POUR UNE APPROCHE LAÏQUE DES CONFLITS AU MOYEN- ORIENT

lundi 9 mars 2015.
 

Alain BILLON Ancien député, responsable Maghreb-Machrek au Parti de Gauche (France)

Ce texte doit beaucoup à un ouvrage de Georges Corm, éminent économiste et historien libanais. L’ouvrage, paru en octobre 2012, a pour titre : « Pour une lecture profane des conflits » et pour sous-titre : « sur le retour du religieux dans les conflits contemporains du Moyen-Orient » et en fait, presque partout dans le monde, et ce, depuis la fin de la Guerre froide, à la fin des années 90.

L’étude de l’enchaînement des conflits du Moyen-Orient depuis la fin de cette période, montre que leurs justifications majeures, telles qu’elles ont été formulées notamment par l’école des « neo-cons » américains qui ont exercé sur le président des Etats-Unis Georges W. Bush junior, et sur la politique internationale de celui-ci, l’énorme influence que l’on sait, se sont inscrites dans le sillage de la thèse mortifère et débilitante du « choc des civilisations » (théorisé dans le célèbre ouvrage du même nom de l’américain Samuel Huntington), et de la « lutte contre le terrorisme transnational » (islamiste par définition).

Georges Corm écrit dans l’avant-propos de l’ouvrage cité plus haut, à propos du « choc des civilisations » : « Depuis que cette thèse a été popularisée dans le monde entier, nous sommes dominés par une vision binaire pessimiste du monde qui n’en finit plus d’enfler au point qu’elle a créé un environnement favorable à l’éclatement de toujours plus de violence ». Cette vision binaire pessimiste du monde est indissociable de la superstructure idéologique des puissants mécanismes qui ont permis depuis la fin des années 1990, de paralyser les oppositions mondiales aux guerres injustes (comme la 2ème guerre d’Irak, ou les dernières opérations d’Israël contre Gaza), et d’étouffer la pensée objective du réel et de ses complexités. Parmi ces mécanismes figurent la puissance des représentations médiatiques (et académiques) portées par l’imaginaire du « retour du religieux », la manipulation de la mémoire et de l’histoire, l’instrumentalisation de prétendues valeurs politico-religieuses pour susciter des conflits, et aussi la relation perverse entre les intérêts géopolitiques des Etats-Unis et de leurs vassaux comme Israël et les Etats du Golfe, et leur prétention à défendre dans l’ordre international des idéaux religieux, ou l’application sélective du droit international, autrement dit la généralisation du principe dévastateur des « deux poids, deux mesures ».

Nous autres, hommes et femmes de la Gauche, nous savons bien que le conflit israélo-palestinien qui parcourt toute l’histoire du Moyen-Orient depuis près de 70 ans, n’a rien d’un conflit religieux, c’est un conflit colonial ; ce n’est pas la religion qui au sein de l’« Arc Chiite » rapproche le régime de Bachar el Assad dominé par les alaouites, de l’Iran chiite, mais de pures contingences stratégiques ; ce n’est pas la soi-disant rivalité religieuse entre sunnites et chiites qui oppose fondamentalement l’Iran et l’Arabie Saoudite, mais bien plutôt la lutte pour le leadership au Moyen-Orient ; enfin l’irruption médiatique de l’Etat Islamique, ce « monstre providentiel » selon la formule du politologue Peter Harling, et la reconstitution du Califat sunnite aboli en 1924, ne sont que les derniers exemples particulièrement caricaturaux de cette collusion du religieux et du politique, qui est devenue la norme politique au Moyen-Orient, et qui l’entraine dans une descente aux enfers sans fin (qu’on veuille bien pardonner cette métaphore religieuse…), avec toujours plus de peurs, de haines, de divisions, de souffrances et de morts, mais surtout avec une soumission globale à l’impérialisme et au néolibéralisme partout inchangées voire renforcées dans la région.

Redisons-le : il n’y a rien à attendre de positif, d’aucune forme d’islam politique, quelle qu’elle soit. Les mouvements islamistes se retrouvent toujours du côté des forces réactionnaires, néo-libérales, alliées de l’impérialisme. Aucune alliance, aucune tolérance ne doit donc s’envisager avec elles. Et quand dans un pays, elles s’avèrent incapables d’assumer le pouvoir auquel elles aspirent, l’impérialisme a tôt fait de susciter une autre forme de domination : une dictature militaire comme en Egypte, ou un pouvoir réactionnaire classique, plus « soft » au début, comme en Tunisie.

L’évolution historique, notamment en Europe, a abouti partout à des sociétés sécularisées, dont l’exemple le plus abouti est la France, avec sa loi de « séparation des églises et de l’Etat » de 1905. La défense intransigeante de la laïcité, dont il faut redire qu’elle n’est pas opposée aux religions et à leurs dogmes, mais à leur intervention dans la sphère publique, a très généralement été l’apanage de la Gauche et un des axes majeurs de son action (même si des individualités marquantes de la Droite ont pu la rejoindre sur ce terrain).

Aujourd’hui, où plus que jamais les forces de Gauche de la rive Nord et de la rive Sud de notre commune Méditerranée sont appelées à définir les fondements stratégiques de la lutte contre leurs adversaires communs que sont l’impérialisme, le néocolonialisme et le néolibéralisme, elles doivent faire sans restriction de la défense et de l’illustration de la laïcité un de ces fondements stratégiques. Ce combat laïque pour la séparation de la chose publique, la respublica, et du religieux, qui est inséparable des progrès de la démocratie et de l’émancipation individuelle dans nos sociétés, doit être désormais symétriquement mené, avec la même détermination en politique internationale. Même si cela peut parfois susciter des réactions (sincères ou non) de rejet ou d’incompréhension. Ne laissons personne dire ou laisser dire que la lutte politique pour la sécularisation est synonyme d’athéisme ou simplement d’irréligion. On a trop vu les conséquences dramatiques et les régressions qu’ont entraînées les capitulations fussent-elles tactiques sur ce terrain. Portons-nous au secours de tous ces militants des organisations progressistes des pays de la rive Sud qui ont vu avec crainte les valeurs laïques et républicaines issues de la philosophie des Lumières battues en brèche et niées au nom d’idéologies obscurantistes ou simplement communautaristes de la vie publique qui se sont imposées à la faveur de ce résistible mouvement de « retour du religieux ». Celui-ci ne tardera pas, soyons-en sûrs, à amorcer son déclin, pourvu qu’on s’oppose à lui avec conviction et détermination.

La fidélité à cette valeur fondamentale de notre culture politique, et de notre ADN qu’est la laïcité, constitue le seul antidote véritablement efficace contre l’engrenage mortel où nous conduit l’idéologie du « choc des civilisations » que nous avons trop longtemps laissé nos adversaires nous imposer. Tel doit donc bien être désormais pour nous, un des principes majeurs sous-tendant l’action de la Gauche en toutes circonstances !

Alain B.


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