Législative partielle dans le Doubs : les leçons du « séisme souterrain » du vote FN

jeudi 12 février 2015.
 

En politique, les mouvements souterrains et invisibles sont souvent bien plus déterminants que les éruptions, fussent-elles électorales. Au lendemain du scrutin législatif partiel dans la quatrième circonscription du Doubs, le paysage politique est inchangé en apparence : le socialiste Frédéric Barbier a sauvé le siège de Pierre Moscovici, le Front national n’a pas gagné de nouveau siège de député. Mais il n’y a qu’en surface que le séisme a été évité. Car, face à la dynamique électorale du FN, les digues tombent les unes après les autres et emportent avec elles quelques-unes des certitudes passées en matière de comportement électoral.

D’abord sur la nature du vote Front national. L’électorat du FN a longtemps été présenté comme fragile, soumis à l’abstention, à la désaffection, imprévisible jusque dans les sondages qu’il fallait corriger pour pallier la sous-déclaration des électeurs FN. Certes, dans le Doubs, le candidat socialiste a fortement progressé (+23 points), ce qui lui a donné la victoire finale avec 860 voix d’avance. Mais Frédéric Barbier bénéficiait de réserves potentielles de suffrages venant des candidats de gauche du premier tour (8 % des voix). Le reste est probablement venu, pour l’essentiel, d’abstentionnistes du premier tour. Un « sursaut républicain » incontestable.

« SURSAUT FRONTISTE »

Mais à ce « sursaut » a répondu un « sursaut frontiste » presque équivalent — et cela marque une victoire pour le parti de Marine Le Pen. Traditionnellement, en effet, la hausse de la participation handicape l’extrême droite : le FN mobilise au maximum son électorat dès le premier tour, le PS et l’UMP possèdent davantage de réserve de voix chez les abstentionnistes. Le scrutin dans le Doubs vient infirmer en partie cette analyse. Le FN a progressé de 16 points, notamment dans des communes où l’abstention avait été forte au premier tour. On le savait, mais il faut le dire et le redire, le vote FN n’est plus seulement un vote protestataire, un vote de colère, il est un vote de conviction, d’engagement, il est un vote pour un jour gagner une élection nationale.

Ensuite sur la stratégie des partis de gouvernement. L’écart final (51,5 % contre 48,5 %) est un indice de la faible marge de manœuvre dont bénéficient aujourd’hui les formations politiques traditionnelles. Le PS et l’UMP ont toujours considéré en leur for intérieur que si l’autre était éliminé au profit du FN, un boulevard s’ouvrait à eux pour le second tour — d’où la tentation, depuis les années 1980, de considérer que le FN pouvait être, cyniquement, une mauvaise nouvelle démocratique mais une bonne nouvelle électorale. Faute de proportionnelle, le FN ne semblait pour sa part capable de l’emporter qu’à la faveur de triangulaires, comme ce fut le cas pour Gilbert Collard (Gard) et Marion Maréchal-Le Pen (Vaucluse), aux législatives de 2012. Les élections locales, comme les municipales ou les cantonales, constituaient des obstacles presque insurmontables.

DES « CONSIGNES DE VOTE » DÉPASSÉES

Les élections municipales de mars 2014 ont marqué une brèche importante avec le gain, pour le FN, de onze mairies et l’élection de près de quinze cents conseillers municipaux — qui constituent autant de candidats déjà connus localement pour les élections cantonales. Le Doubs prouve que l’extrême droite a désormais la capacité de l’emporter dans un duel, notamment face à la gauche. Cette donnée est essentielle : lors des prochaines élections cantonales, en mars, les candidats devront obtenir 12,5 % des inscrits pour avoir le droit de se maintenir au second tour dans le cadre de triangulaires. Ce qui signifie qu’avec une abstention probablement élevée (elle avait atteint 55,6 % en 2011), les triangulaires sont peu probables. L’enjeu du premier tour sera de savoir qui du FN, du PS ou de l’UMP ne sera pas qualifié pour le second tour — et le scénario du Doubs répété des dizaines sinon des centaines de fois.

La troisième leçon est le retard des partis politiques. En cela le comportement des électeurs de droite est saisissant. Dans les communes qui avaient le plus voté pour l’UMP au premier tour, l’augmentation de la participation est bien moins importante que dans le reste de la circonscription, et le FN progresse davantage que le PS. Le brouhaha qui s’est dégagé de la Rue de Vaugirard cette semaine ne semble pas avoir intéressé les électeurs qui ont voté — ou pas — en leur âme et conscience. L’idée qu’il puisse y avoir des « consignes de vote » est totalement dépassée, mais les partis continuent d’y croire, comme si les électeurs ressemblaient à des militants.

Et la situation n’est pas meilleure pour la gauche. D’abord pour les partis qui voudraient incarner une alternative au PS : ni le Front de gauche ni les écologistes ne parviennent à exister dans les débats et dans les urnes. Plus gênant encore, si l’on repense au séisme du 21 avril 2002. A l’époque, la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle face à Jacques Chirac avait provoqué une onde de choc sur le thème du « plus jamais ça ». La situation est aujourd’hui très différente : plus fiables qu’auparavant, parce que les électeurs frontistes ne se cachent plus, les sondages donnent un FN très haut.

Cela avait été le cas lors des élections européennes où le FN était annoncé autour de 25 % et avait obtenu 25 % des voix, en tête dans soixante et onze départements, sans que cela provoque de réaction dans la société.

Cela risque d’être le cas en mars, où des sondages donnent le FN proche des 30 % — avec toutes les précautions d’usage quant à un sondage un mois avant un scrutin. Il fallait auparavant des conditions exceptionnelles pour que le FN soit élu. A l’avenir, il faudra parfois une conjonction de facteurs tout aussi particulière pour qu’il ne l’emporte pas.

Nicolas Chapuis Journaliste au service Politique

Luc Bronner Journaliste au Monde


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