Quelle alternative et quel rassemblement populaire  ?

lundi 20 avril 2015.
 

- par Pierre Khalfa, président 
de la Fondation Copernic,

- Catherine Larrère, présidente 
de la Fondation de l’écologie politique...

- Alain Obadia et Francis Wurtz Fondation Gabriel-Péri

« Chantiers d’espoir » pour une société autre

par Pierre Khalfa Président 
de la Fondation Copernic

Malgré un score global stable et des résultats encourageants lorsqu’il se présentait en alliance avec EELV ou avec des listes «  citoyennes  », le Front de gauche (FG) n’est toujours pas apparu comme une réelle alternative à la politique néolibérale et sécuritaire du gouvernement. L’alliance avec EELV dans nombre de départements n’a pas eu la visibilité politique nationale qui lui aurait peut-être permis de jouer ce rôle. L’abstention, particulièrement forte dans les quartiers populaires, n’a pas épargné le FG puisque 56 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2012 ne se seraient pas déplacés au premier tour des départementales. La reconstruction d’une gauche porteuse d’un projet de transformation sociale et écologique suppose une reconfiguration profonde du champ politique. Un tel processus ne peut simplement être le fruit de tractations au sommet ni d’accords électoraux, aussi nécessaires soient-ils. Il doit d’abord s’appuyer sur des mouvements sociaux d’ampleur qui, parce qu’ils bouleversent la société, peuvent faire bouger les lignes. Pratiquée à froid, une recomposition politique risque de se heurter aux calculs électoraux immédiats quand ce n’est pas aux ambitions individuelles. La pantomime de certains responsables d’EELV pour devenir ministres en est l’illustration caricaturale. Mais ces mouvements sociaux ne pourront se développer que parallèlement à la conscience qu’une autre politique est possible. Une des grandes victoires du néolibéralisme est d’avoir, malgré les crises, imposé de façon dominante l’idée que l’on ne pouvait pas faire autrement. «  There is no alternative  », disait Margaret Thatcher. Or une alternative n’est pas seulement faite de solutions concrètes et crédibles. Ces dernières sont indispensables, mais elles doivent s’adosser à un imaginaire de transformation qui rend possible et désirable une société basée sur la solidarité et l’égalité, en particulier entre les femmes et les hommes. Il ne suffit donc pas d’affirmer à longueur de déclarations que tout va mal et que tout ira encore plus mal demain pour construire une alternative politique. C’est dire qu’une critique, même virulente, du gouvernement et du PS ne suffit pas. La politique du ressentiment, qui favorise l’abstention ou pire le vote FN, ne peut remplacer l’espoir d’un horizon différent.

Le processus des «  chantiers d’espoir  » – impulsé par des responsables politiques du FG, d’EELV, de Nouvelle Donne, des socialistes critiques, des responsables associatifs et syndicaux, des universitaires et des acteurs de la culture – tente d’initier une réponse à ces problèmes. Il vise, à partir d’une implication citoyenne dans des débats au niveau local, à faire émerger un socle commun de propositions alternatives à la politique menée par François Hollande. Ainsi, plusieurs dizaines de réunions publiques auront lieu à partir du 11 avril. Si ce processus aboutit, il constituera un pas important vers la création d’une nouvelle offre politique rassemblant toutes celles et tous ceux qui ne se résignent pas à la disparition de la gauche. Celle-ci est inscrite dans le cours actuel suivi par François Hollande et les appels dérisoires à l’unité derrière un PS et un gouvernement qui ne veulent rien changer ne l’empêcheront pas. Le pire n’est cependant pas sûr, mais à condition de bien prendre la mesure des enjeux  : recréer une dynamique populaire en s’appuyant sur les mobilisations sociales et citoyennes, rendre réaliste et désirable une société autre, unir toutes les forces qui, à gauche, s’opposent à la politique menée actuellement afin de l’incarner politiquement notamment lors de l’élection présidentielle.

Redonner du sens à un projet politique

par Catherine Larrère Présidente 
de la Fondation de l’écologie politique et Lucile Schmid, Vice-présidente de la Fondation de l’écologie politique

Peut-on construire un programme politique pour une gauche de changement et définir une alternative à des politiques placées sous le signe de la contrainte budgétaire et des symboles économiques  ? Où sont passées ces couches sociales qui ont longtemps formé le «  peuple de gauche  », celui que les partis dits de gauche avaient pour ambition de représenter  ? Ce peuple s’est en grande partie désaffilié. En majorité, salariés, précaires, chômeurs ou retraités, ces victimes de la mondialisation et d’une inégalité sociale croissante, ne votent pas, soit parce qu’ils n’en ont pas le droit, n’étant pas citoyens, soit parce qu’ils s’abstiennent et ne font plus confiance au personnel politique – une perte de confiance qui se traduit aussi, et de façon fort inquiétante, par l’importance croissante d’un vote d’extrême droite. C’est pourquoi, reconstruire une gauche de changement suppose d’abord de s’adresser à ces catégories sociales, dans leur diversité, de les écouter et de s’associer aux initiatives de ceux qui, dans une multitude d’associations, tentent d’aider les gens à vivre moins mal et même mieux. Cela suppose aussi de faire confiance à la capacité de jugement de chacun et de redonner à la démocratie sa force autour d’une réelle différenciation des projets et des politiques menées. La différenciation entre la gauche et la droite au pouvoir ne peut se contenter de quelques symboles, elle doit se traduire dans les politiques menées.

Quel que soit leur milieu social, les électeurs ne souffrent-ils pas aussi de l’absence de débat susceptible d’éclairer leurs choix  ? La communication politique est soumise au court terme, aux petites phrases, aux affrontements de personnes et aux ambitions électorales. Cette absence de débat d’idées ne peut qu’alimenter le sentiment que les responsables politiques ne songent qu’à leur réélection, et celui que la démocratie a déserté les institutions de la République. Remettre le débat d’idées au centre de la relation démocratique, confronter les projets politiques changerait le registre des relations entre les citoyens et leurs élus. Dans ces débats, l’écologie occupe une place décisive, car il s’agit à la fois d’une tâche urgente et d’un projet à long terme. Améliorer l’alimentation de tous pour lutter contre l’obésité doit aller de pair avec la lutte contre le dérèglement climatique à l’horizon de 2050. Les difficultés écologiques engagent une modification profonde du rapport à la nature comme des rapports sociaux. C’est l’ensemble de notre modèle économique, social, culturel qui est en crise. Le scénario d’une transition écologique n’engage pas seulement des changements techniques ou des innovations économiques. Il implique une modification des modes de vie qui ne se fera pas sans la participation de tous.

Pour définir la transition écologique, il faut affirmer avec force les liens entre lutte contre les inégalités sociales et prise en compte des enjeux écologiques. La confusion est telle aujourd’hui que l’on en arrive à reprocher aux revendications écologiques de nuire à la croissance et donc à l’emploi et aux plus pauvres, comme si les couches sociales les plus démunies n’habitaient pas dans les environnements les plus détériorés et qu’elles n’étaient pas les premières victimes de la dégradation de l’environnement.

Reconstruire la gauche exige que l’on redonne du sens à un projet démocratique à long terme. Dans ce projet, l’écologie occupe une place centrale et, si elle rencontre des résistances, celles-ci ne seront surmontées qu’au sein du débat et en s’appuyant sur les initiatives populaires, et non contre elles.

Rassemblement pour une politique alternative

par Alain Obadia, président de la Fondation Gabriel-Péri et Francis Wurtz, Vice-président de la FondationGabriel-Péri

Le seul fait qu’on se sente obligé de préciser «  de changement  » en parlant de la gauche, pour se différencier du parti au pouvoir, résume une partie du problème que nous avons à résoudre. La politique du gouvernement fait bien plus que de décourager ou désorienter le «  peuple de gauche  ». Il faut mesurer combien ce grand renoncement à l’identité de la gauche et cette hypocrisie qui consiste à continuer à s’en réclamer peuvent susciter de désillusion, de résignation, de déstabilisation, voire de désespoir auprès de celles et de ceux-là même auxquels nous devons nous adresser pour réussir à rouvrir ensemble une perspective de changement. Nous rappelons cette évidence pour souligner combien les dégâts causés par François Hollande, Valls et autre Macron sont profonds. Des ressorts sont cassés  : cela explique sans doute en partie pourquoi il est si difficile pour le Front de gauche de remotiver les déçus du Parti socialiste. Cela étant, ce n’est pas la seule raison de l’insuffisance de notre capacité d’attraction  ! Pour rassembler et reconstruire une gauche digne de ce nom, nous avons nos propres responsabilités à assumer. Nous devons, nous semble-il, en particulier, nous montrer beaucoup plus ouverts, plus crédibles et plus attractifs.

D’abord, le Front de gauche doit impérativement s’ouvrir à beaucoup de forces nouvelles. Attention, pas une avalanche de groupuscules à l’ego surdimensionné et sans véritable représentativité  ! Mais des forces syndicales engagées dans des luttes concrètes  ; des forces associatives très proches des populations  ; des réseaux citoyens réellement actifs  ; et naturellement des forces politiques progressistes. Des personnalités socialistes, écologistes ou tout simplement républicaines qui partagent avec les composantes du Front de gauche un certain nombre d’exigences  : le développement social contre l’austérité, la transition écologique contre le productivisme et la marchandisation tous azimuts, une réorientation de l’argent au service de la promotion des capacités humaines et des services publics contre le tout-financier, une démocratie vivante, horizontale, misant résolument sur la créativité citoyenne et le partage, le combat pour refonder l’Europe (qui passe aujourd’hui par un soutien résolu au gouvernement grec dans son bras de fer avec l’oligarchie de Bruxelles, de la BCE, de Berlin, et des autres États membres), l’ouverture sur le monde et une approche solidaire de la mondialisation… Ensuite, nous devons, à nos yeux, gagner en crédibilité. Nous entendons par là réussir à nous hisser pleinement au niveau de l’ambition qui est la nôtre, qui est de construire un rassemblement à vocation majoritaire pour une politique alternative à l’austérité et à la centralisation du pouvoir  ; et de renouer avec un imaginaire, une espérance d’émancipation humaine. Cela suppose de bannir tout ce qui nous rapetisse  : l’esbroufe, le «  y a qu’à  », les polémiques politiciennes… Et, à l’inverse, être exemplaires sur la qualité du débat politique, à la fois exigeants sur le contenu de notre projet et d’une grande proximité des citoyens, vus comme des acteurs politiques au sens le plus noble du terme (comme dans les «  chantiers d’espoir  »). Bref, aider le pays à retrouver la force de l’action collective pour faire reculer le sentiment d’impuissance et faire renaître la confiance dans l’avenir.

Enfin, dans le paysage politique hideux issu des élections départementales, et face à la honteuse banalisation du racisme, de l’intolérance et du populisme le plus vulgaire, nous devons faire émerger une force politique qui frappe les esprits progressistes par sa dignité, son respect des personnes comme des idées, son ouverture au dialogue direct avec les citoyens et, bien sûr, son utilité au service de solutions concrètes. Il n’y a là rien qui puisse poser problème au Front de gauche  ! Nous pouvons relever ce défi.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message