Quels rôle et place doit-on donner à l’État pour revitaliser la démocratie ?

mardi 19 mai 2015.
 

A) Suscitons le goût de la démocratie et de la citoyenneté

par Olivier Caremelle Président 
du Collectif 
des élus démocrates 
et républicains à l’éducation (Cedre)

Retour de l’uniforme à l’école, retour au service militaire ou imposition du service civil et maintenant droit de vote obligatoire, les propositions fusent une nouvelle fois pour répondre à la crise civique et citoyenne que connaît la société française. Les mots d’ordre, jadis populaires à droite, irradient maintenant les «  bons esprits  » à gauche, Claude Bartolone, Jean-Christophe Cambadélis et François de Rugy venant, tour à tour, de se déclarer favorables à l’obligation de vote «  afin de répondre au poids de l’abstention et au désintérêt civique des Français  ». Si le rapport rendu par le président de l’Assemblée nationale n’est pas inintéressant, au regard des mesures déjà prises au lendemain des attentats de janvier, notamment sur le développement de la citoyenneté dans et hors l’école, la promotion de l’engagement bénévole et citoyen et du soutien aux associations, la question de l’obligation du droit de vote proposé dans le document, interroge sur sa pertinence et légitimité.

Véritable serpent de mer, comme le retour du service militaire, la proposition de rendre obligatoire le droit de vote revient à intervalles très réguliers, suivant le calendrier des élections, puisque plus de 50 propositions de loi ont déjà été initiées depuis la IIIe République… sans succès  ! Aucun projet de loi sur le vote obligatoire n’a franchi pour l’instant l’étape de la commission des Lois  !

La lutte contre l’abstention électorale peine ainsi à se doter d’une arme atomique visant à éliminer totalement l’abstention, pour ne pas dire l’absentéisme, civique. Culpabiliser les Français au lieu de les responsabiliser, quel curieux choix  ! L’abstention, il est vrai, a pris depuis plus de trente ans une proportion importante inquiétant la classe politique puisque le taux de participation a chuté en moyenne entre 20 et 30 points, à l’exception notable de l’élection présidentielle, prisée par les citoyens. Il paraît pourtant curieux de s’attaquer plutôt aux symptômes qu’aux causes concrètes produisant et alimentant l’abstention. Le désintérêt manifeste des Français pour les élections reflète évidemment la crise de légitimité qui frappe malheureusement toute la classe politique et la résignation pour une démocratie fragilisée.

La question de l’offre politique et de l’exemplarité des élus revient constamment dans les propos de ceux et celles qui font le choix de l’abstention persuadés que «  gauche et droite se confondent  » et qu’un nombre certain d’élus sont frappés aussi d’immoralité. Peu importe en définitive le poids des clichés alors que le nombre d’élus condamnés est très faible. Peu importe en définitive le poids de l’abstention alors que les politiques menées seraient quasi identiques, de gauche et de droite, favorisant du coup l’argumentaire et le poids relatif du Front national. Rendre le vote obligatoire ne permettra pas de répondre aux questions qui taraudent les Français et serait, à vrai dire, politiquement improductif, pour ne pas dire dangereux. C’est la conception même du rôle de l’électeur qui serait alors remise en question alors que le vote est historiquement vécu comme un droit et non un devoir légal ou moral. Rendre le droit de voter obligatoire, ce sera demain à coup sûr culpabiliser et sanctionner les Français pour un intérêt limité  : conforter la montée inéluctable du vote blanc. Quelle sera alors la crédibilité de ceux et celles qui seront élu(e)s  ? Alors, oui, cessons ces faux débats et renouvelons la classe et l’offre politiques. Limitons réellement et concrètement le cumul des mandats et offrons à notre jeunesse la prise de responsabilités. Suscitons le goût de la démocratie et de la citoyenneté par l’école et l’engagement quelle que soit sa forme. Rendons les Français responsables d’eux-mêmes au lieu de les culpabiliser.

B) La révolution numérique au service de l’imagination en politique

par Nicolas Matyjasik Politologue, Sciences-Po Lille

La défiance des Français envers la politique atteint des niveaux record. Le repli et l’individualisation sont en train de miner notre quotidien. Les crises perturbent notre pacte républicain. L’État apparaît plus comme un problème que comme la solution, pour reprendre la tristement célèbre maxime du reaganisme des années 1980. Dans l’opinion, on voit bien resurgir le discours sur les privilèges de la fonction publique, l’inefficacité des services publics. En même temps, les jeunes se désintéressent de plus en plus des carrières publiques, qui leur semblent sclérosées.

Paradoxalement, on se gargarise. Le big data, les objets connectés, la révolution numérique arrivent dans les administrations publiques. Cela serait notre salut. En 2016, la France présidera même le très sérieux Partenariat pour un gouvernement ouvert (Open Government Partnership), initiative multilatérale qui compte aujourd’hui 65 pays membres et vise notamment à «  exploiter les nouvelles technologies et le numérique pour renforcer la gouvernance publique, promouvoir l’innovation et stimuler le progrès  ».

Sous couvert de transparence démocratique, de rationalisation, de contrôle des ressources publiques et de leur mise à disposition, le numérique est donc devenu un enjeu majeur de l’action publique. Avec ce gouvernement des données, nous sommes face à une quantification exacerbée de nos sociétés  : la mesure de tout, tout le temps. Cette quête de la performance nous fait entrer dans de nouveaux modes de connaissance du social. Les données sont censées caractériser des pratiques effectives et rendre le monde intelligible.

Pourtant, il y a quand même une question fondamentale à laquelle nous n’avons pas encore répondu et qui ne peut être balayée par ces technologies  : que doit être l’État, la puissance publique du XXIe siècle  ? Que voulons-nous pour nos services publics dans une société sous tension budgétaire et au bord de la crise démocratique  ?

Avec le numérique, nous sommes face à une rupture anthropologique, comme le relève le philosophe Michel Serres. Mais cela va-t-il vraiment permettre d’accroître les possibilités de l’État  ? Peut-on même envisager une transformation radicale de la nature de nos démocraties grâce à ces outils  ? Comment raviver la démocratie  : est-ce en remplaçant la présence de l’État dans les territoires par des bornes et des automates (voire des robots) qui font office de guichet  ? Est-ce en ouvrant la boîte noire des budgets ou des décisions via des dispositifs d’open data  ? Est-ce en utilisant des plateformes collaboratives en ligne pour recueillir l’avis des usagers que nous construirons de meilleures politiques publiques  ?

Les réponses ne se trouvent pas dans la technique et ses oripeaux. Elles ne sont pas non plus dans les discours incantatoires sur le numérique. Au contraire, elles se situent ailleurs et sont plus globales. Elles se trouvent dans la capacité que les femmes et les hommes politiques ont de nous faire rêver, de nous embarquer dans un futur souhaitable, désirable, dans leur volonté de construire un avenir commun, une vision du monde. En somme, il faut re-politiser le débat, réintroduire de l’idéologie et de l’utopie qui permettent d’explorer l’étendue des possibles (notamment pour nos administrations publiques). Faisons preuve d’imagination politique, «  à la charnière du théorique et du pratique  », comme le suggérait Paul Ricœur.

C) De la modernité de l’État-nation et de la souveraineté populaire

par Roland Weyl Avocat 
au barreau 
de Paris

Plutôt que de vilipender l’«  État-nation  », il faut revisiter les notions d’État et de nation. Depuis le XVIIIe siècle, est posé le passage de l’être humain du statut d’objet de pouvoir à celui d’acteur collectif de pouvoir sur les rapports sociaux et la nature. En France, la Déclaration de 1789 est des droits de l’homme, et du citoyen, qui doit avoir le contrôle des deniers publics.

Si la bourgeoisie confisque au peuple la révolution et s’arroge le pouvoir au nom d’un concept abstrait du collectif de «  nation  », pendant un siècle et demi le mouvement populaire va militer pour une démocratie fondée sur la notion de souveraineté populaire.

Et en 1945, la charte des Nations unies porte la souveraineté populaire au rang de valeur universelle  : «  Nous, peuples des Nations Unies, résolus à (…), avons décidé d’unir nos efforts. En conséquence nos gouvernements…  »

Et comme la population mondiale est répartie sur le globe en divers territoires, dans des conditions différentes, la souveraineté populaire va être exercée sur chaque territoire par la population qui y vit et qui sera maîtresse de son administration.

Elle proclame donc comme fondamental le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sans aucune intervention étrangère, même de l’ONU. Ainsi la notion de souveraineté nationale prend un sens nouveau, avec obligation de respect mutuel et intérêt à la coopération.

Et l’État aussi prend alors un nouveau contenu. Quand Louis XIV disait «  l’État, c’est moi  », c’était l’instrument de son pouvoir sur ses sujets. Sous le régime de la souveraineté populaire, l’État devient l’instrument du peuple pour son administration, et le principal service public, à la fois pour l’administration des affaires communes par les citoyens eux-mêmes et leur exercice de leurs relations internationales. Et la démocratie prend tout son contenu de citoyenneté gouvernante. Le moyen de la représentation est incontournable. La démocratie directe est impossible, mais l’élection n’a pas pour objet de donner le pouvoir aux élus  ; mais de se donner des mandataires pour l’exercer en permanence par leur intermédiaire.

Un exemple historique en a été donné (et a motivé la Ve République pour que cela ne recommence pas) quand, en 1954, lors du débat sur la Communauté européenne de défense, la majorité favorable à la ratification a basculé au rejet parce que, pendant les trois jours de débats, des délégations sont venues de toute la France remettre leurs paquets de pétitions à leur député.

Cette représentation commune doit évidemment être conforme à la diversité des composantes de la nation, et donc être proportionnalisée, mais elle est l’instrument commun du corps national, et donc la mise en pratique des concepts convergents de «  République  » (Res Publica, chose publique), de «  Commune  » et du mouvement communal dans
le patrimoine historique de la France… et du «  communisme  ».

Et comme cet État devient un obstacle pour la dictature mondiale du libéralisme économique, celui-ci mobilise tous ses moyens idéologiques pour le combattre,

C’est ce qui donne toute son importance au rôle des partis politiques, qui ne doit pas être réduit à du clientélisme électoral, parce qu’ils ont une fonction essentielle dans la formation et l’organisation de la citoyenneté gouvernante qui constitue la substance de l’État-nation contemporain.


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