L’idée républicaine en Europe et dans le monde (par site de Laurent Fabius)

mardi 13 mars 2007.
 

Paul Baquiast et Emmanuel Dupuy publient ce mois-ci, aux édition "L’Harmattan" un nouveau livre de réflexion sur l’idée républicaine : "l’Idée républicaine hors de France, en Europe et dans le monde", en deux volumes.

Cet ouvrage est le dernier volet d’un tryptique, ouvert avec "Les Républicains atypiques du XIXème siècle" et poursuivi avec "Deux siècles de débats républicains". Cette fois-ci, il s’agit de cerner la notion de République au-delà de la scène politique française : la République est-elle une exception française ou trouve-t-elle un écho ailleurs ? le modèle français est-il dépassé ou constitue-t-il une avant-garde ? est-il marginal ou sert-il de référence ?

Ces deux ouvrages arrivent à point nommé au cours de cette campagne présidentielle : ils permettront sans doute aux lecteurs d’approfondir leur réflexion républicaine pour faire le choix du candidat le plus républican. Ils illustrent également le débat intellectuel et politique de fond. Ci dessous la quatrième de couverture et un extrait de l’introduction.

Alors que le projet de constitution européenne a été rejeté par près de 55 % des Français, on est fondé à s’interroger sur les raisons de ce refus. L’une des explications ne serait-elle pas la crainte de voir le projet républicain français, en dépit de sa vocation universelle, se dissoudre dans un ensemble qui lui serait irrémédiablement étranger, voire hostile ? Il est classique, en effet, d’opposer l’exception française aux conceptions sociétales du reste de l’Europe et du monde. L’idée laïque, notamment, serait incompréhensible aux autres pays.

C’est cette exception républicaine française que ce livre entend interroger. N’existe-t-il pas, ailleurs en Europe et dans le monde, des traditions et des forces politiques, minoritaires peut-être, mais entretenant avec l’idée de république des liens suffisamment forts pour qu’un dialogue fructueux puisse être établi entre elles et ceux qui, en France, se revendiquent des valeurs de la République ?

La réponse à cette question est bien évidemment lourde de conséquences politiques, surtout dans la perspective de l’élection présidentielle à venir. La politique de la France dans la construction européenne et dans la politique internationale peut en être profondément changée.

Sur ce sujet neuf et important, cet ouvrage en deux volumes mobilise les compétences d’une équipe internationale, recrutée parmi les meilleurs spécialistes de la question républicaine dans les pays concernés.

« Loin d’être la doctrine archaïque d’un autre siècle, le républicanisme est au contraire en phase étroite avec notre époque. En replaçant au centre de la réflexion politique la notion de bien commun (Res Publica), il est une réponse aux principaux défis de la mondialisation : le risque écologique, la menace d’un choc des civilisations, l’essor d’un libéralisme débridé.

Les mots, cependant, sont parfois piégés et celui de République est à utiliser avec la plus grande prudence. Selon la situation politique, le sens du mot ainsi que les problématiques afférentes peuvent être très différentes.

Dans les monarchies constitutionnelles, le républicanisme peut apparaître comme une simple aspiration à rompre avec un régime désuet. Même si cette idée n’est pas totalement fausse, les choses ne sont en réalité pas si simples, comme en témoignent l’exemple du Royaume-Uni, de la Belgique et de l’Espagne, ou encore, dans un autre contexte, de l’Australie et du Canada

[...]

En ce début de XXIe siècle, la dialectique de l’idée républicaine et de l’idée monarchique, encore centrale au début du siècle dernier, est cependant devenue plus marginale. La question essentielle est celle de la relation entre République et Démocratie.

L’une et l’autre sont intrinsèquement mêlées. La première ne saurait exister sans la seconde. C’est donc sans surprise que les contributions évoquant l’idée républicaine dans les pays non démocratiques sont amenées à traiter à la fois de l’une et de l’autre.

C’est également la raison pour laquelle les républiques arabes comme les républiques islamiques ne sont que de fausses républiques. Les premières, mêlant pouvoirs absolu, à vie et héréditaire, sont surnommées, en un jeu de mot arabe, des joumloukia (républico-monarchies). Les secondes sont des théocraties, considérant la république davantage comme un mode d’organisation du pouvoir que comme une vision spécifique de la société, et ne percevant pas dans les idées qui la régissent une contestation de fond.

Non que les sociétés arabes et musulmanes, au contraire de ce qui est trop souvent affirmé, soient récalcitrantes par essence aux concepts républicains, et notamment au concept de laïcité. La méconnaissance du monde arabo-musulman nous empêche souvent de voir la modernisation en cours de leurs sociétés, à l’ombre des prisons et des mosquées, notamment par le biais du développement des universités, des chaînes satellites et de l’Internet.

[...]

Dans les pays démocratiques, la dialectique de la République et de la Démocratie se pose en d’autres termes, posés il y a déjà dix ans par un Régis Debray opposant le libéralisme à la défense du bien commun. Aux Etats-Unis - république cousine de la République française, abreuvée comme elle à la source de la philosophie des Lumières - le caractère républicain s’est effacé du langage courant au profit de celui de démocratie, en dépit de l’épithète de « républicain » porté par l’un de ses deux principaux partis politiques.

[...]

Dès les premiers temps, en conformité avec la devise de Patrick Henry (« Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort »), la liberté y fut présentée comme le concept central, tandis que celui de République, pourtant revendiqué par les Pères fondateurs, restait dans leur esprit flou et mal défini. Aujourd’hui, c’est le messianisme démocratique, d’origine wilsonienne mais réinterprété par les milieux néo-conservateurs (composée de la droite dure alliée à d’anciens « liberals » issus des mouvements progressistes de la gauche) qui a mené les armées américaines sur les bords du Tigre et de l’Euphrate.

Dans ce contexte, qu’elle place reste t-il pour le républicanisme d’influence française ?

Sur le plan de la philosophie politique, il se retrouve en convergence avec certains aspects du réveil de la pensée républicaine à travers le monde, comme la défense du règne des lois, l’importance conférée au civisme, la critique de la corruption, la thématique du « bien commun », le refus de la logique néo-libérale et son affirmation péremptoire de la fin du politique. Ses affinités sont plus fortes, néanmoins, avec le renouveau républicain italien qu’avec celui des pays anglo-saxons, lequel fait grand cas de Tocqueville mais bien peu de Condorcet.

Sur un plan moins intellectuel et plus pratique, le modèle américain semble l’emporter en Europe centrale et balkanique, non seulement du fait du rôle central joué par les Etats-Unis dans l’effondrement du système soviétique mais, plus fondamentalement, de par son apparente meilleure adaptation au puzzle multinaltional des Etats issus de l’ancienne Autriche-Hongrie. Quant au modèle français - Etat central, affirmation nationale, laïcité, rôle de l’éducation, politique sociale volontariste - il demeure une référence forte dans nombre de pays, en Europe, en Amérique latine, en Afrique et, plus encore, en Turquie.

La chute du communisme (1989 en Europe centrale, 1991 en Russie) a fait réapparaître une troisième voie alternative, entre libéralisme et marxisme, celle de la République. Longtemps allié contre le totalitarisme soviétique à un républicanisme qu’on avait pu croire discrédité par les attaques de l’extrême gauche contre sa supposée hypocrisie bourgeoise et sa défense des libertés formelles (« la forme emporte et résout le fond », affirmait Gambetta), le libéralisme est désormais entré en lutte avec l’idée républicaine renaissante pour imposer son seul leadership. Aux républicains de tous les pays, dans le respect de leurs différences, de relever le défi pour assurer au monde un avenir de paix dans la liberté, l’égalité et la fraternité. »


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