L’Allemagne doit payer

mardi 3 février 2015.
 

Pour l’instant, faisons comme si nous acceptions la thèse du remboursement obligatoire indépendamment de toutes circonstances. Dans ce cas, si la Grèce doit payer la dette, ne doit-on pas lui rembourser d’abord celle qu’elle détient auprès des autres, de façon à lui permettre de payer la sienne ? C’est exactement ce que dit Tsipras.

Les Allemands ont occupé la Grèce au cours de la seconde guerre mondiale et ils se sont livrés dans ce pays à plusieurs massacres de masse en plus des destructions habituelles. Le comble du cynisme, c’est qu’ils ont fait payer à la Grèce les « frais d’occupation ». Cela représente 168 milliards d’euros actuels. Tsipras a donc prévu de les réclamer à l’Allemagne. « Dès que notre gouvernement sera en fonction, cette question fera l’objet d’une demande officielle » a-t-il déclaré. C’est en effet l’équivalent de la moitié du montant de la dette actuelle. Est-il légitime de réclamer cette somme ? Tenons compte du fait que l’Allemagne actuelle se sent assez comptable des exactions de l’Allemagne nazie pour servir des rentes aux survivants de la Shoah et même pour avoir fait des dons conséquents à Israël, non pour réparer ce qui restera à jamais irréparable, mais comme reconnaissance de sa culpabilité. Cette culpabilité ne peut être ignorée en Grèce et la responsabilité de l’Allemagne dans l’extorsion de fonds violente en Grèce, bien signalée par le terme de « frais d’occupation », ne peut être abrogée. Peut-être dira-t-on que c’est de l’histoire ancienne et qu’il faut savoir tourner la page. Soit. Mais alors la règle doit s’appliquer dans tous les cas.

Ce n’est pas ce qu’a fait la France quand elle a réclamé au nouveau pouvoir russe de monsieur Poutine le paiement des emprunts russes contractés à la fin du dix-neuvième siècle par les Tsars de Russie. Cette dette avait été annulée par le gouvernement des bolcheviks. Cette question des emprunts russes a été réglée par un accord signé en 1997 entre la France et la Russie. Il a consisté en un versement par la Russie à la France 400 millions de dollars ! Les Russes ont donc payé à la fin du vingtième siècle pour une dette dont les premiers titres datent de 1898 ! Mais l’affaire n’est pas close pour autant. Des arrêts du Conseil d’État, déclarent que cet accord entre États n’éteint pas les droits des porteurs privés vis-à-vis de leur débiteur (Conseil d’État n° 226490 à 236070 séance du 12 mars 2003, et Conseil d’État n° 229040 séance du 7 janvier 2004). Peu avant son élection Nicolas Sarkozy avait confirmé cette position. Il l’a fait par écrit. Il s’agit d’une lettre signée le 19 mars 2007 adressée aux porteurs privés réunis en association. En voici le passage clef : « L’accord franco-russe signé le 27 mai 1997 a eu pour effet la renonciation mutuelle des réclamations respectives des gouvernements français et russe. Néanmoins, il n’a pas pour autant éteint les droits de créance des ressortissants français sur le gouvernement russe. La situation n’est donc pas figée ». On ne peut être plus clair. Dès lors, ce qui est vrai face aux Russes cent vingt ans plus tard cesse-t-il d’être vrai face aux Allemands soixante-cinq ans après les faits ? Doit-on rappeler que les crimes des nazis sont imprescriptibles ?

Tout ce qui précède est destiné à donner l’environnement historique et culturel de la question de la dette grecque, qui est présentée comme une sorte de fait indiscutable avec la dose de terrorisme intellectuel habituelle dans ce type de situation. Voici ce qui me frappe le plus : on considère comme un fait d’évidence qu’il y aurait une sorte de « responsabilité collective » des Grecs vis-à-vis de la dette. Pourquoi imputer à tout un peuple les pillages de quelques-uns ? Surtout quand ce petit nombre maquillait les comptes publics pour cacher ses turpitudes. Et cela avec l’aide d’une banque, Goldman-Sachs, que nul n’a inquiétée depuis pour ces faits ? Et pourquoi imputer aux Grecs cette responsabilité collective vis-à-vis d’une telle question alors que l’on se refuse à juste titre à établir une responsabilité collective du peuple allemand dans les crimes du nazisme, alors même que ceux-ci furent commis avec une participation individuelle assez massive, que les moindres images d’archives rappellent sans contestation possible.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message