Grèce : l’épreuve de la constitution du gouvernement réussie par Syriza

mardi 3 février 2015.
 

Alexis Tsipras a agi très rapidement pour donner les signes du changement. Premier chef de gouvernement dans l’histoire de la Grèce à refuser de jurer sur la Bible et devant un pope, il a effectué une visite symbolique dans la foulée de sa prise de fonction. Il a ainsi déposé une gerbe de fleurs dans le quartier athénien de Kessariani sur le monument aux 200 héros communistes de la Résistance exécutés par les nazis le 1er mai 1940.

Ce geste se veut symbole de la continuité historique entre les nombreuses générations qui se sont battues au péril de leur vie à travers les décennies – contre la barbarie, pour la démocratie, la justice sociale et l’indépendance nationale – et le nouveau gouvernement. C’est aussi un message aux néonazis de l’Aube dorée qui seront présents de nouveau au Parlement. Enfin, c’est un rappel à l’Allemagne concernant sa dette historique envers la Grèce.

L’alliance avec les Grecs indépendants

Conscient que le moindre vide de pouvoir pourrait avoir des conséquences imprévisibles, Tsipras a réussi à composer une majorité parlementaire avec le petit parti des Grecs indépendants. Bien sûr il s’agit là d’un choix qui pose problème, comme l’écrit justement Stathis Kouvelakis, membre de l’aile gauche de Syriza. Mais les Grecs indépendants ne sont pas un parti xénophobe comme on a pu le lire ici et là. C’est une formation conservatrice sur le plan sociétal, proche de l’Eglise orthodoxe et patriote à la limite du nationalisme. Elle ressemble donc à un parti de droite chrétienne comme il en existe beaucoup en Europe.

Le discours de son chef Panos Kammenos a parfois des relents complotistes. Mais il n’est en aucune façon un raciste xénophobe avéré, comme l’étaient à coup sûr de nombreux membres du précédent gouvernement. En effet, Il n’a jamais flirté avec l’Aube dorée, comme ont pu le faire régulièrement des collaborateurs proches d’Antonis Samaras.

C’est également ce qu’écrit la Amélie Poinssot, correspondante de Mediapart en Grèce, fondée entre autres sur le témoignage du journaliste Dimitris Psarras, l’un des meilleurs experts de l’extrême droite en Grèce. Celui-ci dit : “« Lorsque le parti s’est créé en 2012, il y avait en lui quelques éléments que l’on retrouve traditionnellement dans des partis d’extrême droite, comme le nationalisme, la dimension populiste, le rapport avec l’Église, un agenda anti-immigration. Mais l’identité de ce parti, c’est son positionnement anti-austérité. Dans son mode et son discours, je le caractériserais plutôt comme national-populiste. Il a par ailleurs complètement mis de côté les thèmes qu’il agitait en 2012.”

Concernant la question de l’immigration, le programme officiel des Grecs indépendants adopte certes un discours de « fermeté » mais qui est essentiellement du verbalisme. Dans le fond il ne demande que la reforme des accords européens (Dublin II et III) qui piègent des milliers de demandeurs d’asile dans le premier pays d’entrée à l’Union, en l’occurrence la Grèce.

Par ailleurs, la sous-ministre chargée de l’immigration Tassia Christodoulopoulou, membre de Syriza, est une défenderesse de long date des droits des immigrés. Celle-ci a annoncé très vite après sa prise de fonction son attention de naturaliser les milliers de jeunes d’origine étrangère nés en Grèce qui ne peuvent obtenir la nationalité Grecque ainsi que le remplacement les camps de rétention indignes pour les demandeurs d’asile par des centres d’accueil.

Au niveau économique le parti souverainiste de Kammenos a tenu bon sur sa ligne anti-austeritaire et pro-sociale depuis 2012 malgré les pressions incessantes incluant des tentatives de corruption de ses députes. Etant donné le fait que la relance de l’économie et la négociation de la dette sera la priorité du gouvernement il s’agit donc d’un choix pragmatique et cohérent de la part de Tsipras.

La participation de Kammenos au gouvernement en tant que ministre de la Défense compliquera un certain nombre de reformes importantes comme la séparation de l’Eglise et de l’Etat ou le mariage gay pour lequel Syriza est favorable. Mais elle permet à Tsipras de montrer qu’il a su composer un gouvernement d’union qui déborde largement le périmètre de son propre parti et de disposer au sein du gouvernement d’un interlocuteur crédible aux yeux des militaires. C’est aussi le point de vue de Panayotis Grigoriou, ethnologue, historien et chroniqueur infatigable du drame grec.

L’économie en priorité (mais sans banquier)

Sous la houlette de Yannis Dragasakis, vieux sage qui sera vice-premier ministre et coordinateur général, le gouvernement semble à la fois cohérent et équilibré. Les ministères de l’économie et du développement seront entre les mains des professeurs d’économie modérés, respectivement Yannis Varoufakis et Yorgos Stathakis.

Varoufakis a un profil intéressant : blogueur et twitto invétéré, il a été professeur d’économie en Australie et aux Etats-Unis avant de travailler pour la société des jeux vidéos mondialement connue Valve. Ancien conseiller de George Papandréou, il n’a pas sa langue dans sa poche. Connaisseur de l’establishment financier mondial il aura la charge de mener les négociations avec les créanciers. Ce choix, un peu surprenant, a fâché d’autres économistes plus à gauche comme Yannis Milios et Euclide Tsakalotos, pressentis pour ce ministère. Mais c’est un choix tactique intéressant en vue des négociations sur la dette qui peut s’avérer efficace.

Aux côtés de Varoufakis se retrouve une militante historique de la gauche grecque, Nadia Valavani, qui sera elle chargée de gérer le budget (et éventuellement de contrôler les mouvements du premier) . Une autre femme, Rania Antonopulou, directrice jusqu’à hier du programme Gender Equality and the Economy au Levy Institut de New York, prendra en charge la dure bataille contre le chômage. C’est une technocrate keynésienne plutôt classique qui défend le concept de l’Etat employeur en dernier ressort. Elle travaillera sous la houlette de Panos Skourletis très proche collaborateur de Tsipras et désormais ministre du travail.

Le choix d’économistes plutôt libéraux est contrebalancé par la nomination de Panayotis Lafazanis, chef de file de l’aile gauche de Syriza, au super ministère de la relance productive, de l’énergie et de environnement. Lafazanis, plutôt de tendance productiviste, sera flanqué par un sous-ministre de l’environnement membre des Verts, Yannis Tsironis. Ca sera intéressant d’observer si un équilibre sera trouvé ou si des conflits larvés se développeront entre Lafazanis le communiste et Tsironis l’écolo. En tout cas le premier a déjà fait savoir qu’il était hors de question de procéder à la privatisation de DEI, la société publique de production d’énergie, prévue par les accords du précédent gouvernement avec la Troïka.

Tsipras a décidé de créer un sous-ministère spécial pour la bataille contre la corruption, signe que c’est aussi une priorité pour son gouvernement. Il y a nommé Panayotis Nikoloudis, un procureur jusqu’à récemment à la tête de l’Autorité contre la corruption. La rude tâche de démocratiser les forces de police a été confiée au professeur de criminologie Yannis Panousis, ancien membre d’une formation qui n’a pas réussi son entrée au Parlement, la Gauche démocratique (DIMAR).

Son supérieur direct, ministre de l’intérieur, sera Nikos Voutsis cadre de Syriza expérimenté et pugnace qui a déjà eu maille à partir avec la police lors de nombreuses manifestation comme dans le cliché ci-dessous retweeté à foison. Le fait que le fils de Voutsis est un anarchiste revendiqué qui vient de sortir de prison rajoute du piment à la situation.


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