Accords de libre-échange Les services publics menacés jusqu’au niveau local

mercredi 18 février 2015.
 

Que ce soit CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) entre l’Union européenne (UE) et le Canada, GMT (Grand marché Transatlantique) entre l’UE et les États-Unis, TISA (Trade in Services Agreement) entre 23 pays du « Nord », les multiples accords de libre-échange et de libéralisation des services qui sont en négociation par l’Union européenne remettent en cause les services publics. Si la destruction des services publics nationaux est aujourd’hui ancienne et même assumée - il suffit de voir les privatisations d’Air France, de France Télécom-, les atteintes aux services publics locaux sont peu connus.

Le Grand marché transatlantique, de son vrai nom le Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement, qui est en cours de négociation entre les États-Unis et l’Union européenne aura des effets non négligeables sur les collectivités locales. L’accord devrait comporter trois volets : la suppression des barrières douanières, l’harmonisation des barrières non tarifaires, l’instauration d’un tribunal d’arbitrage en vertu du système ISDS, Investor State Dispute Settlement, soit le règlement des litiges entre investisseurs et États. L’objectif de l’accord étant d’assurer un niveau maximal de libre-échange de marchandises, de capitaux et de services entre les deux entités économiques. Il est censé entrer en vigueur d’ici à deux ans. La particularité de l’accord est qu’il s’applique à tous les niveaux de gouvernement : local (communal), intermédiaire (départements, régions) et national.

L’arbitrage privé, dit ISDS, est le volet le plus dangereux concernant les collectivités territoriales. En effet, ce mécanisme instaure le principe de protection des investisseurs. Il les protège contre « l’expropriation directe et indirecte », contre des « mesures déraisonnables » (terme du mandat de négociation fourni par les États-membres à la Commission européenne le 14 juin 2013), et contre une concurrence faussée par des investissements publics. L’expropriation directe, c’est la réquisition, la nationalisation, ou la reprise en gestion publique locale d’un service public. L’expropriation indirecte est bien plus pernicieuse : elle concerne les mesures qui portent atteinte à l’investissement, qui réduisent les rendements des investisseurs. Par exemple, l’insertion dans un contrat de marché public de clauses environnementales ou sociales, l’instauration de politiques sanitaires ou écologiques (paquets de cigarettes neutres, indicateurs de polluants sur les produits de consommation, sacs en papier et non en plastique etc.) qui visent à protéger les consommateurs / usagers, pourra être perçue comme une expropriation indirecte. Enfin, la concurrence faussée par des investissements publics est devenu un grand classique en Europe. Une entreprise, association, structure qui bénéficie d’un soutien financier public, ou qui occupe une position dominante sur un marché grâce à l’appui de la puissance publique, est perçue comme faussant la concurrence. Ainsi, d’après le mandat de négociation, les aides publiques devront être équitables entre tous les acteurs d’un secteur ou ne pas être. Autrement dit, si un maire veut construire une crèche avec de l’argent publique, ou subventionner la construction d’une crèche associative, il doit participer pour le même montant au financement d’une crèche privée. Dans les trois cas évoqués, si l’exécutif local ne se plie pas au principe de protection des investisseurs, il s’expose à des poursuites devant les fameux tribunaux d’arbitrages. Ce sont des structures entièrement privées, non soumises aux juridictions et aux lois des États, dont les juges sont d’anciens avocats ou professeurs de droit proches ou anciens membres des grands cabinets d’affaires américains, et qui gagnent leur argent à la procédure. Ils n’ont en effet pas de salaire fixe. Le prix moyen d’une affaire est de 8 millions d’euros aujourd’hui, dans les tribunaux d’arbitrage déjà existants. Autrement dit, les collectivités face aux multinationales ne feront pas le poids et devront trouver un accord à l’amiable ou perdre beaucoup d’argent et dédommagement et frais d’avocat.

Pour être concret, donnons quelques exemples de services publics remis en cause. Selon toute vraisemblance, la reprise en gestion publique d’un service public géré de délégation de service public (DSP), comme l’eau, sera sinon interdite, au moins extrêmement difficile. En effet, cela pourrait être jugé comme une expropriation a fortiori si l’exécutif local décide par exemple de casser et de dénoncer un contrat de DSP mal négocié par une majorité précédente, ou si la reprise en gestion publique n’est pas annoncée longtemps à l’avance au délégataire. Les centres de santé municipaux risquent, si l’on suit la logique du traitement équitable, d’exercer une concurrence déloyale par rapport aux centres privés, en premier lieu les cliniques. Ainsi, les collectivités devraient subventionner les établissements privés à même hauteur que les établissements publics, ou n’en financer aucun. Le mandat de négociation spécifie, au titre de l’harmonisation des barrières non tarifaires et de la protection des investisseurs, que toute forme de protectionnisme national ou local, de soutien aux PME est interdite. Cette mesure étant déjà prohibée dans les marchés publics européens, elles s’adressent donc d’abord aux marchés publics américains. Cependant, ce principe s’en retrouvera renforcé et il ne sera plus possible d’exiger d’une entreprise qui s’implante sur son territoire qu’elle favorise l’emploi local ou la sous-traitance locale. Le Canada a été condamné par l’OMC pour avoir instauré une telle mesure dans l’Ontario, lors de l’implantation de Samsung. Concernant les politiques locales, un marché public de gestion des espaces verts interdisant l’usage de pesticides pourra être jugé comme une atteinte aux investisseurs, puisque réduisant a priori ses bénéfices, a fortiori si le précédent marché public les autorisait.

Mais la libéralisation des services publics n’est pas l’apanage du GMT. L’Union européenne à travers sa législation est à la pointe de la libéralisation des services, y compris publics. Les États ne sont pas en reste, eux qui négocient dans l’opacité la plus totale à l’ambassade d’Australie à Genève l’accord TISA. Ces nouveaux services publics bientôt gérés par le privé favoriseront les secteurs rentables de leurs activités et délaisseront ce qui est déficitaire. Il y aura donc rupture de l’égalité. Les premières victimes seront les classes populaires. Le service public permet de se soigner, d’être éduqué, de se déplacer, de communiquer etc. en assurant le coût à la communauté. Il le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Détruire les services publics, c’est donc s’attaquer aux classes populaires.


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