Remplaçons les exonérations de cotisations patronales par des créations d’emplois publics !

samedi 31 janvier 2015.
 

Dans cette note, Hugo Léoni synthétise une récente étude de Clément Carbonnier, Bruno Palier et Michaël Zemmour qui démontre que la création d’emplois publics est plus efficace que les politiques libérales d’exonération de cotisations sociales pour lutter contre le chômage.

Depuis le début des années 1990, la France recourt de manière croissante aux exonérations fiscales pour atteindre ses objectifs en termes d’emploi et de protection sociale. La baisse du « coût du travail » via des dépenses fiscales (ex : exonérations de cotisations sociales patronales) ou la création de niches sociales (ex : subventions fiscales pour les ménages employant des prestataires de services à la personne) constitue ainsi la principale réponse de ces 30 dernières années face au problème du chômage et aux besoins sociaux. Les limites de cette politique, dans laquel s’inscrit le CICE de François Hollande, ont déjà été soulignées à plusieurs reprises : effets sur l’emploi difficile à évaluer, coût important pour les finances publiques et la sécurité sociale, emplois de mauvaise qualité (temps partiel, pas d’accès à la formation…), difficulté de contrôle par l’Etat de l’utilisation des fonds publics et renforcement des inégalités d’accès aux services sociaux.

Quels résultats pourrait-on attendre d’une politique économique où l’Etat investirait directement pour créer massivement des emplois publics dans les services sociaux ? Un début de réponse à cette question peut être trouvé dans un article récent de Carbonnier, Palier et Zemmour. Ces derniers analysent et évaluent les effets possibles sur l’emploi (à court terme1) du remplacement des dépenses fiscales et des niches sociales par un financement public direct d’emplois de qualité dans les secteurs de la petite enfance et d’aide aux personnes âgées en perte d’autonomie (ou encore appelés services d’« investissement social »).

Il est communément admis que des exonérations sur les bas salaires encouragent la création d’emplois à bas salaires et que leur efficacité diminue au fur et à mesure de leur extension aux plus hauts salaires. Les auteurs se limitent donc à l’effet d’une suppression partielle des exonérations s’adressant aux plus hauts salaires ou aux ménages aux revenus les plus élevés (soit l’équivalent d’une baisse de 25% de ces dépenses)2. Ils n’étudient pas l’effet d’une suppression totale de ce type de dépenses et de son remplacement, pour un même montant, par des investissements publics3. Il serait toutefois possible d’étendre les résultats de cette étude à la satisfaction des besoins sociaux qu’exigerait la transition éco-socialiste.

Le coût des politiques d’exonérations générales au niveau proche du niveau médian serait de 62 500 euros par emploi créé4. Cela correspond à plus de deux fois le coût total d’un emploi public décent, évalué à moins de 30 000 euros par an en 20135. En y ajoutant la réduction des dépenses fiscales sur les plus hauts salaires et revenus, ce n’est pas moins de 6 milliards d’euros de dépenses correspondant à un emploi créé pour 62 500 euros dépensés. Le seul transfert de ces 6 milliards des dépenses fiscales vers des programmes d’investissement social financés par l’Etat impliquerait selon les auteurs une création brut de 200 000 emplois, soit 100 000 emplois de plus que si la situation actuelle restait inchangée.

Même en prenant en compte les potentiels effets d’éviction6 que pourrait générer le financement par l’Etat d’emplois publics, le résultat en termes de création d’emploi reste toujours meilleur dans le cas de l’investissement public. Cela est par exemple le cas dans les investissements publics tournés vers les plus pauvres (services de garde ou soins pour les personnes âgées en perte d’autonomie dans les familles modestes) ou les secteurs d’investissement social (éducation, formation, santé publique…).

Contrairement à ce qu’essayent de nous faire croire nos responsables politiques, l’investissement public dans les services sociaux, au moins pour les salaires et les revenus les plus élevés, est donc préférable aux exonérations sociales en termes de nombre et de qualité d’emplois créés. Ces effets sur l’emploi sont une fourchette basse puisque les hypothèses les plus favorables aux politiques de dépenses fiscales ont été retenues. Par ailleurs les auteurs cherchent à évaluer l’effet d’une politique neutre pour les finances publiques et l’effet multiplicateur associé à un investissement public n’est pas pris en compte dans leur analyse alors même que celui-ci peut venir annuler voir dépasser les effets d’éviction potentiels soulignés par les trois auteurs.

Hugo Léoni est maître de conférence en économie et membre de la commission économie du Parti de Gauche, responsable des questions « protection sociale ».

Les auteurs ne discutent pas des effets à long terme de cette politique puisqu’ils estiment que les externalités positives engendrées par celle-ci ne font pas vraiment l’objet de discussions.

Plus précisément, les auteurs ne retiennent dans leur étude que deux grands types de politiques : les exonérations générales de cotisations patronales au-dessus de 1,35 fois le salaire minimum et les dépenses fiscales relevant de la politique de services à la personne et visant les revenus les plus élevés (réductions de l’impôt sur le revenu pour les services à la personne au-dessus de 5 000 euros et crédit d’impôt).

Carbonnier, Palier et Zemmour soulignent pourtant qu’en France, si les analyses s’appuient très souvent sur des hypothèses concernant la relation entre cotisations sociales et emploi, les estimations ne semblent pas montrer de lien significatif entre ces deux variables.

Bunel et al. (2012) indique qu’une réduction de 25 % des exonérations (soit 5 milliards d’euros sur les 20 milliards envisagés par Bunel et al.) sur les plus hauts salaires (ceux proches du salaire médian) entraînerait une destruction de 80 000 emplois. Il vient donc que chaque emploi crée avec ces 5 milliards d’euros coûte en moyenne 62 500 euros. Les auteurs donnent tout de même quelques éléments sur les conséquences que l’on pourraient attendre, d’après les mêmes hypothèses, en cas de baisse de 25 % pour l’ensemble des exonérations générales. Selon eux, cela engendrerait une destruction de 166 000 emplois, ce qui équivaut donc à un coût par emploi de 30120 euros. Ce coût est proche mais toujours supérieur au coût d’un emploi décent.

Pour les auteurs, un emploi décent correspond à un travail payé au salaire minimum, avec un treisième mois, donnant droit à un congé de formation rémunéré, un accès complet à la protection sociale et un encadrement par un(e) cadre.

Pour Carbonnier, Palier et Zemmour, l’effet d’éviction correspond au fait que la création d’emploi publics peut venir se substituer aux emplois financés par le privé. Aussi, les auteurs ne renvoient pas ici à un problème d’éviction par le taux d’intérêt comme on le considère généralement (effet qui n’aurait que peu de sens en période de sous-emploi et de trappe à liquidité). L’effet d’éviction correspond pour les auteurs au fait que l’Etat exerce de nouvelles compétences qui pouvaient être en partie ou totalement pris en charge par le privé auparavant. ↩


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