Charlie : La gauche est la première dans le deuil (Gérard Filoche janvier 2015)

lundi 22 février 2016.
 

La gauche est la première dans le deuil, ce sont les nôtres qui sont morts assassinés, ceux de nos combats depuis des décennies, ceux qui sont antifascistes, anti intégristes, anti racistes, insolents et intelligents, décapants et percutants, blasphématoires et libératoires, libertaires et révolutionnaires. Oui, ils étaient révolutionnaires et ne laissaient pas les tyrans et la finance, les curés et les sabreurs, en repos. En plus ils étaient artistes, ils avaient le droit de « déconner », de délirer, de déplaire, de choquer, d’avoir des fulgurances, d’innover, de provoquer, tout licence est et doit être permise en art. Donc la gauche qui aime particulièrement cette audace dans les vies, est la première blessée, indignée, mobilisée pour leur rendre hommage pour leur courage, leurs combats, qui étaient aussi les nôtres, c’est notre premier devoir « de classe ». La première émotion, c’est de vouloir continuer à faire vivre ce pourquoi ils vivaient et qui nous rassemble par millions, en France et dans le monde entier.

Que nul ne nous demande le silence, l’autocensure, l’oubli, qu’on ne nous demande pas de changer de couleur, d’idées, de combat. D’ailleurs Charlie hebdo continue à paraitre tout comme Siné mensuel (menacé et protégé aussi). On ne va pas les laisser ensevelir sous des hommages neutralisés et des « unités nationales » factices. Que tous ceux qui veulent, sans partager leurs idées, nos idées, s’associer à nous contre le crime, viennent : s’ils sont nombreux, bienvenue à eux, nous nous en féliciterons. Cela ira dans le bon sens : car il y a un sens à tout ça. Et c’est bien celui de la gauche.

Que nul n’espère enterrer sous les mondanités et les pompes, Charlie hebdo, Siné mensuel et tous les talents, les orientations, les luttes, les vies de tous ces dessinateurs et rédacteurs satyriques révolutionnaires. Pas question, pour les honorer, de les embaumer. Ni Rajoy qui viole les libertés en Espagne, ni Merkel qui a écrasé le peuple grec, ni Renzi l’aventurier qui pille tout aussi scandaleusement le peuple italien, n’ont quelque chose à voir avec « je suis charlie ».

SI « je suis Charlie » c’est que « je suis Charlie » !

Pas aseptisé.

Pas dénaturé. Librement. Foisonnant. Pluriel. Provocateur.

On entend des surprenants rappels au « silence », à l’unanimisme, à on ne sait quelle « décence » inventée et étouffante. Parodie d’hommage hypocrite. Non à ces curieux dévots ! C’est le contraire de l’esprit satyrique et sarcastique qui doit briller de tous ses feux, dévorer et radicaliser les idées – sans encens.

On ne va pas mélanger sur leur tombe, droite et gauche, ils ne l’auraient pas toléré.D’ailleurs les milliers de dessins qui se publient dans le monde en leur honneur ne le font pas.

L’ « unité nationale » c’est du pipeau, pas question d’amalgamer pour mieux noyer ce qui est courageux et ce qui est affreux : vous voulez mettre sur le même plan le RPR UMP qui a interdit Charlie Hebdo et tous ceux qui le lisaient ? Vous voulez mettre dans un même cortège les dirigeants fascistes du FN et les antifascistes que nous sommes ? Réponse : jamais ! Nos points de vue sont irréductibles.

Les deux tueurs étaient Français : deux de leurs victimes étaient d’origine maghrébine. L’une d’elles était musulmane. La « nation » dans pareil cas, ce n’est pas un refuge commun : elle ne solutionne rien.

Il n’y a pas de « nature humaine » commune entre les bourreaux et les victimes, entre les terroristes et leurs cibles. Il y a, en France, parmi les femmes et les hommes, des barbares et des civilisés, des oppresseurs et des oppressés, des milliardaires qui possèdent tout et des pauvres auxquels tout est enlevé, des dominants et des dominés, des révolutionnaires et des contre-révolutionnaires. Ceux qui ont tué sont ils « humains » ? Ce sont des bourreaux abrutis précisément parce qu’ils sont fanatiques, totalitaires, parce qu’ils sont intolérants et obscurantistes religieux, ils ont exécuté sauvagement la liberté d’expression, la liberté de presse, les journalistes, l’intelligence, donc l’humanité : leur camp est celui de l’extrême-droite. Dans ces conditions, qu’est-ce que serait un rassemblement avec le FN ? Au pouvoir ils seraient bourreaux ! Le Pen juge même que c’est le moment pour réclamer la peine de mort, ca veut tout dire ! A petit niveau déjà, dans leurs 11 mairies leur premier souci c’est d’étouffer la culture de toutes celles et ceux qui « sont Charlie ».

Qu’est ce qu’un « appel à l’unité nationale » ? Les chefs de la droite comme Sarkozy n’ont cessé depuis 45 ans, de souhaiter la disparition de Charlie hebdo et l’ont même interdit : alors pas ça, pas eux, pas là, pas dimanche ! S’ils ont des remords, et veulent s’exprimer, qu’ils en trouvent les moyens comme ils l’entendent, en tout cas nous ne signerons pas d’appel avec eux, nous ne marcherons pas derrière eux, ni à leurs côtés, nous serons là, c’est notre manifestation ! Et qu’Eric Ciotti, le censeur UMP, ne vienne surtout pas donner des leçons ni brouiller les lignes en expliquant que « nous sommes tous antijihadistes » (sic).

On manifeste pour la liberté, l’égalité, la fraternité, pas pour le sécuritaire, l’autoritaire, le totalitaire. Et ce n’est pas non plus à un Premier ministre minoritaire et qui divise la société par ailleurs en menant une politique droitière et sécuritaire, qui expulse des Roms dans des conditions indignes, qui parle au nom de la finance, d’« appeler » à une manifestation d’unité dite nationale. Qu’il reste dans sa position pour le moment, pas d’embrouille : les ficelles politiciennes, dans son cas, de « l’unité nationale » sont bien trop grosses, énormes même, ce sont des câbles pour tout autre chose, d’autres fins totalement étrangères à la mobilisation contre l’assassinat de nos amis.

Des millions de gens démocrates et de gauche, réformistes et révolutionnaires, progressistes et humanistes, sont assez grands pour se regrouper et manifester en toute indépendance. Ceux qui ont légitimité ce sont « les Charlie » et il est bon que les syndicats aient tous signé un appel commun uni pour le 11 janvier. Ce sont les associations démocratiques et il est bon qu’elles aient toutes signé un appel commun. Ce sont les personnalités, les intellectuels, les artistes qui sont solidaires et ils appellent tous. Dans ce cadre « vient qui veut ». Toutes celles et tous ceux qui portent un panneau « Je suis Charlie ».

Sinon, si tout est noyé, tout perd sens. Et qui perd dans ce cas là ? La réponse est limpide ce sont les exploités, les chômeurs, les pauvres, les humains tolérants, solidaires, intelligents, dont les causes sont effacées, roulées dans la farine médiatique au nom d’une « unité factice ». La liberté d’expression, celle de Charlie, c’est la liberté de combattre la finance, les financiers, les banksters aussi, et le libéralisme, et le capitalisme ! Car tout le mal en ce siècle, sur la planète et dans notre pays, vient du marasme dans lequel les riches pillards plongent l’humanité, ça vient de LEUR « crise », de la façon dont ils nous l’imposent, et de ce qu’elle nourrit, charrie, déchaine comme obscurantisme, comme xénophobie, comme intégrisme, comme intolérance.

La liberté de Charlie, c’est aussi la liberté de blasphémer oui ou non ? Et ceux qui nous encombrent avec leur religion, quelque qu’elle soit, ils sont des millions, ils ont tous leurs droits, ils s’expriment partout tous les jours, ils ont leurs églises, mosquées, temples, synagogues, grand bien leur fasse, mais ils doivent en retour accepter qu’on soit aussi des millions, à exprimer nous aussi notre opposition à l’obscurantisme qu’à nos yeux elles représentent.

Des interrogations se sont faites jour dans la gauche à propos de la manifestation du dimanche 11 janvier, à Paris, à l’initiative des partis de gauche, des syndicats et des associations démocratiques, du fait que l’UMP y appelait et l’extrême-droite menaçait de le faire.

Il faut dissiper ces doutes. C’est NOTRE manifestation. On doit y être le plus nombreux possible ! Pas question d’hésiter à cause des autres. C’est NOTRE cause. On y va ! Qu’importent les tentatives de la droite et de l’extrême droite : ce n’est tout de même pas eux qui vont nous détourner d’être là, tous ensemble, avec nos partis, syndicats et associations.

Le même cas de figure s’était présenté après les attentats contre la population parisienne devant le grand magasin « Tati » en septembre 1986, avec les mêmes interrogations sur la participation de la droite. Ceux qui voulaient « boycotter », à l’époque, parce que la droite allait être était là, ont eu tort. En nous mobilisant nous-mêmes, le problème avait été résolu car, il y eut cent mille personnes de gauche, et quelques milliers de droite qui s’étaient senti tellement marginalisés qu’ils avaient, très vite, quitté les lieux.

C’est un peu pareil aujourd’hui car les bases de la droite, et a fortiori de l’extrême-droite, ne défendent pas Charlie mais attaquent les musulmans, quelles que soient les précautions de langage prises, depuis l’attentat, par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen.

Nous, nous défendons les droits de Charlie, de Siné et de tous les dessinateurs, caricaturistes, provocateurs de talent. Nous défendons la liberté d’expression alors qu’à la mort du Général de Gaulle, la droite avait interdit la parution de Hara-kiri hebdo (devenu ensuite Charlie-Hebdo) parce qu’il avait titré « Bal tragique à Colombey : un mort ! « La liberté d’expression et le « droit de blasphème » s’arrêtaient pour les Gaullistes à la personne du Général.

Nous défendons une laïcité qui n’est pas à géométrie variable selon qu’elle s’applique au catholicisme (nos pseudos « traditions culturelles » !) ou à l’Islam. Nous ne combattons pas une religion plus qu’une autre. Ni moins qu’une autre. Pour nous, Dieu a toujours été un prétexte à inquisition, exécutions, tueries et ces tueries asservissent les hommes et empêchent leur émancipation. Ceux qui nous font du prosélytisme pour Dieu doivent donc aussi entendre qu’on puisse être athée et qu’on en fasse autant contre la Bible, le Coran, le Talmud. La base de la droite, comme celle de l’extrême-droite, auront d’autant plus que mal à se mobiliser dans cette perspective s’ils savent que nous, la gauche, nous mobiliserons massivement, dimanche sans état d’âme.

Il peut y avoir des millions de personnes et ce seront les nôtres !

Tous à la manifestation à l’appel du PS, du FdG, d’EELV, du PRG, du MDC, du NPA, des huit syndicats, CGT, CFDT, FO, FSU, Solidaires, Unsa, CGC, CFTC, des associations, LdH, Mrap, Licra, SOS-Racisme, Attac…

Dimanche 11 janvier, 15 h place de la République, à Paris.


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