Comment la taxe sur les transactions financières est torpillée par la France

dimanche 4 janvier 2015.
 

A) Entretien avec Marie-Christine Vergiat, eurodéputée Front de Gauche)

La France est à l’origine de l’échec du conseil Ecofin sur la TTF. Le lobby bancaire a-t-il gagné  ? La TTF est-elle enterrée  ?

Marie-Christine Vergiat : Oui, la France est à l’origine de cet échec. Un comble pour un gouvernement soi-disant socialiste. Souvenons-nous que cette taxe (issue de la taxe Tobin) a ressurgi avec la crise des subprimes. À l’époque, le système bancaire mondial menaçait de couler, et même Nicolas Sarkozy voulait «  réformer le capitalisme  », prétendant instaurer une TTF seulement pour la France, équivalant à l’impôt de Bourse qu’il avait supprimé en 2008. Et c’est tout ce que propose Michel Sapin aujourd’hui  : taxer les actions et obligations sans toucher aux produits dérivés, produits les plus spéculatifs qui sont justement à l’origine de la crise financière. Alors oui, les lobbys bancaires ont une fois encore fait échouer la TTF. Mais non, elle ne peut pas être enterrée. Plus de 60 % des citoyens européens y sont favorables. La TTF est une mesure juste et nécessaire pour répondre aux urgences mondiales, enrayer la crise, lutter contre la pauvreté et les fléaux sanitaires, faire face aux défis climatiques.

À quelle condition cette taxe pourrait-elle être efficace, être un atout dans la lutte contre la crise  ?

L’instauration d’une TTF ne réglera pas tout mais, au minimum, on peut reprendre la proposition votée par le Parlement européen en 2010, soit une TTF de 200 milliards d’euros si elle était appliquée aux 27 États membres de l’UE à l’époque. Comment  ? En taxant à 0,1 % les actions et obligations et à 0,01 % les produits dérivés. Pas de quoi faire fuir l’activité financière  ! Il s’agit juste de détruire les activités les plus nocives. Ramené aux 11 États volontaires actuellement dans le cadre d’une coopération renforcée, cela pourrait rapporter plus de 130 milliards puisque ces 11 États représentent les deux tiers du PIB et l’Union européenne. Taxer les produits dérivés est une nécessité absolue car ce sont les produits les plus spéculatifs, les plus toxiques, ceux qui sont déconnectés de l’économie réelle, et notamment ceux qui démultiplient les opérations financières. En première ligne, le trading à haute fréquence, qui représente aujourd’hui plus de la moitié des transactions financières, par lequel des méga-ordinateurs organisent des transactions dans des délais de l’ordre de la milliseconde. Selon certains observateurs, ces opérations particulièrement malsaines représenteraient 12 fois le PIB mondial. 
La taxe doit donc avoir l’assiette la plus large possible et s’appliquer au minimum à tous les produits 
européens, quel que soit le lieu de la transaction. 
On pourrait même aller au-delà sur les actions et obligations et s’aligner sur le taux de 0,5 %, celui qui est appliqué à Londres. Un moyen d’inciter les Britanniques à rejoindre le projet  ! Quand on sait que les transactions financières s’élèvent à environ 3 millions de milliards d’euros, soit 70 fois le PIB mondial, les taxer à hauteur de 130 milliards d’euros n’a rien de vraiment révolutionnaire. Ce n’est qu’un – modeste – outil de justice fiscale et sociale.

B) Comment la taxe sur les transactions financières est torpillée par la France (Le Monde)

C’était la promesse n° 7 du candidat François Hollande : soutenir une « action coordonnée au niveau européen pour imposer l’ensemble des transactions, y compris donc les produits dérivés ».

La taxe sur les transactions financières (TTF), aussi appelée « Robin des bois » ou Tobin, du nom de l’économiste qui l’a imaginée dans les années 1970, devait entrer en vigueur au 1er janvier 2016 en Europe. Mais elle semble, sinon enterrée, du moins s’éloigner de plus en plus.

Pourtant, le chef de l’Etat et son premier ministre ont été rappelés à l’ordre par 140 députés de leurs propres rangs, qui ont signé une lettre jeudi demandant à ce « que notre pays conserve intacte l’ambition initiale du projet qui inclut “toutes les transactions financières” ». Parmi ces derniers figurent entre autres l’ancien premier ministre Jean-Marc-Ayrault, Karine Berger, Aurélie Filippetti, Elisabeth Guigou, François Lamy…

CHANTAGE À LA DÉLOCALISATION

Cette lettre a été largement partagée pendant le week-end, alors que les 11 pays européens désireux de créer un tel impôt ne sont pas parvenus à se mettre d’accord le 9 décembre dernier à Bruxelles.

Lancée au lendemain de la crise financière de 2008, l’idée de la TTF était de prélever 0,1 % sur les échanges d’actions et 0,01 % sur les produits dérivés. Ceux-là, destinés à assurer leurs acheteurs contre des risques financiers (de change, de taux…), ont connu ces dernières années une croissance exponentielle.

Une banque française, BNP Paribas, en est un des champions européens, voire mondiaux. Et l’ensemble du secteur a brandi la menace des délocalisations si la taxe s’appliquait en l’état.

LES SOCIALISTES DEMANDENT DES COMPTES

La taxe, qui ne visait pas à « tuer » l’activité bancaire, mais à l’encadrer (en rendant moins intéressants les échanges les plus spéculatifs), avait aussi pour objet de redistribuer une partie de ces profits (environ 35 milliards d’euros par an si l’on incluait tous les produits dérivés dans l’assiette taxable) vers le développement humanitaire, les projets écologiques et la recherche sur les maladies, comme le sida.

Les associations militant pour cette taxe (Aides, Oxfam et Attac, notamment) ont rappelé que cette mesure devait au départ, selon les vœux de François Hollande, entrer en vigueur… en 2013. Elles se sont également félicitées de l’initiative des députés, demandant au président de la République de « recadrer [le ministre des finances] Michel Sapin ».

Dans leur lettre de jeudi, les socialistes signataires expliquent :

« C’est la France qui a proposé de réduire l’assiette d’une telle taxe, la limitant aux actions et aux contrats d’assurance contre le risque de défaut de paiement [CDS – credit default swap], soit 3 % des produits dérivés. Cette proposition réduirait largement le rendement de cette taxe, le rendant encore plus limité que la taxe française créée en 2012. »

LES RENONCEMENTS DE BERCY

Le projet de loi de finances 2015 table sur un rendement de 700 millions d’euros pour la version française de la taxe Tobin, en vigueur depuis trois ans. Loin des premières estimations qui tablaient sur un rendement de l’ordre de 1,5 milliard d’euros annuel.

En cause, un torpillage en règle de l’assiette taxable : alors que la taxe aurait pu être renforcée par la taxation du trading haute fréquence, c’est aussi un gouvernement Hollande qui l’a fait échouer en France. Bercy a fait pression sur sa majorité et son rapporteur, Christian Eckert, a depuis été nommé secrétaire d’Etat au budget.

Même les autorités britanniques ont été plus ambitieuses dans leur décision de taxer le secteur bancaire : le stamp duty (« droit de timbre ») rapporte quelque 3 milliards d’euros par an, grâce à une large assiette de 0,5 % sur tous les échanges d’actions, contre 700 millions d’euros pour la taxe française (entrée en vigueur en 2012).

Hongkong, Singapour ou encore Taïwan ont également mis en place, à des degrés divers, une telle taxation de leur place financière.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message