Après 4 mois de combat rue par rue, les Kurdes ont libéré Kobané

lundi 29 janvier 2024.
 

28 janvier 2015

Histoire, oppression et lutte du peuple kurde

A) Syrie/Kurdistan : dans Kobané, libérée mais détruite

Pour entrer dans Kobané depuis la frontière turque, il faut enjamber les rails de la ligne Berlin-Bagdad. On passe des militaires turcs aux miliciens kurdes en longeant le flanc d’une gare ottomane, qui a longtemps été la principale curiosité de la ville. Derrière une porte de métal s’ouvre l’avenue des Douanes : ce qu’il en reste, du ciel entre deux rangées de bâtiments crevés, de piliers nus et de toitures écroulées au sol. A 200 mètres au sud, sur le rond-point de la place de la Paix, deux gros oiseaux de bétons blanchis à la chaux, presque intacts. Ils ont miraculeusement échappé au désastre.

Les djihadistes de l’Etat islamique (EI) se sont battus de la fin septembre 2014 à novembre pour couper cette voie de ravitaillement vitale pour la ville, qui comptait avant la guerre quelque 70 000 habitants. Puis ils ont été repoussés vers l’est, rue par rue, durant plus de deux mois. Les Unités de protection du peuple (YPG, affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, séparatiste, interdit en Turquie), aidées de peshmergas venus du Kurdistan irakien et de rebelles arabes de l’Armée syrienne libre (ASL), les y ont contraints. Ils ont reçu l’appui de plus de 700 frappes aériennes de la coalition internationale menée par les Etats-Unis. Soit près des trois quarts des bombardements qui ont visé l’EI en Syrie.

« Nous sommes heureux et fiers »

Les YPG affirment avoir chassé, depuis mardi 27 janvier, les derniers djihadistes du quartier de Mektele, à l’extrémité sud-est de la ville. Elles revendiquent « une victoire pour l’humanité, une victoire contre la barbarie et la brutalité de Daech [acronyme arabe de l’EI] ».

Depuis la place de la Paix, ce qui reste de Kobané se situe à main droite : dans une poche qui représente un peu plus d’un dixième de la ville, les quartiers ouest, où vivent tous les civils. Des combattants y passent en voiture, visages plombés de fatigue, levant des trombes de poussière. Parmi eux, on aperçoit un adolescent qui n’a probablement pas 15 ans, en uniforme, une kalachnikov en main. Le reste de la ville est en ruines.

Sur l’avenue qui mène à Jarablous, à l’ouest, Faradoun, 13 ans, traîne dans le magasin d’un parent mécanicien. Les garages de l’avenue ont été transformés en manufactures d’armes. Faradoun est resté en ville durant tout le conflit, il a travaillé à l’atelier. Il s’apprête à aider à nettoyer la carcasse d’un canon antiaérien soviétique, partiellement brûlé.

D’autres habitants sont revenus de leur exil en Turquie (200 000 réfugiés depuis la mi-septembre) depuis un peu plus d’un mois, famille après famille. Les autorités turques et kurdes limitent encore ces passages. Les YPG leur interdisent de s’installer dans le centre et l’est de la ville.

« Nous sommes très heureux et fiers d’avoir battu Daech. Mais il y a eu tant de morts… », raconte Adla Kassou, 41 ans, qui a perdu un frère dans les combats. Elle est revenue en ville il y a dix jours. Sa famille étendue, d’une dizaine de membres, trouve de l’eau dans un puits voisin. Les YPG fournissent l’essence pour un générateur. On en entend vrombir à tous les coins de rue.

La province reste aux mains de l’EI

« Nous nettoyons les rues, nous allons construire un camp de tentes sous les arbres derrière les quartiers ouest », explique Mohammed Saïdi, le chef de l’administration municipale, sous le seul minaret encore debout. « Dans l’est, nous aurons d’abord besoin de bulldozers pour dégager les corps des décombres », qui pourrissent et empuantissent la ville. « Mais nous ne pourrons jamais reconstruire seuls, il nous faudra de l’aide », ajoute-t-il. Pas rebuté par l’ampleur de la tâche, l’administrateur a commencé à faire le bilan des destructions. Il voudrait évaluer le montant des travaux rue par rue.

Une chose simplifiera le travail de cette administration : la ville est aux mains d’une seule organisation, le Parti de l’union démocratique (PYD), émanation en Syrie du PKK. Depuis que le régime de Bachar Al-Assad a abandonné la région aux Kurdes en 2012, le PKK, d’inspiration marxiste, a pris le contrôle de Kobané et des deux autres régions kurdes de Syrie. Après l’attaque de l’EI, les autres partis kurdes ont quitté la ville.

Pour reconstruire, les autorités du Kurdistan syrien devront s’entendre avec la Turquie voisine, où le PKK a mené durant trente ans une insurrection qui a fait 40 000 morts. La Turquie a laissé passer civils, combattants et approvisionnement durant la bataille. Elle l’a fait discrètement, en multipliant les embûches. Elle a aussi laissé passer à grand bruit, fin octobre, les 150 peshmergas venus d’Irak. Mardi, le président de la région autonome kurde d’Irak, Massoud Barzani, rival du PKK, a remercié M. Erdogan pour son rôle dans « le sauvetage » de Kobané.

Enfin, si les Kurdes de Syrie ont reconquis la ville, la province de Kobané reste aux mains des djihadistes. Les Kurdes affirment avoir « libéré » une demi-douzaine de villages, situés entre 4 et 8 kilomètres autour de la ville. Pour pousser plus loin sans attendre un retrait de l’EI, ils devraient progresser en terrain découvert. Il leur faudrait des armes lourdes, des blindés et des chars, ce qu’ils n’ont pas, à l’inverse de l’Etat islamique.

En quatre mois, les combats ont fait plus de 1 600 morts, dont plus de 1 000 dans les rangs des djihadistes.

Louis Imbert (Kobané (Syrie), envoyé spécial du Monde)

B) Kobané libérée, les Kurdes en liesse (Courrier international)

La défaite du groupe terroriste Etat islamique à Kobané est célébrée en Syrie et dans la région turque frontalière. Cet échec prive le groupe d’une base importante mais fait craindre à la Turquie une montée en puissance des Kurdes.

"Une atmosphère de liesse régnait le 26 janvier dans les régions kurdes syriennes et dans certaines villes de Turquie, après l’éviction des djihadistes de l’organisation Etat islamique [EI ou Daech (acronyme arabe)]", écrit le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.

"Les forces de sécurité ont dû intervenir, le 27 janvier, pour empêcher un groupe de personnes de traverser la frontière turque à partir de la ville de Suruç pour aller vers la ville de Kobané (dans le nord de la Syrie). Ce mouvement s’est formé après que les forces kurdes ont annoncé avoir chassé de cette ville l’EI", rapporte sur son site le quotidien turc Hurriyet Daily News.

Côté turc, les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour disperser la foule, précise Hurriyet. "La tension est tombée quand le groupe a renoncé à poursuivre son avancée après l’appel lancé par le Parti démocratique du peuple [HDP, parti kurde, de gauche]. Le parti avait d’ailleurs dépêché à Kobané dix de ses députés." Ces derniers ont posté sur Twitter, ce 27 janvier, une photo montrant six d’entre eux souriant devant des immeubles en ruine avec la légende : "Les premières images de Kobané libre".

Quatre mois de violents combats

Cette victoire des forces kurdes contre l’EI "fait suite à plus de quatre mois de violents combats menés par les forces kurdes avec le soutien prépondérant des frappes quotidiennes de la coalition internationale. Les combats ont fait plus de 1 800 morts, dont plus de 1 000 dans les rangs djihadistes depuis la mi-septembre, selon un nouveau bilan de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH)", souligne L’Orient-Le Jour.

En Turquie, l’attaque de Kobané par l’EI a eu des répercussions profondes. "Le gouvernement turc a fait l’objet de plusieurs critiques pointant son inaction pour sauver la ville. Les manifestations qui avaient eu lieu les 6 et 7 octobre 2014 dans plusieurs villes d’Anatolie [pour dénoncer le manque d’implication de la Turquie] se sont soldées par la mort de 50 personnes", rappelle Hurriyet Daliy News.

Faire chuter le régime en place

L’ambiguïté de la position turque et son refus de participer à la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre les djihadistes en Irak et en Syrie traduisent les craintes d’Ankara de renforcer le camp des Kurdes de Syrie. En tout cas, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a réaffirmé sa position devant un groupe de journalistes dans l’avion qui le ramenait à Ankara au terme d’une tournée en Afrique. "Ce n’est pas à la Turquie de changer sa politique à l’égard de la Syrie. C’est plutôt aux Etats-Unis de le faire. Notre objectif est de faire chuter le régime en place."

Et de rappeler que, malgré les avertissements lancés par la Turquie, les Américains avaient essayé de fournir des armes aux combattants kurdes dans le nord de la Syrie. Armes qui sont tombées entre les mains des djihadistes de l’EI. Selon Erdogan, la focalisation des Etats-Unis et de leurs partenaires occidentaux sur la ville de Kobané, alors que ce qui se déroule à Alep est ignoré, est "significative" des erreurs de Washington "dont l’objectif n’est plus de faire tomber le régime d’Assad".


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