1500000 à Paris "unis contre les fascistes, qu’ils soient nationalistes ou religieux"

samedi 17 janvier 2015.
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Pour Charlie Hebdo, un million et demi de manifestants dans les rues de Paris entre la République et Nation, du jamais-vu ! 
La riposte populaire et citoyenne aux crimes perpétrés contre la liberté d’expression s’est révélée bien plus forte que les tentatives de division 
et d’instrumentalisation politiciennes.

Il y a la marche des chefs d’État, bien encadrée par les forces de sécurité, puis il y a la marée humaine, la manifestation, la vraie, qui, dans le désordre et la bonne humeur, rassemble un million et demi de personnes. Cette foule gigantesque sèche ses larmes et panse son effroi en se répandant maintenant sur toutes les avenues, les boulevards et dans toutes les petites rues entre la place de la République et celle de la Nation. Tout ce monde se cherche, se regarde, s’admire aussi de se voir. Franck embrasse sa fille Léa, accrochée à un feu de circulation  : «  Je suis si heureux que tu voies ça  », lui glisse-t-il. «  Papa, c’est pire qu’impressionnant, c’est magnifique  !  » murmure-t-elle.

Dès le début de l’après-midi, Paris est littéralement submergé par la mobilisation populaire et citoyenne. «  Je marche pour la liberté, pas derrière les politiques  !  » clame crânement une jeune femme, loin des caméras. Sur la place de la République, déjà noire de monde, la foule scande, sur le mode des supporters de foot, avec, pour certains, des drapeaux bleu-blanc-rouge  : «  Charlie, Charlie, Charlie  !  » Aux balcons des immeubles, les habitants ont accroché des banderoles  : «  Ici, c’est Charlie  » – toujours dans le même registre – ou, d’une manière plus pressante, «  Restons unis  !  ». Au fil des minutes, les cris finissent par s’éteindre, remplacés par de longs tonnerres d’applaudissements qui montent et descendent sur les boulevards. Il n’y a guère de mots, juste l’image de ce «  Tous ensemble  », le souffle coupé. «  Liberté, je Charlie ton nom  », résume une manifestante.

« Unis contre les fascistes »

À partir de «  Je suis Charlie  », le message générique de ces derniers jours, beaucoup déclinent  : «  Je suis hyper casher  », «  je suis policier  », «  je suis Ahmed  », «  je suis juif  », «  je suis la République  », «  je suis flic  », «  je suis en deuil  », etc. Pancartes bricolées à la main, sur lesquelles beaucoup de manifestants tiennent à s’exprimer. «  Non à la barbarie, non aux amalgames, non à l’intolérance  », revendiquent deux jeunes femmes voilées. Non loin, un barbu clame «  Vive le blasphème  !  » en brandissant une couverture du journal satirique. Deux policiers montrent, eux, «  Tous Charlie  », le montage réalisé par Ernest Pignon-Ernest et Nelly Maurel en dernière page de l’édition spéciale de l’Huma qui s’arrache au bénéfice de Charlie Hebdo.

Le silence. Puis les applaudissements, en salve. Puis de nouveau le silence. La foule, compacte converge de toutes les rues adjacentes pour rejoindre les grands axes sur lesquels les trois cortèges se sont élancés. À bout de bras, en bandoulière, collé dans le dos ou inscrit sur le visage, partout s’affiche le soutien indéfectible aux valeurs de la République. «  En tuant nos libertés, vous avez créé l’unité  », «  Unis contre les fascistes, qu’ils soient nationalistes ou religieux  », «  Toujours debout et insoumis  », les slogans défilent cependant que la foule se densifie.

Céline a voulu faire vivre l’esprit de Charlie Hebdo. Sur un immense crayon découpé dans un morceau de carton, elle a inscrit «  Droit au blasphème. Non de Dieu  !  ». Parce que «  par-delà la tristesse et le choc, et même si parfois, les dessins de Charlie ont pu choquer, nous avons le droit de critiquer la religion  », explique cette jeune femme de trente-quatre ans. À quelques pas de là, des roses blanches à la main et à la boutonnière, elles sont venues entre copines se recueillir en participant à ce grand mouvement populaire qui a envahi, hier, les rues de la capitale. Sylviane, Sophie, Christelle, Zaza et Vanessa crient leur tristesse. Leur colère aussi. «  Nous sommes debout avec cette rose blanche qui signifie la naissance et le deuil. Et même si certains dirigeants politiques tentent de récupérer la situation, après tout, c’est leur affaire, on réglera ça plus tard. Pour l’instant, nous sommes là en tant que citoyennes, pour avoir encore le droit de l’ouvrir et de rire  », explique l’une d’elles.

En effet, les sentiments se mélangent. Devant le 43 de la rue de la République, la CGT a appelé le monde du travail à se rassembler. Les militants de la FSU et de l’Unsa sont venus nombreux. Pour Jean-Philippe, secrétaire de la section des postiers communistes de Paris et syndiqué à la CGT, pas question de ne pas être là aujourd’hui. 
«  Je veux qu’il y ait un après  !  » lance-t-il. «  Je veux que les gens achètent et lisent la presse, s’informent et critiquent. Je veux une prise de conscience.  » Même si le débat a été parfois difficile, «  il est important que nous soyons là aujourd’hui, je suis heureux de défiler, de ne pas laisser toute la place à ceux qui, dans ce défilé, refusent, par exemple, l’idée même d’un État palestinien  », poursuit Jean-Philippe qui estime fondamentale que les forces progressistes soient «  visibles  », parce qu’« elles sont à leur place, ce qui n’est pas le cas de certains autres.  » Céline aussi est révoltée que «  certains petits dictateurs soient là aujourd’hui  ». «  On a choisi un autre itinéraire, on ne défilera pas derrière eux  », précise-t-elle.

« C’est un devoir d’aller manifester »

Patrick est enseignant, syndiqué au Snes-FSU  : «  Depuis trois jours, je comprends plus fort encore l’importance de l’Éducation nationale et la responsabilité des enseignants dans l’écoute et le dialogue avec des enfants qui, parfois, pourraient être tentés par l’obscurantisme  » explique-t-il. Medhi aussi est enseignant. La soixantaine passée, il arbore une pancarte plastifiée sur laquelle «  je suis Charlie  » est traduit en farsi, sa langue maternelle. «  Je suis musulman, je suis laïque, je suis âgé, je suis prof de maths en France depuis 40 ans, je me devais de venir  », confie-t-il. Lui, qui a «  choisi la France  », veut faire passer le message aux plus jeunes. «  Les religieux, je les ai vus s’installer en Iran et, à l’époque, j’aurais dû militer, réagir plus fort. Ces gens ne proposent rien pour l’avenir. Je veux dire aux jeunes qu’ils sont en France et qu’ici, on a coupé la tête de Marie-Antoinette. C’est certainement pas pour remplacer les clochers par des minarets  !  » Pour Medhi, ce qui s’est passé ces derniers jours est grave. Très grave. Mais le peuple résiste. «  Personne n’a peur. C’est pour ça qu’on est là, si nombreux aujourd’hui. Il faut faire vivre nos valeurs au-dessus de tout le reste. C’est le message de Charlie  », poursuit-il. «  Et le message est simple, reprend Medhi, transgresser, c’est progresser.  »

Retour au début de ce dimanche hors normes, 11 h 40. Dans un train de banlieue menant à Saint-Lazare, une jeune femme monte au niveau de la gare d’Argenteuil (Val-d’Oise), son bébé contre elle. Sur le porte-bébé, une petite affichette proclame  : «  Je suis Charlie.  » Aussitôt, les mines grises des passagers s’illuminent. «  C’est vrai, on est tous Charlie. On doit dire non à toute cette violence  », réagit un passager, qui avoue que la dernière fois qu’il est descendu dans la rue, «  c’était en 2002, contre Le Pen  ». Un peu plus tard, sur la ligne 3 du métro, les langues se délient spontanément à la vue d’une «  une  » de l’hebdomadaire satirique épinglée sur le torse d’un jeune homme. «  C’est un devoir d’aller manifester. Ce qui se passe dépasse le massacre des journalistes de Charlie. Il s’agit de défendre la liberté d’expression et des valeurs de la République  », explique au plus grand nombre une passagère. À ses côtés, un homme lâche un  : «  J’espère que le rassemblement se passera bien  », aussitôt suivi d’un  : «  Même pas peur  ! Ils ne nous ont pas tués. Ils ne nous tueront pas  », lui répond sa voisine de banquette, inquiète de voir les stations de métro desservant les abords de la place de la République fermer les unes après les autres en raison de l’afflux ininterrompu de manifestants.

Il est un 12 h 20 à peine et, déjà, les badauds convergent massivement, en famille ou entre amis, vers les abords de la République. Flavie, Alice et Benjamin, tous trois étudiants, font les cent pas à l’angle des rues Voltaire et Oberkampf. Membres de l’Unef (Union nationale des étudiants de France, première organisation étudiante), ils sont venus de Strasbourg spécialement pour l’occasion. «  On a voulu montrer notre soutien en tant qu’organisation mais aussi en tant qu’individus  », confie Flavie, qui arbore le slogan «  Les jeunes pour la République contre les amalgames.  » «  Il y a besoin de se retrouver tous ensemble pour digérer ces événements, mais c’est aussi l’occasion de rendre hommage aux victimes et de défendre la liberté d’expression  », renchérit Alice, convaincue qu’il y aura «  un avant et un après  », tout en se demandant comment toutes «  ces personnes, qui défendent aujourd’hui ensemble des valeurs mais qui n’ont pas forcément les mêmes opinions, vont se comporter demain  »… Élue à Pomérols, petit village de 2 800 âmes de l’Hérault, Catherine Ramouillet est venue à Paris représenter son conseil municipal. «  C’est un geste symbolique.

Que tous les Français, quelle que soit leur confession, soient unis en ces jours terribles, cela m’inspire de la confiance pour l’avenir. Tous ensemble, nous devons combattre le fanatisme à la façon de Voltaire. Et, contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce n’est pas un jour de peur, loin de là.  » Non loin d’elle, Martine essaie tant bien que mal d’accrocher sa pancarte «  Mwen si, Charlie  » (traduction créole du désormais célèbre slogan) à son manteau. Elle évoque ses souvenirs, refoulant des sanglots  : «  J’étais une fan de Cabu. Et j’admirais Charb, son courage. On n’a pas le droit de mourir pour ses dessins… C’est atroce. Je pense aussi à ces policiers qui ont laissé leur vie dans ces attentats, et à ces personnes juste venues faire leurs courses… Mais je reste optimiste. Cette solidarité va peut-être permettre d’éviter que cela ne se reproduise.  »

Scandalisées par l’attentat contre Charlie Hebdo, Eva et Natacha, elles, sont là pour «  refuser tout amalgame, dénoncer cette attaque contre l’esprit critique et contre l’antisémitisme. Il faut voir quel sera le traitement politique à cette crise  ». Pour Stéphane Lacombe, membre de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT), «  il faut absolument montrer notre union face à cette barbarie. Au sein de l’association, nous travaillons à porter la voix des victimes, c’est un acte de citoyenneté  ».

Alors que la foule est si dense, avenue Voltaire, que plus personne ne bouge, une petite fille demande  : «  Il est où, Charlie  ?  » Et sa grand-mère de lui répondre  : «  C’est nous tous, Charlie  !  »

«  Ensemble, unis, pour la démocratie  !  » clamera encore la foule, vers 18 h 30. La nuit est déjà tombée sur le boulevard Voltaire. Les chefs d’État sont partis. La voie est libre pour la population qui a piétiné pendant des heures de l’autre côté de la place de la République. Aux fenêtres ici aussi, les résidents ont affiché leurs mots  : «  Démocratie  », «  Liberté  », «  C’est tous ensemble qu’on s’en sortira  ». Un petit groupe entonne le Chant des partisans, quand les Marseillaises en canon se finissent. Sur de gigantesques pancartes, une photo avec les yeux et les lunettes de Charb fend la foule. À quelques dizaines de mètres, sur le boulevard Richard-Lenoir, non loin du siège de Charlie Hebdo, de nombreux manifestants passent se recueillir à la mémoire de toutes les victimes des attentats terroristes. Tout n’est pas perdu, rien n’est joué.

Mobilisations Jesuischarlie partout dans le monde

Londres, Berlin, Athènes, Madrid, Stockholm, Munich… Les grandes capitales européennes se sont mises à l’unisson 
de la France ce dimanche, elles qui s’étaient déjà mobilisées mercredi, 
au soir de l’attentat contre Charlie Hebdo. Ils étaient ainsi encore plus de 20 000 
à Bruxelles hier. Ailleurs, en écho aux 500 personnes rassemblées à Jérusalem, des dizaines de Palestiniens ont manifesté dimanche à Ramallah, avec une banderole proclamant «  La Palestine est solidaire de la France contre le terrorisme  ». D’autres mobilisations ont été signalées à Ankara, New York, Tunis, Montréal, Buenos Aires, Pékin, Bujumbura, Johannesburg…

Marion d’Allard, 
Alexandra Chaignon et Thomas Lemahieu, L’Humanité


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