Valls et Sarkozy : ces pyromanes qui crient Au feu...

mercredi 18 mars 2015.
 

A entendre certaines éminences le débat hexagonal ne tourne plus qu’autour d’un sujet : le Front national et son éventuelle accession, demain, aux plus hautes responsabilités.

D’un Manuel Valls clamant, chaque fois que se tend vers lui un micro, son effroi que la France « se fracasse sur le Front national », à un Nicolas Sarkozy dissertant laborieusement, dans l’espoir de ramener au bercail ses partisans tentés par le nouveau lepénisme, sur le thème du « FNPS » (je ne veux même pas, ici, m’appesantir sur les insanités proférées par Monsieur Darmanin à l’encontre de Christiane Taubira, ni sur les élucubrations de Monsieur Le Guen écrivant dans une note de la Fondation Jean-Jaurès que le frontisme était devenu « le combat prioritaire de la gauche »), les deux partis d’alternance n’ont plus un mot pour évoquer ce qui préoccupe au quotidien nos concitoyens, à commencer par la souffrance devant le chômage et la précarité, la dégradation des conditions d’existence, l’angoisse pour le devenir des jeunes générations, le déchirement des liens de solidarité censés permettre à tous de faire société, le sentiment que le pays est frappé d’un inexorable déclin…

Que l’on m’entende bien. Loin de moi l’idée de reprocher au Premier ministre son refus de la banalisation d’un phénomène qui nous menace du pire. Quoi qu’en disent de plus en plus fréquemment divers représentants de l’UMP, confondant le caractère légal d’un parti se soumettant au suffrage universel avec la sincérité de ses professions de foi, la formation de Madame Le Pen ne s’inscrit en rien dans le champ républicain. Du fait de sa filiation avec la tradition des fascismes de l’Entre-Deux guerres, du fait d’un programme promettant rien de moins que de réorganiser la France en fonction de l’appartenance ethnique de ses habitants (tel est bel et bien le sens de la fameuse « préférence nationale »), du fait d’un discours entretenant un climat de violence (les injures proférées par Madame Maréchal-Le Pen, récemment, dans l’Hémicycle, n’en sont-elles la dernière expression en date ?) puisque principalement destiné à susciter la Haine de l’Autre, rien ne doit être négligé pour produire les anticorps à même de combattre le virus qui nous infecte.

À condition, toutefois, que les postures martiales du locataire de Matignon n’aient pas pour unique visée de remobiliser le peuple de gauche en recourant aux vieilles ficelles de la dramatisation, sans un seul instant daigner s’interroger sur les raisons du séisme annoncé. L’expérience le démontre amplement, ce genre d’opérations aboutit systématiquement au résultat inverse à celui que l’on prétend rechercher. À supposer d’ailleurs que la tension créée autour de l’enjeu fît revenir aux isoloirs quelques centaines de milliers d’électeurs, ce dont on ne saurait bien sûr que se féliciter, l’inexistence de toute dynamique porteuse d’espoir se transformerait inéluctablement, dès le lendemain de l’élection, en un nouvel argument pour un parti qui ne progresse qu’à la faveur du désarroi du peuple.

UNE POLITIQUE QUI AGGRAVE LA CRISE FRANCAISE

Si l’héritière de la tribu Le Pen peut, en 2017, se retrouver à l’Élysée, comme le souligne à juste titre Manuel Valls, c’est que ses voiles se gonflent d’une crise française qui prend, chaque jour davantage, un tour paroxystique. Que l’économie entre dans la zone rouge de la déflation, comme l’Insee vient de le relever, tandis que l’austérité conjuguée aux mécanismes de la globalisation marchande et financière n’en finit pas d’appauvrir la population, interdisant d’envisager une relance créatrice d’emplois autant que génératrice de réindustrialisation. Que la République s’affaisse faute désormais de fonder sa vision du vivre-ensemble sur un pacte social concrétisant la promesse d’égalité et offrant aux citoyens un réel horizon de progrès. Que la souveraineté, celle du peuple inextricablement imbriquée à celle de la nation, se voit en permanence battue en brèche par les ayatollahs de Bruxelles et les représentants du gouvernement de Madame Merkel, lorsqu’ils enjoignent les représentants élus des Français de détruire au plus vite tout ce qu’il subsiste des conquêtes du Conseil national de la Résistance. Que la parole politique dominante se retrouve totalement discréditée, dès l’instant où la droite traditionnelle et la gauche présentement gouvernante ont tour à tour bafoué leurs promesses, qu’elles communient en une identique soumission à des marchés prédateurs et à des actionnaires cupides. Que le fossé se creuse en permanence entre ceux « d’en bas » et ceux « d’en haut » lorsque des institutions épuisées reproduisent en boucle pratiques oligarchiques, mécanismes de corruption, ou consanguinité entre haute technocratie d’État et monde des affaires. Dit avec d’autres mots, la crise française atteint un point de non retour quand elle embrasse tous les domaines, l’économie, les relations sociales, la vie démocratique, la conformité des fonctionnements politiques avec la morale la plus élémentaire, l’identité même de la communauté nationale…

Évidemment, comme moi, vous avez noté que revenait en force, dans la bouche des porte-parole de l’exécutif, l’antienne selon laquelle l’économie allait de nouveau bénéficier d’un « alignement favorable des planètes » (le ridicule de la formule en dit assez le sérieux…). Pour résumer, des chiffres un peu moins dramatiques en matière de chômage, de très bas taux d’intérêt, les efforts du président de la Banque centrale européenne pour éviter la déflation au continent, ou encore l’apparente reprise dont semblent bénéficier les États-Unis seraient autant d’indices justifiant l’optimisme. Un optimisme caractérisant toutefois la seule sphère gouvernementale. Les économistes les plus orthodoxes alignent, à l’inverse, les motifs d’inquiétude : une inflation « négative » (les Importants adorent pratiquer l’euphémisme…) qui empêche des dispositions telles que la pression sur les salaires des fonctionnaires ou la désindexation des retraites de rapporter autant que prévu aux caisses de l’État ; une demande si anémiée par l’austérité qu’elle n’incite nullement les entreprises à investir de nouveau ; des plans de suppression massive d’emplois qui se dessinent jusque dans nos industries de souveraineté (comme l’aéronautique, j’en perçois chaque jour les effets dans ma région de Midi-Pyrénées) à leur tour touchées de plein fouet par les stratégies financières des grands groupes multinationaux ; la persistance prévisible, à l’échelle de l’ensemble de l’Europe, d’une phase de stagnation ou de croissance molle interdisant d’imaginer une régression significative du nombre des chômeurs à temps plein ou partiel…

Qui peut, dans ces conditions, s’étonner que toutes les enquêtes d’opinion convergent sur le constat qu’une majorité absolue des ouvriers, mais aussi autour de 40% des employés, ainsi que plus du tiers des jeunes entre 18 et 35 ans affichent leur préférences frontistes lorsqu’on les interroge sur leurs choix de 2017 ? La tendance s’aggrave d’ailleurs lorsque les sondés sont sollicités sur le second tour de la présidentielle, en cas de duel Le Pen-Hollande. Ce sont alors 70% des ouvriers, 64% des employés et plus de 60% des jeunes qui disent envisager de se reporter sur la présidente du FN. À l’aune de tels chiffres, seul le chef de l’État et le premier de ses ministres peuvent encore se dérober devant l’évidence que c’est la violence des injustices subies, un avenir de plus en plus bouché, le rejet des politiques dont le salariat est la victime désignée depuis des lustres qui constituent le ressort de la montée en puissance de l’extrême droite.

L’ÉGALITÉ PIÉTINÉE, LA RÉPUBLIQUE OUBLIÉE, LA FRANCE IGNORÉE

Dans le Journal du Dimanche, Martine Aubry s’avérait récemment fondée à considérer que « la réponse morale ne suffit plus », et à affirmer que « la meilleure façon de lutter contre le FN est de retrouver la République et l’égalité ». « Le sentiment d’avoir été humilié nourrit le vote d’extrême droite », ajoutait-elle avant de souligner : « Nous devons avoir des comportements politiques moraux et respecter ce qu’on a promis. » La maire de Lille ne peut, naturellement, pas dire crûment que prendre au sérieux la menace brandie par le locataire de Matignon consisterait à changer au plus vite de cap, et même à se débarrasser de lui.

Ce qu’auront, au fond, démontré nos dirigeants depuis deux ans et demi, c’est qu’il est rigoureusement impossible de concilier souci de justice et consentement aux exigences d’un néolibéralisme corsetant l’Europe entière dans un modèle qui en épuise toutes les énergies. Entre théorie de « l’offre » consistant à multiplier sans fin les cadeaux fiscaux à ceux dont les dividendes explosent et souci de faire refluer la paupérisation d’une grande partie de la population, entre baisse drastique des budgets et revitalisation de politiques publiques essentielles au respect de l’intérêt général, entre obsession de la diminution d’un prétendu « coût » excessif du travail et préservation des droits fondamentaux des travailleurs, entre démolition consciencieuse de protections collectives conquises de haute lutte et réponse à la détresse sociale de tout un pays, il faut choisir.

François Hollande et Manuel Valls l’ont manifestement fait, hélas, à en croire l’entretien à l’occasion duquel le président de la République vient de réaffirmer au magazine Challenges qu’il ne changerait pas de « ligne politique », ou encore les indiscrétions du Monde selon lesquelles Emmanuel Macron chercherait à achever le quinquennat sous les auspices de nouvelles lois dérégulatrices. Au mépris de tout ce qu’avaient exprimé les impressionnantes marches citoyennes des 10 et 11 janvier derniers… C’est bien la raison pour laquelle Madame Le Pen peut entretenir l’espoir d’amener ses amis aux plus déterminants succès. Pour la première fois depuis 1940. Sale temps, décidément, pour notre pays !

Le propos de Martine Aubry sur la nécessité de « retrouver la République et l’égalité », que je partage, m’amène à une autre réflexion. Ce qui fait que la situation peut très rapidement se traduire en des développements inimaginables voilà peu renvoie à une dimension trop peu soulignée jusqu’alors, en particulier à gauche : la classe dirigeante, dans toutes ses réalités et à travers tous les espaces à partir desquels ses représentants s’expriment, n’affiche plus aucune vision de l’avenir de la France. Elle ne développe plus le moindre « récit » en direction des Français, sur l’avenir de leur pays dans une Europe ravagée par le libéralisme et dans un monde en proie aux plus inquiétantes convulsions. Au demeurant, d’une droite recroquevillée sur sa vision ultralibérale des choses, à la fraction de la social-démocratie qui entend s’émanciper de l’idée de redistribution par l’État-providence (cette idée qui lui conférait précisément sa spécificité dans le passé), les équipes censées se succéder dans le cadre des alternances n’affichent plus aucun projet de nature à leur permettre de retrouver une base populaire.

Tentant de faire face aux défis d’un moment extraordinairement complexe, Nicolas Sarkozy autant que François Hollande (mais on pourrait dire la même chose d’un Manuel Valls ou d’un Alain Juppé…) se figent dans des gesticulations bonapartistes consistant à revendiquer un exercice solitaire du pouvoir (censé caractériser des hommes providentiels face à de grandes tourmentes), à prétendre s’adresser directement au peuple par-dessus les partis, et à brouiller le jeu politique en reprenant le discours du camp adverse. Mais ce bonapartisme affiché est surtout celui de l’impuissance consentie. La spécificité de la période vient du fait que les postures affichées de sauveur ou de monarque protecteur se trouvent régulièrement contredites par une totale soumission aux contraintes d’un ordre international sur lequel les élites ne cherchent plus à avoir prise.

C’est cette réalité nouvelle qui tend à produire des dynamiques particulièrement dangereuses. Où les peurs s’entremêlent à des phénomènes de rage impuissante. Où des tendances multiforme au repli et au recul de la citoyenneté comme du civisme peuvent aller de pair avec des explosions de colère ou de violence. Où aucune réponse n’est plus apportée à gauche, du côté des partis comme d’un mouvement syndical balkanisé et lourdement affaibli, à cet immense désarroi. Là réside principalement la force d’une extrême droite qui, contrairement à tous ses concurrents et adversaires, observe une démarche cohérente sur la France.

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