Fin du collège unique Début du collège inique

mardi 19 mai 2015.
 

C’est le début d’une nouvelle époque de l’éducation en France. Le marché du savoir est en cours d’organisation sur le projet de mort lente de l’école qui a fait la France moderne. Même pour l’école, le PS n’est plus le parti du peuple. Juste celui de la caste consumériste d’éducation des classes moyennes supérieures. Qui sont déjà partie ailleurs.

Le débat, cependant, manifeste une persistance visible de l’esprit de classe que se disputent le PS et l’UMP. Madame la misère à l’école, celles des jeunes eux-mêmes, est la grande absente des profondes pensées des importants qui se chamaillent sur le latin et l’allemand. Pffff. Le « collège unique » dont je n’appréciais pas la rigidité se fait dans la pire dilution inégalitaire qu’on pouvait imaginer. Chaque établissement disposera de 20 % des horaires à sa guise. Autant d’établissements, autant de parcours. Les jeunes ne sont plus égaux devant l’accès au savoir. Le 19 mai, je souhaite bon succès a la grève des enseignants.

Le début du collège inique

La réforme du collège soulève l’habituelle montée au rideau que toute initiative de cette sorte provoque en France. Tant mieux. Il est bon que tout le monde s’intéresse et se passionne pour le débat sur l’éducation. Evidemment, ce qui se dit n’est pas toujours bien documenté et il faut subir par-dessus le marché l’habituelle marée de poncifs déclinistes qui finissent toujours par fleurir en fin de banquet. Dommage souvent, compte tenu de leurs auteurs. Ainsi, par exemple, continuer à proférer des âneries du genre « dès la maternelle, les chances de chaque enfants sont jouées » n’est pas vraiment digne d’une ministre ni du sujet à traiter. A ce rythme, on finira par dire que dès le fœtus tout est dit ! Et ce sera aussi vrai, d’ailleurs. Mais alors à quoi bon vivre et penser ?

Petit cours de pensée éducative pour les nuls. Nous naissons libres et égaux en droits mais pas en fait. L’éducation a pour objet… d’éduquer. Cela veut dire évidemment qu’au départ tout le monde n’est pas au même rang, que ce soit du fait des niveaux de développement personnel, des handicaps physiques ou mentaux, du milieu social dont on est issu qui peut vous avoir infligé de graves manques ou de sévères déformations quelle que soit votre origine sociale. Autrement dit, les formules à l’emporte-pièce sur l’âge auquel « tout est joué » n’ont aucun sens sinon de nous révéler le niveau d’arriération de celui ou de celle qui la profère. Ceux-là, en général, essentialisent les différences sociales et déclinent mécaniquement une vision très simpliste de l’être humain. A l’opposé, pour la pensée des Lumières et les progressistes, l’être humain s’auto constitue, se fabrique lui-même tout au long de son existence. A 80 ans, rien n’est encore joué ! Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’on peut dépister très tôt quel enfant va avoir besoin de davantage d’aide qu’un autre. Jusqu’au jour où, le travail ayant été bien fait par les pédagogues, cette aide supplémentaire n’est plus nécessaire. Albert Camus, fils d’une analphabète pauvre et mentalement assez « ailleurs », fut prix Nobel et son œuvre nous anime toujours. Pourtant, son sort aurait pu être considéré comme réglé dès le stade fœtal ! Et à la maternelle où il allait le ventre creux, peut-être se serait-il trouvé un grand esprit pour l’inonder de commisération au lieu de lui payer la cantine et de s’assurer qu’il était vêtu assez chaudement l’hiver.

Car le premier absent de la réforme du collège, c’est la réponse à la misère de milliers de collégiens qui font des études le ventre creux, sans chaussettes l’hiver, abreuvés de télé-réalité comme modèle comportemental, et qui parfois sont les seuls à la maison à avoir un réveil qui sonne. Qui n’a pas vu des jeunes s’évanouir en classe parce qu’ils n’ont pas mangé depuis la veille, qui ne sait pas qu’avant les jours sans cantine on se gave tant qu’on peut, ne sait pas de quoi le pays est malade à tous les étages, en plus de la stupidité cruelle et de ceux qui parlent en son nom. Oui, j’ai beaucoup de mal à rester zen devant les surenchères actuelles. A voir leurs obsessions et à constater leurs indifférences, je devine trop facilement leurs origines de classe.

Certes, je les vois faire du bruit avec leur bouche. Mais j’entends en même temps l’écho du silence vertigineux qui a accompagné le massacre en silence de l’enseignement professionnel depuis 2002 : 184 fermetures de lycées professionnels, dont 36 lycées fermés sous le gouvernement de « gôche » ! Et je les vois tenir leurs réunions bidon pour « motiver les jeunes à aller dans l’apprentissage » en faisant de nouveau cadeaux aux patrons comme si, là encore, la politique de l’offre pouvait produire autre chose que du gâchis. Quand ces gens se demanderont ils pourquoi 25 % des jeunes en apprentissage rompent leur contrat au bout de trois mois ? Quand se demanderont-ils ce qu’ils deviennent ensuite ? Et pourquoi leurs propres gosses n’y vont pas puisque c’est si bien et désirables pour ceux des autres ?

Le gouvernement de Valls parle beaucoup d’égalité pour justifier ses mesures. Par antithèse la droite dénonce les horreurs de l’égalitarisme nivelant. Comédie absolue. Dire qu’on supprime le latin parce que tout le monde n’en fait pas est un grossier attrape nigaud. 550 000 jeunes font du latin. Un élève sur cinq ! Ce n’est pas rien. Ni en nombre, ni en changement des formations de base des jeunes en France. J’admets qu’on puisse changer d’avis sur l’importance de cette matière. Mais peut-être pourrait-on en débattre au fond et non sur de prétextes égalité/inégalité. Le PS serait-il devenu maoïste pour décréter que le latin est d’essence inégalitaire comme le piano était un instrument bourgeois dans la révolution culturelle ? La posture de la déroute ne vaut pas mieux. Si le latin est indispensable pour tous, pourquoi la droite n’en réclame-t-elle pas l’apprentissage par tous ? A moins qu’elle ne prétende défendre les filières secrète « latin-allemand » à l’usage des enfants les mieux normés que la ministre dit vouloir supprimer ?

L’égalité par le vide, je connais cette musique. En 2001, on supprima la filière technologique en 4ème et 3ème sous le prétexte d’empêcher la formation d’une filière « dévalorisée » vers l’enseignement professionnel. On se garda bien de supprimer les cantonnements de l’élite sociale. Mais des milliers de jeunes furent mis en situation d’échec total alors que l’enseignement professionnel est une voie de réussite avérée indispensable au pays ! Pour avoir protesté « Libération/Pavlov » me traina dans la boue réservée aux ennemis droitiers du collège unique. Maintenant, le collège unique finit sous leurs yeux et ils roucoulent !

La vérité du plan gouvernemental tient d’abord dans les exigences de court terme : faire les coupes budgétaires nécessaires dans le premier budget du pays. Point final. Ici l’enfumage est total. Une fois de plus, le vol des mots et l’usage des armes de propagande massive font le travail. Hollande peut continuer ses numéros sur la jeunesse et l’école sans que ses passe-plats médiatiques ne le reprennent. Pourtant sur les 60 000 postes promis, moins de 4 000 ont été créés. Exactement 3 856 dont 950 en collèges et lycées ! Il aura été créé moins de 1 000 postes en collèges et lycées ! Le bidouillage des chiffres consiste à mettre en avant les 28 000 postes de stagiaires créés. Mais ces postes ne sont pas définitifs ! Ils ne le deviennent que si un titulaire s’en va ou si un poste supplémentaire est créé. Or, l’essentiel des 28 000 vont être absorbés pour remplacer des départs en retraite. Mais ce doit être trop long à expliquer en format télé et ça ne fait pas le buzz. Emballer la diminution de moyen par élèves dans une cape d’invisibilité grâce à une bonne polémique sur tel ou tel aspect du programme c’est aussi de la communication « opérationnelle ». Bref, c’est une ruse.

Le second objectif de fond est bien plus lourd. Il s’inscrit dans la durée. Le vice est logé dans les 20% des moyens horaires dont l’affectation sera décidée dans chaque collège ! Fin de l’égalité de formation des élèves, fin du collège unique mais par la pire méthode : l’inégalité de la formation initiale, dès le collège. Dans chaque collège commencera donc une incroyable sarabande de compétition entre les enseignants pour savoir quelle discipline aura des heures et quelle autre sera diminuée. Une partie de ces horaires à la carte sont réservés à des enseignements pluridisciplinaires. Pourquoi pas dira-t-on ? Mais l’enseignement pluridisciplinaire est un exercice pédagogique compliqué. Ça s’apprend. Quand et où ? C’est chronophage pour les enseignants car c’est beaucoup de préparation. Pour le même temps de travail ? Pour la même paye ? Allons ! Ce n’est pas sérieux ! Et les élèves ? Quelle garantie a–t-on qu’ils conserveront un accès efficace à l’acquisition des connaissances dont ils ont besoin avec 400 heures de moins d’enseignement dans les diverses disciplines alors qu’on ne sait pas encore à quoi correspond ce type d’enseignement pluridisciplinaire !

Tant de sottises s’expliquent par un objectif qui ne doit rien à l’improvisation. Si chaque collège a sa propre grille horaire et sa propre « dominante » dans telle ou telle discipline, alors tout le monde comprend qu’un marché est ainsi créé. Chaque établissement aura désormais son « caractère propre ». Ainsi sera réalisé le grand projet d’établissements d’enseignements concurrentiels. Viendront les établissements privés en toute quiétude, pas seulement confessionnels mais bel et bien vendeurs de savoirs. Je vous raconte la suite ? Chacun pourra recevoir un chèque éducation et choisir l’établissement de son choix en recevant sa part personnelle du budget de l’État. On incitera les « investisseurs » à créer de tels établissements, comme on l’a fait hier pour les cliniques logées dans les hôpitaux publics et on pourra même imaginer un paiement à l’acte pour chacun. Grosse, la ficelle. Après la réforme de l’université et celle du lycée nous voici au collège. Bientôt l’école primaire et la maternelle ! Les planificateurs de Bercy marchent avec des grosses chaussures cloutées. Schaüble et Merkel vont être contents d’eux et ils auront une bonne note de la Commission bientôt. Les clercs ont trahis !


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