Grèce : L’irrésistible ascension de la gauche anti-austérité

vendredi 26 décembre 2014.
 

Alors que les sondages prédisent, les uns après les autres, la victoire de Syriza, ministres, éditorialistes et banquiers se relaient sans répit pour promettre aux Grecs la peste de Thèbes si la gauche arrive au pouvoir.

Seuls les rougeoiements du petit réchaud près duquel elles se blottissent éclairent leurs visages. On leur a coupé jusqu’à la lumière. Les femmes de ménage des institutions publiques, en lutte contre leur licenciement, sont toujours là, sous les fenêtres du ministère de l’Économie et des Finances, dans le bas de la place Syntagma. Elles occupent les lieux depuis 229 jours. La violence inouïe des policiers anti-émeute, qui les ont maintes fois matraquées, n’a pas suffià les chasser ni à les décourager. Au contraire.

Les gardiens d’école, eux aussi menacés d’être jetés à la rue, les ont imitées. Eux aussi ont planté leurs tentes, tout près d’elles. Les passants s’arrêtent, encouragent ces femmes qui luttent, versent quelques euros en soutien. Créée par un graphiste solidaire, leur affiche figure un poing levé revêtu d’un gant de caoutchouc rose. Cette image est devenue le symbole de la résistance aux diktats de la troïka (Banque centrale européenne, FMI, Commission européenne) qui exigeait d’Athènes, au début de l’année, 11500 licenciements de travailleurs du secteur public en 2014. Ce soir-là, alors que la coalition qui réunit au pouvoir conservateurs et sociaux-démocrates a échoué, au premier tour, à faire élire par les députés son candidat à la présidence, la crise politique occupe toutes leurs discussions. Elles commentent les graves accusations d’un parlementaire affilié aux Grecs indépendants (droite souverainiste) : Pavlos Haïkalis assure qu’un conseiller bancaire a tenté d’acheter sa voix pour plusieurs centaines de milliers d’euros. Toutes veulent voir chuter le gouvernement d’Antonis Samaras.

Toutes aspirent à des élections anticipées, qui seraient convoquées si le Parlement échouait à élire le président. « Ils ne veulent pas laisser la gauche arriver au pouvoir. Il y a beaucoup de manoeuvres, de tractations et de manipulations. Tout peut arriver d’ici au troisième tour, le 29 décembre. Mais nous espérons, malgré tout, que les élections anticipées se tiendront. C’est le seul chemin pour sauver la Grèce », assure Sofia Tsangaropoulo. Cette quadragénaire fait partie des 260 femmes de ménage qui exigent toujours leur reclassement. Depuis bientôt huit mois, elle ne perçoit plus que 70 % de son salaire, soit 500 euros. Trop difficile, avec si peu, de boucler les fins de mois. « Nous essayons de gagner du temps par la lutte, par des actions en justice. Il faut tenir jusqu’aux élections. Le changement politique est notre seul espoir », souffle-t-elle. Le camp des femmes de ménage en lutte est comme un point de ralliement. Mania Papadimitriou s’y arrête chaque fois qu’elle le peut, lorsqu’elle sort du Parlement, tout proche. Cette comédienne, élue députée sous l’étiquette Syriza en 2012, ne dissimule pas sa colère lorsqu’elle évoque le paysage de désastre économique, social et humain laissé par cinq années d’austérité. « J’espère que Syriza arrivera au pouvoir et fera une politique pour le peuple, pas pour les banques. Ceux qui sont au pouvoir ont sauvé les banques et laissé les gens se noyer. Plus personne ne peut supporter cette violence. Il faut dire stop et lancer un message de résistance à tous les peuples d’Europe, pour qu’ils refusent de subir à leur tour le sort infligé au peuple grec », insiste la députée.

Après les deux mémorandums organisant l’ajustement de la Grèce à l’ordre néolibéral le plus brutal, les attentes sociales pesant sur la gauche anti-austérité sont immenses, à la mesure de la crise humanitaire que traverse le pays.

DES ATTEINTES SÉRIEUSES AUX DROITS HUMAINS ET AUX LIBERTÉS

Le 18 décembre, à Athènes, la Fédération internationale des droits de l’homme et son organisation affiliée, la Ligue hellénique des droits de l’homme (HLHR), ont présenté un rapport édifiant sur les conséquences des politiques d’austérité. « Contrairement aux finances, les droits humains et les libertés fondamentales ne peuvent pas faire l’objet de plans internationaux de renflouement, a expliqué Konstantinos Tsitselikis, président de la HLHR.

Les politiques économiques et fiscales ont ignoré de manière éhontée leurs impacts sociaux dévastateurs et les autorités ont failli à apporter l’assistance sociale requise. En agissant de la sorte, la Grèce a manqué à ses obligations internationales et a bafoué les droits humains fondamentaux de ses citoyens. » Le document met aussi en lumière des reculs démocratiques préoccupants, avec des atteintes sérieuses aux droits et libertés individuelles. Mais que vaut la démocratie, quand la Commission européenne affiche sans complexe ses préférences politiques à la veille d’un scrutin dans un État membre ?

UN SONDAGE DE L’INSTITUT RASS POUR LE JOURNAL ELEFTHEROS TYPOS CRÉDITE SYRIZA DE 27,1 % D’INTENTIONS DE VOTE, CONTRE 23,7 % À LA NOUVELLE DÉMOCRATIE DU PREMIER MINISTRE ANTONIS SAMARAS

Alors que les sondages prédisent, les uns après les autres, la victoire Syriza, ministres, éditorialistes et banquiers se relaient sans répit pour promettre aux Grecs la peste de Thèbes si la gauche arrive au pouvoir. Même le spectre de la guerre civile (1945-1949) est convoqué dans ce théâtre d’ombres.

À Bruxelles, ceux qui étaient prêts, il n’y a pas si longtemps, à mettre Athènes à la porte de la zone euro accusent aujourd’hui la gauche grecque de vouloir jouer la carte du « Grexit ». « La stratégie de la terreur et du chantage est la seule disponible, puisque l’austérité est perçue comme un échec économique par la majorité de la population. Mais cette menace de déstabilisation est surtout source d’énormes profits pour ceux qui spéculent sur la dette grecque », remarque Dimitris Seremetis, professeur d’économie à l’université de la mer Egée.

Le programme économique de Syriza, d’inspiration plutôt keynésienne, n’a pourtant rien du dangereux virage extrémiste décrit par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Le parti d’Alexis Tsipras refuse la perspective d’un nouveau mémorandum et prône une renégociation de la dette. Objectif : dégager les ressources indispensables pour faire face à l’urgence humanitaire et financer un plan de relance. « Syriza est déterminée à s’appuyer sur la mobilisation du peuple grec pour imposer cette renégociation.Par ailleurs, la Grèce reste une menace pour la zone euro. Il n’y a pas de cordon sanitaire.

Personne n’a intérêt à une déstabilisation qui pourrait déclencher un effet domino », résume Maria Karamessini, directrice du département de politique sociale à l’université Panteion d’Athènes. Alexis Tsipras, lui, répète qu’une réponse « concertée » est préférable à des « décisions unilatérales », auxquelles il n’exclut pourtant pas de recourir si on l’y « contraint ». Cette posture, entre pragmatisme et fermeté, séduit, selon les enquêtes d’opinion, près d’un tiers de l’électorat. En 2012, déjà, la formation de gauche avait recueilli 27 % des suffrages aux élections législatives, mais s’était placée en seconde position, derrière la Nouvelle Démocratie, d’Antonis Samaras. Ce dernier paie aujourd’hui le prix de son dévouement à la troïka.

Mais l’addition la plus salée revient aux sociaux-démocrates du Pasok, partie prenante de la coalition au pouvoir. Avec moins de 5% des intentions de vote, ils subiraient une sanction plus sévère encore que celles des élections locales et européennes du printemps dernier. Pour contenir l’hémorragie et empêcher la base électorale social-démocrate de se rallier à Syriza, l’ancien premier ministre Georges Papandréou vient d’annoncer la création d’un nouveau parti, sur les ruines du vieux Pasok. Faute d’alliés à gauche, les communistes du KKE refusant de participer à une éventuelle coalition, Syriza espère, de son côté, conquérir une « autonomie politique » qui lui laisserait les mains libres au Parlement. « Avec une extrême droite toujours en embuscade, Syriza n’a pas le choix. La gauche est condamnée à réussir et à surmonter tous les obstacles qui se dresseront devant elle, estime Babis Kovanis, journaliste à l’hebdomadaire Epohi. En cas de victoire, le plus dur commencera après les élections. Le vrai danger, c’est qu’un gouvernement de gauche soit empêché de gouverner. » En Grèce, la confrontation politique se jouera autant sur le terrain social que sur le plan démocratique.

LES EX-SALARIÉS DE L’ERT LUTTENT TOUJOURS

L’écran noir était devenu, bien au-delà des frontières de la Grèce, un symbole de la brutalité des mesures d’austérité dictées par la troïka et appliquées avec zèle par le gouvernement de coalition dirigé par le conservateur Antonis Samaras. La fermeture sans préavis de la radiotélévision publique ERT, le 11 juin 2013, a entraîné la mise à la porte de près de 2700 employés, dont 677 journalistes, licenciements jugés « non valides » en première instance par la justice. Depuis, la chaîne Nerit, créée pour remplacer l’ERT, n’a pas tenu les promesses d’indépendance éditoriale. Les accusations de népotisme et de gaspillage dont le gouvernement Samaras accablait l’ERT n’épargnent pas la Nerit, qui connaît un naufrage en termes d’audience. Les anciens de l’ERT opposés au « coup d’État de l’écran noir », eux, continuent de produire, bénévolement, des programmes radiophoniques et télévisés diffusés sur le Web. « La carte Nerit jouée par le gouvernement s’est déjà effondrée. Pour faire cesser cette situation humiliante, tant pour la radiotélévision publique que pour le pays, il existe une solution : rouvrir l’ERT maintenant ! » estime Nikos Michalitsis dans l’hebdomadaire Epohi. La réouverture de la radiotélévision publique figure parmi les promesses de Syriza. Les salariés de l’ERT, eux, promettent déjà de nouvelles actions durant la campagne électorale.

Rosa Moussaoui, 23 décembre 2014


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