Le Front national parasite déjà les pensées de la droite

mardi 24 mars 2015.
 

La gestion sociale des villes que le Front national dirige ou soutient préfigure ce qu’il en serait de leur conduite au plan départemental. Dans quelques collectivités locales, l’application de leur programme antisocial se trouve facilitée par l’action bienveillante d’une partie de la droite.

« On ne vise pas d’alliance avec l’UMP ni avec des partis avec qui nous ne partageons pas de valeurs ni de projet pour la France », promettait mardi le vice-président du Front national, Florian Philippot, sur Public Sénat. Voilà pour les mots. Dans les faits, les « valeurs » sont assez largement partagées par une partie de la droite, qui pourrait signer la « charte de cinq ou six engagements de fond sur les compétences départementales », proposée par le parti d’extrême droite. Quant aux alliances, elles sont sinon en cours, du moins envisagées. Le même jour, à Avignon, la députée FN du Vaucluse, Marion Maré- chal-Le Pen, ne prévoyait-elle pas que « certains candidats ou élus UMP non inféodés à Paris appelleront à faire barrage à la gauche car l’adversaire principal, c’est la gauche » ? En lieu et place de la « tambouille UMPS », dénoncée par Philippot, les intérêts bien sentis entre FN et droite ont déjà permis aux idées d’extrême droite et à son personnel politique de s’imposer sur le terrain.

Marine Le Pen disait, en début de semaine sur France Info, vouloir faire la démonstration que « nous sommes capables, dans un département, de faire nos preuves comme nous l’avons fait dans les municipalités ». Afin de mesurer la crainte de voir appliquer au plan départemental les politiques promises par le Front national, il faut en effet se tourner vers les villes officiellement gérées par lui. À Beaucaire (Gard) par exemple, les « 1,64 million d’euros d’économies » affichées par le maire, Julien Sanchez, tiennent surtout à la fermeture de la Maison du vivre-ensemble et à la traque des « profiteurs des cantines » : haro sur « la population en difficultés sociales », dénonce Laure Cordelet, animatrice du Rassemblement citoyen. À Villers-Cotterêts (Aisne), le maire, Franck Briffaut, est candidat à la présidence d’un département qui place le FN à 41 % d’intentions de vote au premier tour, selon un sondage Odoxa pour le Parisien publié le 16 mars. Dans sa ville, il a mis fin à la cantine pour les enfants de chômeurs : « Une personne au RSA peut venir chercher son enfant à l’école car elle ne travaille pas », arguait-il. À Béziers, où le maire, Robert Ménard, est soutenu par le FN, la réduction du budget des centres sociaux (un marqueur de l’action municipale frontiste) atteint les 20 %, ciblant prioritairement le quartier défavorisé à forte population d’origine immigrée de la Devèze. La liste n’est pas exhaustive. Là où le Front national a convaincu les électeurs, les premières populations à subir sa politique antisociale sont les plus précaires. Le « gain absolument extraordinaire » dont parlait Marine Le Pen sur France Info ne s’applique qu’à sa stratégie d’implantation territoriale : installer des relais d’opinion lui permettant d’assouvir son ambition présidentielle pour 2017. « Notre stratégie est celle d’un repositionnement, dans le cadre d’une prise globale de pouvoir, déclarait Franck Briffaut, dans le Monde. En attendant, on ne peut agir qu’à la marge. »

Au plan local, les ambitions programmatiques du Front national sont atteintes, et parfois même largement dépassées sans qu’il ait lui-même le pouvoir de décision. Car la « marge » de manœuvre, ce sont les élus de droite qui la donnent au FN, lui permettant d’imposer une certaine hégémonie culturelle. Difficile de ne pas voir dans la décision du maire de Chalon-sur-Saône de supprimer, à la veille des élections, le menu de substitution dans les cantines de sa ville (lire cicontre) une « manifestation d’une UMP tétanisée par la montée du Front national », comme le souligne le député PS de Saôneet-Loire Philippe Baumel. Le phénomène ne date pas de ces dernières semaines. Novembre 2014. Dans une vidéo au titre évocateur (La gauche préfère le kebab au jambon !) sur son site Internet, rappelant son « combat » pour faire interdire les menus différenciés dans les cantines de la ville, le candidat FN à sa réélection dans le canton de Brignoles (Var), Laurent Lopez, se félicitait d’avoir obtenu l’appui de la droite locale : « J’ai eu la mauvaise idée semble-t-il de demander à madame le maire (Josette Pons, UMP), qui m’a d’ailleurs suivi et je l’en remercie, de veiller à ce que les lois de la République soient tout simplement respectées. » Dans le Figaro du 5 mars, Lopez se confiait sur ses adversaires de droite : « Nombre d’entre eux me disent, en off, qu’ils partagent nos idées. » Une communauté de valeurs qui non seulement s’exprime par le vote de mesures proposées par le Front national, mais encore par le fait de lui confier des responsabilités.

Un « deal » passé entre le FN et l’UMP ?

Limoges, capitale de la Haute-Vienne à gauche depuis cent deux ans, a basculé à droite en mars 2014. Émile-Roger Lombertie, le nouveau maire UMP, y a suscité une polé- mique en nommant le conseiller municipal FN Vincent Gérard à la tête d’une commission chargée de « vérifier le bien-fondé des subventions aux associations votées par la ville ». « C’est nous qui avons demandé sa création et cela figurait dans notre programme de campagne », plastronnait à l’automne l’élu FN dans le Populaire du Centre. Un symbole des concessions que la droite est prête à faire au Front national, même si la commission d’analyse et de « surveillance » ne s’est pas réunie depuis. D’ailleurs, lors du conseil municipal de mercredi, l’élu frontiste a voté contre les subventions, rapporte le Populaire du Centre. Pas parce qu’elles ont été « revues à la baisse », payant un « lourd tribut », comme le dénonce la gauche, mais parce qu’il y voit un « clientélisme électoral et militant ». Même situation ubuesque à la communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines (Camy). Monique Führer, adjointe au maire de Mantesla-Ville, seule municipalité Front national d’Île-de-France, a été complaisamment élue à la vice-présidence de la commission habitat en décembre dernier… sans concurrence. « L’absence de la plupart des élus de droite est-elle uniquement un signe de laxisme » ou la conséquence d’un « deal passé avec le FN au printemps ? » s’interrogeait la section locale du PCF. Cette commission, chargée de traiter la « construction » et « l’attribution de logements », est en effet « stratégique ». Il est criminel d’avoir placé à sa tête une conseillère communautaire votant systématiquement, comme son groupe (et conformément aux recommandations du guide de l’élu municipal FN), contre le financement et la garantie d’emprunts demandée à la Camy pour la réalisation de logements locatifs sociaux.

Le FN, par la voix de Florian Philippot, annonçait cette semaine ne pas vouloir faire de « marchandage pour le troisième tour, celui de l’élection des présidents des départements », dans les départements où il y aura « une majorité relative », et où « le Front aura des élus après le second tour ». Nul ne sait ce qui se jouera en coulisses, mais le parti d’extrême droite n’en aura vraisemblablement pas besoin : contrairement à 1986 et 1998, dates des premières ententes RPR-FN pour diriger des régions, le cordon sanitaire n’est plus opérationnel. Une bonne partie de la droite dite républicaine devance déjà les désirs du Front national.

Grégory Marin, L’Humanité


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