et moins pauvres, entre travailleurs français et immigrés, sans remettre en cause la domination du capital sur la vie quotidienne des « oubliés » qu’il prétend défendre.

La promotion des «  nouveaux visages  » du FN, élus lors des dernières municipales, est devenue un élément incontournable de la communication du parti. Il a d’abord fallu faire oublier la gestion calamiteuse des années 1995-2001, sur laquelle les journalistes n’interrogent plus que rarement les lepénistes, puis minimiser ou ignorer les erreurs grossières dont sont coutumiers les élus locaux. Car rien ne doit venir entraver la marche au pouvoir de Marine Le Pen, « seul candidat (sic) susceptible de gagner la prochaine élection présidentielle », selon son conseiller Bertrand Dutheil de La Rochère. Sans attendre la campagne présidentielle de 2017, l’Humanité s’est penchée sur les politiques frontistes menées sur le terrain local. Qu’ils ne soient « pas prêts à gouverner », comme le dénoncent leurs adversaires, ou que leur gestion politique les amène à renier une grande partie de leurs promesses électorales, au premier rang desquelles la lutte contre l’austérité, les cadres du FN contredisent au quotidien l’affichage «  social  » du parti. Derrière les vitrines qui servent la communication du parti, du Nord au Sud, à Fréjus, Beaucaire, Cogolin, Mantes-la-Ville, Villers-Cotterêts, etc., se lisent d’autres orientations, antisociales et austéritaires.

De la gestion frontiste dans les villes conquises en mars dernier, on n’a retenu que l’écume  : «  rétablissement du porc dans les cantines  », d’où il n’avait pas disparu, à Camaret-sur-Aigues (Vaucluse), interdiction de danses orientales à Hayange (Moselle), baptême d’un parking au nom de l’antisémite Maurice Barrès à Cogolin (Var), embauche de cadres «  identitaires  » à Béziers (Hérault) ou Beaucaire (Gard), refus de commémorer l’abolition de l’esclavage à Villers-Cotterêts (Aisne). Mais c’est dans les domaines du social et des finances locales que se lit la cohérence programmatique du FN, à rebours de l’image pseudo-sociale cultivée publiquement.

Les centres sociaux 
et les associations au pain sec

Premières victimes des mairies frontistes ou du Rassemblement bleu Marine  : les centres sociaux. Maire du 7e secteur de Marseille, le frontiste Stéphane Ravier a fait voter dès juin l’arrêt des subventions au centre social. Tout comme à Fréjus (Var), où le sénateur maire David Rachline a coupé celles du «  centre socialiste  » du quartier populaire de la Villeneuve, qu’il accusait sur Twitter de «  détournement d’argent public  ». Celui de la Gabelle, seul accès public à l’informatique pour les démarches administratives, la recherche d’emploi, etc., a vu la sienne gravement amputée. Même politique à l’œuvre à Béziers, où le maire, Robert Ménard, revendique le soutien du FN. Le parti l’a inclus dans son document «  Communes Front national, promesses tenues… Ce que les médias ne vous diront pas  ». Ici, la réduction du budget des centres sociaux atteint les 20 %, ciblant prioritairement le quartier défavorisé à forte population d’origine immigrée de la Devèze. Mais ces décisions, catastrophiques pour le lien social et la solidarité, ne sont pas les seuls champs d’expérimentation ouverts par l’extrême droite municipale. La gestion locale du tissu associatif participe d’une vision utilitariste développée par l’extrême droite. À la rubrique «  lutter contre les gaspillages et les privilèges  » (sic), le document «  Promesses tenues  » du RBM préconise des «  réévaluations (des subventions aux associations – NDLR) en fonction du mérite  ».

À Beaucaire, le maire, Julien Sanchez, traduisait, en début de mandat  : «  On ne va pas couper dans les subventions des associations cette année, mais on évaluera pour donner à celles qui méritent l’an prochain.  » En attendant, il a voté 2 000 euros d’augmentation à deux associations «  méritantes  », donc, qui luttent «  pour la cause animale  », et nommé un «  conseiller municipal délégué aux animaux de compagnie  »… Une manière de caresser son électorat dans le sens du poil.

Sur le fond, une logique similaire 
à celle des gouvernements libéraux

D’autres administrés ont moins de chance d’être soutenus par leurs édiles. La mairie frontiste du Pontet (Vaucluse), en quête d’«  économies  », rogne sur l’aide sociale apportée aux familles qui peinent à payer l’inscription des enfants à la cantine. Depuis septembre, fini les repas subventionnés pour les plus démunis  : il faut «  responsabiliser les parents d’élèves pour leur montrer que tout n’est pas gratuit  ». Une mesure qui ne fera économiser que 30 000 euros à la commune, sur un budget de 50 millions d’euros. Même punition à l’autre bout de la France, à Villers-Cotterêts (Aisne). Franck Briffaut a mis fin à la cantine pour les enfants de chômeurs  : «  Une personne au RSA peut venir chercher son enfant à l’école car elle ne travaille pas  », plaide-t-il… à moins de payer 152 euros de plus par an. Là aussi, la décision ne produira que peu de résultats, avoue le maire, mais il s’agit avant tout de lutter contre «  l’assistanat  ». Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen estimait que les logements sociaux devaient être réservés aux Français, et à la limite, sous conditions, à certains étrangers en situation régulière. Application à la lettre dans le «  secteur bleu Marine de Marseille  » (dixit le document «  Promesses tenues  »). Si Stéphane Ravier vote systématiquement, comme la plupart des élus frontistes de France, contre tous les projets de logements sociaux et de rénovation urbaine, c’est qu’il ne veut pas que «  l’on déverse des millions d’euros vers ces quartiers en nous faisant croire que cela va changer la nature de celles et ceux qui y habitent  ». Voyez-vous, il n’y a «  pas beaucoup de Scandinaves dans nos quartiers  ».

À l’entendre, Marine Le Pen aurait converti le FN à la lutte contre l’austérité. À y regarder de plus près, le parti s’inscrit dans une logique similaire à celle des gouvernements libéraux ou sociolibéraux. Ainsi, à Beaucaire, le maire a-t-il mis fin à la «  surcharge salariale  » de 40 000 euros que représentaient… les contractuels de l’été. Et tant pis pour les centres de loisirs. À Mantes-la-Ville, ce sont les contrats jeunes qui ne sont pas reconduits. À Villers-Cotterêts, la municipalité applique le non-remplacement des employés partis à la retraite, et vend des «  biens communaux  » pour équilibrer son budget. Dans le même temps, les maires de Cogolin et du Luc (Var) ont augmenté leurs indemnités de 15 %. Et si celui du Pontet figure dans le document «  Promesses tenues  » comme ayant «  réduit ses avantages  », c’est que le tribunal administratif a refusé l’augmentation de 44 % qu’il s’était octroyée. Au Front national, de «  préférence  », l’austérité, c’est pour les autres.

B) Front national : derrière l’unité affichée, des luttes intestines (Le Monde)

Les élections intermédiaires de 2015 constituent une étape importante pour le parti d’extrême droite. Mme Le Pen espère faire une entrée fracassante dans les conseils régionaux et placer son parti en faiseur de roi. Des départements sont même considérés comme gagnables, à commencer par le Var. Pour les régionales, les frontistes visent même des victoires comme en Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Mais au-delà, d’autres enjeux irriguent ce congrès frontiste.

La bataille Florian Philippot - Marion Maréchal Le Pen

Marine Le Pen l’a redit récemment au Monde : « Le Front national est un parti où il n’y a pas de numéro 2. » Certes. Mais l’une des questions centrales de ce week-end sera de départager Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen, deux figures du parti. Au FN, où il n’y a pas de motions ni de textes autour desquels peuvent se fédérer les militants, l’élection des membres du comité central – le « parlement » du parti – directement par les adhérents est un bon baromètre de popularité. Le résultat de cette élection, s’il ne peut forcer la main à la présidente, influencera forcément ses choix pour reconfigurer la direction du parti. Car, avec ce scrutin, les adhérents choisiront en creux la ligne qu’ils veulent voir s’imposer. Celle, « postchevènementiste », de M. Philippot ou celle, libérale-conservatrice, de Mme Maréchal Le Pen ?

M. Philippot est déjà le bras droit de Mme Le Pen. Il ne peut monter en grade. Mais s’il voit arriver au même niveau de responsabilité Mme Maréchal Le Pen, sa tâche sera plus ardue pour imposer ses vues. Un renfort à la tendance de Marion Maréchal Le Pen pourrait s’incarner en la personne de Nicolas Bay. L’eurodéputé devrait être nommé secrétaire général du parti. Ancien partisan de Bruno Mégret, il partage l’hostilité à l’islam de la députée du Vaucluse, ainsi que ses opinions très radicales sur l’immigration. Au secrétariat général, M. Bay aura tout loisir de nommer des secrétaires départementaux – les « préfets » du parti – s’inscrivant dans cette tendance.

Les deux camps ont multiplié les incidents depuis la rentrée. Et beaucoup au FN estiment que M. Philippot a forcé la main à Mme Le Pen pour que Mme Maréchal Le Pen, seule députée encartée FN, n’ait pas de temps de parole au congrès. Aymeric Chauprade, conseiller aux questions internationales de Mme Le Pen et proche de la jeune députée, semble également mis sur la touche, ce n’est pas lui qui accueillera les invités étrangers. Les anti-Philippot affirment même redouter des bourrages d’urnes.

Le rôle de Jean-Marie Le Pen et la nouvelle direction

Depuis cet été et les propos de Jean-Marie Le Pen sur la « fournée » visant Patrick Bruel, les relations entre le père et sa fille Marine sont tendues. A tel point que certains partisans du vieux chef craignent une « délepénisation » du parti. Sur le papier, le poste de président d’honneur de M. Le Pen ne peut disparaître. Taillé pour et par Jean-Marie Le Pen juste avant le précédent congrès, il est inscrit dans les statuts. Et permet au patriarche de siéger de droit dans toutes les instances du parti.

Mais si Mme Le Pen ne peut pas agir directement contre son père, elle peut modifier la direction du parti – le bureau exécutif – à sa guise. Et ce, pour isoler M. Le Pen. Certains pourraient en faire les frais, comme Marie-Christine Arnautu, proche du vieux leader. D’autre part, Louis Aliot a d’ores et déjà annoncé qu’il pourrait se mettre en retrait de la direction au cas où Marion Maréchal Le Pen monterait dans l’organigramme, pour éviter un effet « dynastie familiale » trop visible.

En effet, le compagnon de Marine Le Pen, s’il a des relations personnelles complexes avec Jean-Marie Le Pen, n’en demeure pas moins politiquement un proche de l’ancien finaliste à la présidentielle de 2002.

Le contexte

83 000 adhérents

Le Front national revendique 83 000 adhérents, appelés à voter pour le comité central et la présidence du parti.

Vote direct

L’élection au comité central du FN se fait par vote direct des adhérents par correspondance. Ceux-ci peuvent choisir jusqu’à 100 candidats sur une liste de 400 noms. Le candidat qui a récolté le plus de suffrages arrive en première position. Aux 100 membres élus s’ajoutent 20 membres cooptés par la présidente du FN. Les résultats seront proclamés dimanche 30 novembre au matin.

Comité central

Le comité central, qui est présenté comme le parlement du parti d’extrême droite, ne se réunit que très rarement. Les adhérents sont aussi invités à élire la présidente du parti. Marine Le Pen est la seule candidate.

Abel Mestre

Journaliste au Monde

* LE MONDE | 28.11.2014


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