Christiane Taubira et la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature

jeudi 11 juillet 2019.
 

Le texte complet de notre dossier sur la justice compte 78 pages format A4 et environ 350 liens hypertexte. Aussi, nous l’avons divisé en sept articles. En cliquant sur l’adresse URL ci-dessous, notre lecteur accèdera à la table des matières complète avec liens immédiats : La Justice à l’épreuve du néolibéralisme

Le Sénat contre l’indépendance de la magistrature. ?

Cet texte s’intègre dans la série : Misère de la Justice, Justice de la misère qui fait suite à la première partie : La Justice en France. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

La partie 2 passe en revue les principales lois présentées par le gouvernement Hollande et la Garde des Sceaux Christiane Taubira. Nous avons extrait pour cet article la tentative de réforme du CSM (Le paragraphe précédent 2.1 traite de la réforme pénale)

Nous avons vu dans la première partie un historique du CSM. Nous continuons ici en examinant d’abord les origines et les motivations de la réforme en cours.

2.2– La tentative de réforme du CSM

Comme nous l’avons expliqué dans notre première partie, le CSM constitue un pilier central de notre démocratie. Sa composition conditionne la séparation du pouvoir judiciaire des autres pouvoirs et consécutivement la manière dont la justice est appliquée. Implacable pour les pauvres et laxiste pour les riches ou impartiale ?

Les batailles législatives à son sujet constituent un reflet institutionnel conflictuel des rapports de classes antagoniques existant entre les puissances économiques dominantes et les travailleurs salariés ou indépendants. L’efficacité de la lutte contre la corruption et toute forme de délinquance des élus et des décideurs économiques dépend de l’indépendance du CSM par rapport aux autres pouvoirs. Cela explique pourquoi chaque tentative de réforme de cette institution s’accompagne de débats parlementaires acharnés.

Le lecteur comprendra ainsi notre attention particulière à la tentative de réforme entamée par la Garde des Sceaux concernant le CSM.  L’ensemble des actes qu’elle a posés jusqu’à maintenant montre sa détermination à rendre la Justice indépendante des autres pouvoirs mais elle se heurte , comme nous allons le voir, à plusieurs difficultés.

L’enjeu n’est pas simplement de nature technique mais fondamentalement de nature politique.

A) La réforme sarkozyste de 2008 contestée.

a) La position critique du think tank Terra Nova. (8)

L’intérêt, pour notre propos, de ce think tank progressiste, est d’avoir créé un groupe de réflexion approfondie sur la justice. Il a fait un bilan critique du fonctionnement de la Justice française et propose des réformes précises. Le rapport final de son groupe de travail "Justice et pouvoirs", présidé par Dominique Rousseau (professeur de droit constitutionnel) et Daniel Ludet (magistrat, conseiller à la Cour de cassation) ntitulé : La justice, un pouvoir de la démocratie est accessible en cliquant ici (9) On peut y lire, par exemple, l’ extrait suivant :

"…Au total, ce double mouvement de réformes – renforcement du parquet, et renforcement du pouvoir du gouvernement sur le parquet – achève de transformer le rôle de la justice. En France, la justice n’est plus le pouvoir indépendant, gardien de la liberté individuelle, que décrit la théorie de Montesquieu. C’est une institution sous tutelle de l’exécutif, conçue comme le relais de l’action gouvernementale, instrumentalisée au profit d’une politique publique – en l’occurrence au profit de la politique sécuritaire du Président de la République.

Pire, c’est une justice soumise à l’influence des intérêts privés et partisans. Une justice fonctionnant au risque de la partialité, à deux vitesses : une justice clémente pour ceux qui bénéficient de la protection de l’exécutif ; mais une justice de plus en plus expéditive pour ceux qui ne sont pas protégés."

Commentant la dernière réforme du CSM de 2008 conduisant à son fonctionnement actuel dans un article intitulé : Réforme du CSM : l’indépendance de la justice n’est pas au rendez-vous Gaxuxe Lacoste, Sabine Mariette le 16/02/2011, membre de ce think tank, écrivaient :

"C’est ainsi que, pour les nominations, l’effectif de chaque formation compétente est porté de douze à quinze, avec sept magistrats et huit personnalités extérieures. Le nouveau CSM « laïcisé » écarte l’exigence minimale de parité posée par la Charte européenne sur le statut des juges, adoptée le 10 juillet 1998 par le Conseil de l’Europe, alors que dans tous les pays européens dotés d’un CSM, les magistrats y sont soit majoritaires, soit en parité comme en Belgique et en Slovaquie.

La France devient le seul pays dans lequel les non magistrats sont majoritaires dans cette institution.

On peut regretter que la réforme n’ait pas retenu l’idée d’une parité entre magistrats et non magistrats préconisée par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau. C’est avec le souci affiché de mettre un terme aux reproches de corporatisme régulièrement adressés au CSM que le constituant a augmenté la proportion de membres n’appartenant pas à la magistrature. Six personnalités sont donc nommées par le pouvoir politique : deux par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée Nationale, et deux par celui du Sénat, selon une nouvelle procédure exigeant qu’à chaque fois, un homme et une femme soient désignés. On ne peut que se réjouir de la féminisation des personnalités extérieures et de la présence d’un avocat qui se justifie par sa connaissance du monde judiciaire et sa qualité de représentant du justiciable. Pour autant, ces désignations n’offrent aucune garantie en termes de représentation pluraliste nécessaire à l’équilibre démocratique, le fait majoritaire rendant équivoque ce système. L’avis des commissions parlementaires, selon la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, n’offre aucune garantie contre les dérives partisanes liées aux majorités parlementaires existantes. On peut regretter que les réformateurs ne se soient pas inspirés des modèles voisins, notamment l’Espagne, qui prévoient la désignation, par un vote parlementaire à la majorité qualifiée, des personnalités extérieures. Une telle inspiration aurait renforcé la légitimité du CSM" Source : Terra Nova (10 )

b) La position de l’Union Syndicale des Magistrats (USM)

"Pour couper court à toute suspicion d’intervention du pouvoir exécutif dans le traitement de ces affaires médiatiques qui intéressent des hommes politiques en vue, outre la suppression bienvenue, mais insuffisante des instructions individuelles dans les dossiers particuliers, l’USM rappelle l’incontournable nécessité de faire échapper la carrière des magistrats du parquet et notamment, celle des procureurs et procureurs généraux, à la mainmise du garde des Sceaux.

Elle prône depuis très longtemps, comme l’a récemment retenu la commission NADAL, l’entière compétence du CSM pour la nomination de l’ensemble des magistrats, qu’ils soient du parquet ou du siège. À défaut, elle demande un alignement du statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège. Cette évolution aurait le mérite d’éviter le soupçon d’intervention du pouvoir en place dans le traitement de ces attaques et d’instrumentalisation de l’action des parquets. Libéré de ces soupçons, le parquet serait dans une situation plus confortable pour engager systématiquement des poursuites quand les éléments constitutifs des infractions sont réunis.

L’USM a toujours défendu un organe constitutionnel conforme aux standards européens, c’est-à-dire composé majoritairement de magistrats et aux compétences étendues.

L’USM a combattu la précédente réforme qui a ôté au CSM tout pouvoir de se saisir d’initiative en matière de déontologie des magistrats et d’atteinte à leur d’indépendance. " (Observations de l’USM auditionné par le conseil superieur de la magistrature, dans le cadre de l’avis sollicité le 25 mars 2013 par Mme la Garde des Sceaux) (11)

Dans le rapport de la commission des lois du 23 mai 2014, on peut lire : "La question de l’équilibre entre magistrats et non magistrats au sein du CSM est posée à chaque tentative de réforme de l’institution ; elle fait aujourd’hui l’objet d’importants débats entre les organisations syndicales, seule l’Union syndicale des magistrats (USM) s’étant déclarée favorable à une majorité de magistrats." (12 )

L’USM avait été reçu en mars 2013 par François Hollande pour l’informer de ses propositions (13)

c) La position du syndicat de la magistrature (SM)

Voici ce que l’on pouvait lire sur le site du SM : "La France condamnée par la CEDH... à une réforme constitutionnelle  ! Aurait-on oublié que la CEDH (commission européenne des droits de l’homme), dans plusieurs décisions récentes, dont les arrêts Medvedyev ou Moulin, avait rappelé aux autorités françaises que les magistrats du parquet ne présentaient pas les garanties d’indépendance leur permettant d’être considérés comme des autorités judiciaires au sens de la Convention ?

Le nouvel arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 27 juin 2013, Vassis et autres contre France, devrait – espérons le ! – faire sortir ces parlementaires de leur amnésie … La Cour y rappelle en effet de nouveau que le parquet français ne peut être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, justement en raison de ce lien hiérarchique tenant notamment à ses conditions de nomination, et qu’il ne peut dès lors être chargé de contrôler et prolonger une mesure privative de liberté." (14)

Mais l’on peut lire dans le rapport de la commission des lois de mai 2013 : "Votre rapporteur estime qu’une composition réservant une majorité aux magistrats judiciaires va au–delà des préconisations émises par des organes consultatifs du Conseil de l’Europe – qui ne lient d’ailleurs pas notre pays. Si une majorité de non magistrats est contraire à ces préconisations, tel n’est pas le cas d’une parité entre magistrats et personnalités extérieures. En outre, les arguments en défaveur d’une majorité de magistrats ne manquent pas, comme l’ont d’ailleurs relevé, lors de leurs auditions, tant le Syndicat de la magistrature que le Syndicat Force–ouvrière Magistrats. Le risque de corporatisme a été très largement évoqué."

Curieusement donc, il semble bien que le SM ne soit pas favorable à une majorité de magistrats au sein du CSM mais à une simple parité.(15)

d) Propositions de l’Association française de droit constitutionnel. Granger Marc-Antoine

Ces considérations conduisent à une réflexion sur l’indépendance du parquet qui peut faire intervenird’autres paramètres. Ainsi. dans son étude intitulée :Le parquet, une autorité judiciaire indépendante ? Granger Marc-Antoine fait les réflexions suivantes : (16 )

"Toutefois, et au-delà des exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’Homme, le temps n’est-il pas venu de placer le contrôle de la liberté individuelle à l’abri de tout soupçon ? Dans sa thèse, le professeur Michèle-Laure RASSAT a très justement démontré que « la nature de la fonction doit être en rapport étroit avec le caractère de l’institution ».

Sous cet angle, le renforcement de l’indépendance des magistrats du parquet n’est point un luxe : elle est une nécessité, ou selon l’expression du professeur Jean PRADEL et du directeur de l’équipe spéciale de la lutte contre le terrorisme de l’ONU, Jean-Paul LABORDE, « une grande exigence de notre temps ». La confiance du justiciable s’en trouverait assurément grandie.

En ce sens, le premier président de la Cour de cassation, Vincent LAMANDA, a rappelé à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du 7 janvier 2011 que « la justice doit recevoir de la société autant qu’elle lui apporte ». Il a poursuivi en indiquant que « ce qu’il lui faut obtenir et ce qu’il lui appartient de donner, c’est de la confiance. L’indépendance et la déontologie des magistrats en sont les ressorts majeurs  ».

En outre, les magistrats du parquet gagneraient en sérénité, car en l’état actuel du droit le doute (fondé ou non) peut toujours germer « sur les conditions dans lesquelles (ils) travaillent ». A ce propos, dans les chevaux du lac Ladoga, le garde des Sceaux, Alain PEYREFITTE n’avait pas manqué de souligner que « notre ère du soupçon se plaît à déceler partout des influences occultes, des trahisons obscures, des secrets florentins ».

Par ailleurs, et même si l’étude de cette fonction accordée au ministère public a été volontairement évincée du champ de cette contribution, la récente association des parquetiers au processus de définition des sanctions pénales dans le cadre des voies alternatives (en particulier la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : CRPC) milite également en faveur du renforcement des garanties d’indépendance du ministère public.

La piste à suivre consisterait dès lors à aligner totalement le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui de leurs collègues du siège.

Cela suppose deux modifications d’envergure constitutionnelle : d’une part, le CSM doit pouvoir formuler des propositions pour les nominations des magistrats du parquet près la Cour de cassation, pour celles des procureurs généraux et pour celles des procureurs de la République, et d’autre part, les magistrats du parquet ne doivent être nommés que sur avis conforme du CSM.

Parallèlement, le régime disciplinaire applicable aux magistrats du parquet devrait être calqué sur celui applicable aux magistrats du siège. Ainsi, la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet statuerait comme conseil de discipline des magistrats du parquet.

Pour aller un peu plus loin dans l’approche prospective et compléter ces « quelques éléments d’une nouvelle conception du ministère public », les mesures prises par le parquet en matière de liberté individuelle pourraient également être placées sous le contrôle d’un magistrat du siège

Il serait de la sorte répondu aux inquiétudes exprimées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe quant à la possibilité pour le ministère public d’être responsable des mesures privatives de liberté. Dans cette perspective, la proposition formulée par la CNCDH d’instaurer « un droit de recours devant un juge du siège », qui appréciera la légalité et l’opportunité des mesures de contrainte, est à étudier. Elle semble constituer un bon compromis entre le simple maintien du contrôle par le procureur de la République de la liberté individuelle au cours de la garde à vue et son transfert au profit du juge des libertés et de la détention qui ne manquerait pas de poser de nombreuses difficultés en termes d’organisation et de ressources humaines.

En conclusion, ces différents réaménagements de l’architecture de notre système judiciaire permettraient sûrement au ministère public d’exercer pleinement son rôle en toute indépendance « sans ingérence injustifiée » et sans subir le regard soupçonneux du justiciable, car, rappelons-le, la tâche du parquet est essentielle dans une société démocratique : « préserver le principe de la primauté du droit, protèger les citoyens contre les violations criminelles de leurs droits et libertés, garantir le respect des droits et libertés des personnes soupçonnées ou accusées d’infractions pénales, et veiller au bon fonctionnement des organismes chargés des enquêteset des poursuites »."

Source : Association française de droit constitutionnel (16 bis)

B) Position de différentes organismes européens relative à l’indépendance des juges.

a) Associations internationales de magistrats

Voici par exemple un extrait de l’avs du conseil consultatif des juges européens : "16. Le Conseil de la Justice peut être composé, soit exclusivement de juges, soit à la fois de juges et de non juges. Dans ces deux situations, il convient d’éviter tout corporatisme.

17. Quand le Conseil de la Justice est composé exclusivement de juges, le CCJE estime que ces juges doivent être élus par leurs pairs.

18. Quand sa composition est mixte (juges et non juges), le CCJE considère que pour éviter toute manipulation ou pression indue, le Conseil de la Justice doit compter une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs.

19. Selon le CCJE, une telle composition mixte présente l’avantage d’une part d’éviter le corporatisme et d’autre part de refléter les différents courants d’opinion de la société et apparaître ainsi comme une source supplémentaire de légitimation du pouvoir judiciaire.

Même avec une composition mixte, le Conseil de la Justice doit fonctionner sans la moindre concession au jeu des majorités parlementaires et des pressions de l’exécutif, en dehors de toute subordination aux logiques partisanes, pour pouvoir se porter garant des valeurs et des principes essentiels de la justice." (17)

b) Avis de la commission européenne de la démocratie par le droit : commission Venise

On peut lire, entre autres recommandations : 4. Il est approprié, pour garantir l’indépendance de la magistrature, qu’un conseil de la magistrature indépendant joue un rôle déterminant dans les décisions relatives à la nomination et à la carrière des juges. Tout en respectant la diversité des systèmes juridiques, la Commission de Venise recommande aux Etats qui ne l’ont pas encore fait d’envisager de créer un conseil de la magistrature indépendant.

La composition de ce conseil devrait, dans tous les cas, présenter un caractère pluraliste, les juges représentant une partie importante, sinon la majorité, de ses membres. A l’exception des membres de droit, ces juges devraient être élus ou désignés par leurs pairs.

On peut lire le texte complet en cliquant ici ( 18 ) Ce rapport a été repris et complété par le rapport sur les normes européennes relatives à l’indépendance du système judiciaire. (19)

c) Convention européenne. Cour européenne des droits de l’Homme

Texte de la convention : (20 )

"Le Procureur de la république n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme. C’est ce qu’a décidé la Cour de Strasbourg le 10 juillet 2008 au regard de l’article 5 §1- c de la convention européenne des droits de l’homme … Cet arrêt a été suivi par un arrêt de la grande chambre rendu entre les mêmes parties le 29 mars 2010, qui – s’il ne reprend pas la formule concernant le Procureur de la République français – rappelle les conditions auxquelles doit répondre le magistrat ou l’autorité judiciaire aux sens des textes précités, à savoir l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et des parties et le non-cumul du pouvoir de poursuite et celui de statuer sur la liberté. " Source  : institut d’études judiciaires ( 21 )

Le fait que le procureur de la république ne soit pas considéré comme autorité judiciaire par les institutions européennes a été acceptée à reculons par la justice française. Comme l’indique Marc ROBERT dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 32 (Dossier : Convention européenne des droits de l’homme) - juillet 2011, après des considérations techniques et historiques :

"Il en résulte qu’aucun membre des ministères publics des États-membre du Conseil de l’Europe, y compris ceux qui bénéficient d’un statut de totale indépendance (cf., par ex., le parquet Italien), n’a qualité pour exercer le contrôle judiciaire de l’article 5 § 3. Tel est le cas du parquet Français, même s’il a fallu attendre 2010 (cf. Medvedyev c. France, 29 mars 2010, § 124 ; et surtout Moulin c. France, 23.11.2010 (3) et l’arrêt de la Cour de cassation du 15.12.2010) pour que la France admette que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s’appliquait aussi à elle."

Source :L’Autorité judiciaire, la Constitution française et la Convention européenne des droits de ’homme (22 )

Plus de détails sur l’arrêté de la CEDH mentionné plus haut par le syndicat de la magistrature, cliquez ici (23 ]) Le nouvel arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 27 juin 2013, Vassis

"Le Conseil de l’Europe, dans sa recommandation du 17 novembre 2010 sur l’indépendance, l’efficacité et les responsabilités des juges préconise, dans son paragraphe 27, qu’« au moins la moitié des membres de ces conseils [soient] des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire ». L’assemblée générale du Réseau européen des conseils de justice, réunie à Budapest les 21 et 23 mai 2008, a posé le principe selon lequel, « en ce qui concerne la composition des conseils de justice, (…) lorsque la composition est mixte, le conseil doit compter une majorité de magistrats, sans être inférieure à 50 % » et que « dans tous les cas (composition mixte ou non), les magistrats, membres du conseil, doivent représenter tous les magistrats » " (24)

C) La réforme proposée par Christiane Taubira Garde des Sceaux.

Les étapes du travail parlementaire sont accessibles ici (25)

a) Le projet de loi initial (815).

Texte initial présenté par la Garde des Sceaux au nom du gouvernement du14 mars 2013 ( 26 )

Nous extrayons ici le passage concernant la composition du CSM et modifiant l’article 65 de la constitution.

« Art. 65-1. – Le Conseil supérieur de la magistrature a pour membres : « 1° Huit magistrats du siège élus par les magistrats du siège ; « 2° Huit magistrats du parquet élus par les magistrats du parquet ; « 3° Un conseiller d’État élu par le Conseil d’État ; « 4° Un avocat ; « 5° Cinq personnes qualifiées n’appartenant ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif, ni aux barreaux.

« Les personnes mentionnées au 5° sont désignées conjointement par le vice-président du Conseil d’État, le président du Conseil économique, social et environnemental, le Défenseur des droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes et un professeur des universités. Dans chaque assemblée parlementaire, une commission permanente désignée par la loi se prononce par un avis public sur la liste des personnes ainsi désignées. Aucune ne peut être nommée si l’addition des votes défavorables à cette liste dans chaque commission représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions

Observations : pour chaque formation, les magistrats sont majoritaires à une voix près (8 magistrats et 7 autres personnes). Les cinq personnalités extérieures sont désignées par des autorités indépendantes du politique mais l’approbation des choix est sous la dépendance de la commission permanente de chaque assemblée c’est-à-dire du législatif, donc du politique. Le président du CSM est élu par la formation plénière (réunissant les deux formations) parmi les cinq personnalités désignées par le collège ad hoc. Remarquons que dans cette formation plénière, les magistrats sont largement majoritaires : 16 pour 7 personnes non magistrats.

b) Rapport de la commission des lois No 1050 Le 22 mai 2013

Le rapport complet est accessible en cliquant ici : ( 27)

La commission des lois critique le fait que les magistrats soient majoritaires et s’aligne sur la position minimale préconisée par les recommandations européennes, C’est-à-dire la parité entre magistrats et personnalités extérieures On peut lire par exemple dans ce rapport :

" Votre rapporteur estime qu’une composition réservant une majorité aux magistrats judiciaires va au–delà des préconisations émises par des organes consultatifs du Conseil de l’Europe – qui ne lient d’ailleurs pas notre pays. Si une majorité de non magistrats est contraire à ces préconisations, tel n’est pas le cas d’une parité entre magistrats et personnalités extérieures. En outre, les arguments en défaveur d’une majorité de magistrats ne manquent pas, comme l’ont d’ailleurs relevé, lors de leurs auditions, tant le Syndicat de la magistrature que le Syndicat Force–ouvrière Magistrats. Le risque de corporatisme a été très largement évoqué.

Lors de son audition, le professeur Guy Carcassonne a mis le législateur en garde contre le risque de remplacer une dépendance politique – par essence « sporadique et lointaine » – par une dépendance syndicale – « constante et bien plus proche ». Prévoir une majorité de magistrats serait encourager le corporatisme d’un corps qui exerce pourtant une très éminente fonction au sein de l’État. Il s’est notamment interrogé sur le crédit qui pourrait être donné aux décisions qui sortiront de la formation plénière qui serait composée d’une écrasante majorité de magistrats.[…]

Le choix retenu par le projet de loi constitutionnelle initial suscite de nombreuses interrogations qui se concentrent sur trois points : le choix d’un président non magistrat ; le choix d’un président unique pour toutes les formations du CSM et donc exerçant son office à temps plein ; l’élection du président par la formation plénière du CSM."

Il n’est pas nécessaire d’être docteur en sociologie politique pour saisir le contenu idéologique de tels propos.

Voici un extrait du texte de la Garde des sceaux présentant le projet de loi, après le rapport de la commission des lois : " Enfin, la composition du Conseil sera paritaire  : « Notre réforme va introduire un équilibre réparateur dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature, entre magistrats et non …magistrats, de manière à faire taire enfin toutes les suspicions de corporatisme ou de récupération politique dont la profession a beaucoup trop fait les frais. »

Selon la volonté des parlementaires, le CSM sera donc composé de huit magistrats et huit personnalités qualifiées. Ces dernières ne seront plus désignées par le pouvoir politique mais par un collège issu de la haute fonction publique." Voir texte complet et vidéo en cliquant ici : ( 28).

Christiane oublieras a donc reculé d’un pas, pardon d’une voix, pour tenir compte de l’avis de la commission des lois

c) Le projet de loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 4 juin 2013

État des modifications apportées par rapport au projet initial (29)

c1) Compte rendu de séance .

Le contenu complet est accessible ici (30 )

Voici une intervention qui résume bien l’état d’esprit de la droite et le (petit)recul du gouvernement et qui augure du rejet du Sénat.

M.Sébastien Huyghe (UMP) "Dans leur écrasante majorité, les personnalités auditionnées ont dénoncé cette dérive autogestionnaire en évoquant une « syndicalisation-politisation » de la justice, un « système oligarchique coupé du système démocratique », une « régression démocratique » ou encore une « réforme USM ».

Par une sorte de retournement surprenant, vous vous êtes finalement repliés sur le principe de parité entre les « clercs » et les « laïcs » au sein du CSM. Un amendement a en effet été adopté, fixant la composition du CSM à huit magistrats et huit personnalités extérieures, contre huit et sept prévus initialement dans le projet de loi constitutionnelle.

En clair la majorité désavoue une nouvelle fois François Hollande en refusant de rétablir la majorité de magistrats. Nous ne pouvons bien entendu que nous réjouir que vous abandonniez cette mauvaise idée en vous repliant sur la solution de la parité entre magistrats et personnalités issues de la société civile. C’est un moindre mal."

Est-il nécessaire de commenter de telles interventions ?

c2) Texte du projet de loi voté par l’Assemblée nationale

On peut accéder au texte complet en cliquant sur l’un des deux liens suivants : (31) et ( 31bis)

Là encore, nous extrayons le passage concernant la composition du CSM

« Art. 65-1. – Le Conseil supérieur de la magistrature a pour membres : « 1° Huit magistrats du siège élus par les magistrats du siège ; « 2° Huit magistrats du parquet élus par les magistrats du parquet ; « 3° Un conseiller d’État élu par le Conseil d’État ; « 4° Un avocat ; « 5° Six personnalités qualifiées n’appartenant ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif, ni aux barreaux, comprenant un nombre égal de femmes et d’hommes.

« Un collège composé du vice-président du Conseil d’État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du premier président de la Cour des comptes, du président d’une instance consultative de protection des libertés publiques et de défense des droits de l’homme et d’un professeur des universités désigne les six personnalités mentionnées au 5° et propose qu’une de ces personnalités soit nommée président du Conseil supérieur de la magistrature. Dans chaque assemblée parlementaire, une commission permanente désignée par la loi se prononce, par avis public, sur le nom de chacune des personnalités ainsi désignées. Aucune ne peut être nommée si l’addition des votes dans chaque commission représente moins des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions

Observations  :

La composition de chaque formation est devenue paritaire : huit magistrats et huit non magistrats Il n’y a plus cinq mais maintenant six personnalités désignées toujours par un collège de 7 personnes.

Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale par 303 voix pour et 222 contre sur 525 votants.

d) Texte du projet de loi (sans grand rapport avec le précédent) voté par le Sénat le 4 juillet 2013

Le texte proposé et voté par le Sénat ne tient pas compte des travaux de l’Assemblée nationale et ne fait que modifier à la marge les articles 64 et 65 de la constitution actuellement en vigueur concernant le CSM. Il vide de son sens le projet de loi voté par l’Assemblée nationale.

Voir le texte en cliquant ici (32)

Le projet de loi sénatoriale a été adopté par le Sénat avec 185 voix pour , 21 contre et 140 abstentions (32bis)

Dans ces conditions, le PS et les écologistes ont préféré s’abstenir tandis que l’UMP, les centristes de l’UDI-UC et les RDSE (à majorité PRG) ont voté pour. Le CRC (communistes) a voté contre. (33)

Rappelons la composition du Sénat lorsque la gauche a été majoritaire de 2011 à fin septembre 2014, donc au moment du vote concernant la réforme du CSM en 2013

UMP : 132 ; UDI – UC : 31 ; Total : 162

P.S. : 128 ; Écologistes : 10 ; CRC 21 RDS E : 19 (dont 12 PRG ; 2 PS ; Chevènement ; Hue) Total : 178 (Source : Wikipédia)

Malgré une majorité de gauche, le Sénat a voté en 2013 pour son propre projet de droite c’est-à-dire contre le projet adopté par l’Assemblée nationale de gauche.

Ce qui est surprenant est le vote des élus du parti radical de gauche. Voir article du Figaro (34 )

On constate donc que le PRG s’est opposé : à la loi contre le cumul des mandats, la loi sur la transparence des revenus et aussi sur celle concernant le patrimoine, contre l’indépendance du CSM.

D) Le projet de loi pour la réforme du CSM n’aboutit pas au vote du congrès

Le Sénat refuse la réforme du CSM, réforme qui aurait pu libérer le CSM du pouvoir exécutif. Le Sénat de droite ne veut pas de la réforme du CSM avec des magistrats majoritaires ni même en parité avec des non magistrats contrevenant ainsi aux avis des différents organismes européens et de l’OCDE pour lutter notamment contre la corruption et plus généralement contre la délinquance financière de certains élus ou membres de gouvernements.

En raison de l’abondance des documents, du nombre d’organismes, de personnalités juristes et indépendantes plaidant en la faveur du projet de loi (qui a d’ailleurs été modifié en tenant compte d’un certain nombre de critiques de députés de droite), l’attitude de la droite sénatoriale et du PRG pose questions.

L’ USM n’est pas un syndicat gauchiste mais est tout à fait modéré, comme les différentes associations de magistrats européennes. Les juristes de l’OCDE et de la Commission européenne sont plutôt des libéraux attachés à l’économie marché. Un tel rejet ne semble pas pouvoir s’expliquer par de simples raisons idéologiques.

Pour être adoptée, cette loi constitutionnelle nécessitait le vote positif aux trois cinquièmes des deux chambres parlementaires réunies en congrès. Le vote négatif du Sénat n’a pas permis une telle issue et a rendu impossible cette réforme nécessaire. Nous allons voir en 2015 ou 2016 si la Garde des Sceaux arrivera à faire aboutir cette réforme en ayant recours, le cas échéant, à un référendum.

Le journal Sud-Ouest écrivait alors début juillet 2013 « Il n’y aura pas de Congrès le 22 juillet à Versailles et il n’y aura pas de seconde lecture à l’Assemblée la semaine prochaine », a annoncé le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies. « Les conditions ne sont pas réunies pour obtenir la majorité des trois cinquièmes » du Parlement (Assemblée et Sénat) réuni en Congrès, a-t-il reconnu. Une telle majorité est nécessaire pour l’adoption d’une réforme constitutionnelle. « La procédure sera reprise ultérieurement », a toutefois ajouté le ministre. (33 )

De même, le journal Le Monde du 04/07/2013 titrait "Le gouvernement suspend la réforme du CSM" (34)

L’USM publiait alors sur son site : Réforme constitutionnelle : chronique d’une mort annoncée ( 35 )

Transparency International dressait un bilan lucide de la situation

Texte complet en cliquant ici.(36) Voici un extrait :

"Face au refus des sénateurs de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Gouvernement a été contraint de suspendre cette réforme le 4 juillet dernier.

Rappelons qu’elle avait été engagée conformément aux engagements pris par François Hollande pendant la campagne présidentielle, notamment en réponse aux 7 propositions de Transparency International France 

Les sénateurs ont par ailleurs supprimé une disposition prévue dans le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux qui visait à interdire les instructions individuelles du ministre de la Justice. Cette disposition a heureusement été rétablie par la Commission des lois de l’Assemblée nationale et le projet est discuté en séance publique aujourd’hui et demain.

Alors que la France vient d’être condamnée une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l’Homme, Transparency International France exprime son inquiétude face à ces atermoiements et rappelle l’importance de mieux garantir l’indépendance de la justice.…"

Nous abordons la réforme des attributions du Garde des Sceaux et des magistrats du parquet au paragraphe 2.3

Hervé Debonrivage


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