La fuite des capitaux grecs ou comment les transnationales n’ont pas attendu l’élection de Syriza pour optimiser leurs impôts

samedi 11 avril 2015.
 

Aujourd’hui, l’ONG néerlandaise Somo a remis à Athènes son nouveau rapport, Fool’s Gold, en présence notamment d’Eva Joly. Cette ONG se présente elle-même comme « centre de recherche sur les multinationales » et met au jour les pratiques condamnables – éthiquement et pas seulement – de certaines multinationales.

Aujourd’hui, l’ONG néerlandaise Somo a remis à Athènes son nouveau rapport, Fool’s Gold, en présence notamment d’Eva Joly. Cette ONG se présente elle-même comme « centre de recherche sur les multinationales » et met au jour les pratiques condamnables – éthiquement et pas seulement – de certaines multinationales comme celle du pétrolier Shell en Suisse1 ou sur les pratiques des industries du textile au Bangladesh et en Inde suite au Rana Plaza2

Fool’s Gold s’intéresse aux pratiques fiscales condamnables – moralement tout au moins – d’Eldorado Gold, une entreprise minière canadienne à qui le gouvernement Samaras a octroyé un projet d’exploitation des mines d’or de Skouriès, non loin de Thessalonique, dans le nord-est du pays. Sans parler des craintes écologiques légitimement fondées des habitants (qui se mobilisent depuis plusieurs années et avec de forts soupçons de violences de la part des « forces de l’ordre » selon Amnesty International3) des questions démocratiques ou encore des doutes économiques sur la dégradation de l’avantage comparatif touristique de la région, les conclusions fiscales – rimant avec scandale – de ce rapport sont sans appel : la compagnie aurifère Eldorado Gold n’a pas payé 1,7 millions d’euros d’impôts (fourchette basse) en ayant recourt à la législation fiscale complaisante et opportuniste des Pays-Bas.

La circulation déréglementée des capitaux permise par l’action politique des gouvernements et des institutions supranationales, ainsi que la concurrence entre les entreprises transnationales, apparaissent comme deux causes imbriquées d’un phénomène généralisé dont Eldorado Gold n’est qu’une étude de cas. Etude de cas néanmoins savoureuse alors même que le Président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselboemn, est le Ministre des Finances néerlandais. Il aura ainsi déclaré sans honte : « En Grèce, la responsabilité des problèmes est trop souvent rejetée en dehors de la Grèce et l’Allemagne en est devenue la victime principale ». 4. Un « HollandeLeaks » – pour le pays… – après « LuxLeaks » cher au Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker. 5. Si le fisc hellénique est défaillant et doit être renforcé comme le propose Yanis Varoufakis, il s’agit ici du phénomène d’optimisation fiscale dont des pans entiers correspondent, pour ainsi dire, à de la fraude fiscale légale.

Un des engagements du gouvernement d’Alexis Tsipras est de mettre un terme à ce projet et pour l’instant des démarches sont menées. Toutefois, les travaux d’exploration préparatoires aux forages continuent. Le rapport Fool’s Gold est une raison de plus pour réviser ce projet.

Des pratiques classiques, légales, mais non moins scandaleuses : à quand un HollandeLeaks ?

Le rapport présente les différentes techniques utilisées par Eldorado Gold pour échapper à l’impôt – pardon, pour l’« optimisation fiscale » – auxquelles peuvent recourir les firmes transnationales. Il est important de souligner que cette « optimisation fiscale » est tout à fait légale, contrairement à la fraude fiscale 6 (voir HSBC, UBS etc.), ce qui la rend encore plus scandaleuse.

Ainsi, Eldorado Gold, pour l’ensemble de son activité, a recours à douze filiales hollandaises. Ayant la gestion d’environ 2 milliards euros d’actifs, elles sont enregistrées au Pays-Bas, domiciliées dans la même rue d’Amsterdam et surtout 11 n’avaient aucun employé, soit plus de 90% des filiales sans emploi. Les créations d’emploi justifiant cette politique fiscale des Pays-Bas seraient donc uniquement indirectes ? Un doute cartésien serait une position minimale.

Le système peut être présenté schématiquement en se concentrant sur la mine grecque Hellas Gold et pour les détails vous pouvez vous reportez au schéma du rapport de Somo. Dès lors, on peut frauder le fisc hellénique – mais aussi les autres fiscs européens – de façon assez simple et en toute légalité. Voici comment vous pouvez faire (sait-on jamais) : plutôt que de financer directement l’exploitation de la mine et donc de devoir payer des impôts sur les bénéfices engrangés, Hellas Gold émet des obligations – des titres de dette – qui sont acquises par les deux filiales détenant Hellas Gold ainsi que par deux autres filiales néerlandaises du groupe. Du coup, à intervalle régulier, Hellas Gold paie les intérêts sur les obligations, ce qui est normal. Or depuis 2009, une nouvelle (dé)réglementation a été votée par l’Union européenne (UE) visant à ne plus taxer ce type de flux de capitaux au sein de l’UE alors qu’elle l’était à la source à hauteur de 35%. Entre la Grèce et la Hollande, ce taux est passé de 35% à 0% aujourd’hui.

En outre, ces filiales hollandaises financées par l’entité des Barbade bénéficient elles-mêmes de prêts par celle-ci, à qui elles doivent donc s’acquitter d’intérêts. Dès lors, elles n’affichent pas de profit devant le fisc des Pays-Bas. C’est la réglementation volontairement souple, amicale vis-à-vis des firmes transnationales, des Pays-Bas qui fait que ces versements vers la Barbade ne sont pas imposés : de tels transferts internationaux ne sont plus taxés à la source à 35% au Pays-Bas. Toutefois, il ne faut pas caricaturer, ces bénéfices sont taxés par la Barbade : le fisc barbadien collecte un impôt sur les bénéfices à des taux entre 0,25% et 2,5% – enfin des taux non confiscatoires ! …

Déréglementation des flux de capitaux & concurrence non encadrée entre firmes : un cadre institutionnel conduisant à la généralisation de l’optimisation et à l’émergence de nouveaux « paradis fiscaux européens »7comme les Pays-Bas

Ainsi, une même entreprise, par un montage d’obligations et de prêts à deux étages entre filiales peut délocaliser les profits vers un paradis fiscal (malheureusement il n’y a pas d’or à la Barbade). C’est tellement simple que si vous êtes un chef d’entreprise et que vous payez le taux facial de l’impôt sur les bénéfices en vigueur dans votre pays, vous risquez d’être évincé par la concurrence ! C’est là une perversité du système en vigueur : circulation déréglementée des capitaux et concurrence à tout crin.

C’est pourquoi il ne faut pas considérer le cas d’Eldorado Gold comme un cas à part. Il s’agit d’un accès à la boîte noire des pratiques des entreprises protégées par le secret des affaires. A long terme, si les entreprises veulent survivre, elles n’ont d’autres choix que de pratiquer l’optimisation fiscale dans un univers économique qui est volontairement construit de telle sorte à ce que l’optimisation fiscale soit possible. Les entreprises « citoyennes » disparaissent et seules celles qui « optimisent » restent sur le marché8. Si dans Pour une révolution fiscale, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais ont rappelé que le taux d’imposition sur le revenu des ménages suivait une courbe en U, le travail similaire sur les entreprises ne donnerait-il pas une courbe en Z (droit) en fonction de la croissance des effectifs et du chiffre d’affaires, avec des particularités sectorielles ?

Pour une réglementation des flux financiers internationaux, pan d’un protectionnisme commercial et financier solidaire non seulement conséquent mais surtout souhaitable

Dès lors la condamnation morale doit se doubler d’une condamnation politique des gouvernements, Etats et institutions supranationales ayant mis en place les institutions légales, fiscales et économiques permettant de telles pratiques. Pour être moral, il faut survivre. Cet argument darwinien a deux faces et je vous propose la seconde : il faut modifier l’environnement et seules les plus aptes survivront. C’est pourquoi la refonte du fisc hellénique doit être accompagnée d’une redéfinition des règles du jeu pour la circulation internationale des capitaux.

A la circulation incontrôlée des capitaux et aux traité de déréglementation des échanges de biens et services marchandises, le Parti de gauche propose une coopération commerciale dans l’esprit de la Charte de la Havane de 1946 ainsi qu’un protectionnisme solidaire non seulement commercial et financier, partageant par exemple l’idée d’un embargo commercial sur les paradis fiscaux à l’instar de ce que propose l’économiste Gabriel Zucman, qui serait une menace suffisante permettant de lever le secret bancaire sans avoir à l’appliquer et récupérer la base fiscale de La Richesse cachée des nations. Cela rendra plus difficile le recours à de telles pratiques d’optimisation fiscale et au-delà de fraude fiscale. A noter que les flux financiers internationaux entre entreprises sont conservés dans les chambres de compensation internationales (de clearing), que sont Clearstream et Euroclear, mais j’ai déjà été trop long.

Antoine H. Créon, Doctorant et enseignant en économie, membre de la commission économie du PG

NOTES

1 The Swiss Connection, (Somo 2014), dont le titre n’est pas sans échos avec The French Connection du trafic de drogue (cf. T. Colombié (2012) La French Connection. les entreprises criminelles en France) ↩ Fatal Fashion, Somo 2013 ↩

2 « Amnesty International demande aux autorités grecques de mener sans délai une enquête impartiale et effective sur les allégations de violations des droits humains commises en février par des policiers à Ierissos, un village de la Chalcidique (région du nord du pays). » ↩

3 « Comment la Grèce voit ses impôts s’évaporer, via l’Europe ». Un article de Dan Israel paru le 31 mars 2015 sur Mediapart ↩

4 Nous ne traiterons pas ici les soupçons de Somo de ruling en faveur d’Eldora Gold aux Pays-Bas. ↩

5 On pourrait parler de fraude fiscale légale et de fraude fiscale illégale, mais il faudrait effectuer un long travail de nomenclature. ↩

6 Op. cit. Fool’s Gold ↩

7 Ce qui revient globalement au même si ce n’est un marché plus concentré, plus oligopolistique, ou potentiellement les ententes sur les prix sont plus aisées


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