Le climat et la préparation de la COP21 : le mauvais accord qui vient, le mensonge pour le dissimuler et ceux qui tirent les ficelles

samedi 4 juillet 2015.
 

Laurence Tubiana est l’ambassadrice française chargée des négociations climatiques. Sa responsabilité est particulièrement importante étant donné que Paris accueillera le sommet des Nations Unies à la fin de l’année. Le 27 mai, Mme Tubiana était auditionnée conjointement par les commissions des affaires étrangères et du développement durable du Sénat français. Une vidéo est en ligne qui permet à tout à chacun de prendre connaissance de son allocution, des questions des sénatrices et sénateurs (celles-là nettement plus pertinentes que ceux-ci, notons-le en passant !) ainsi que des réponses de l’ambassadrice [1].

Mme Tubiana semble être une personne honnête, sincèrement préoccupée de la gravité de la situation et qui fait de son mieux pour trouver les meilleures solutions possibles dans le cadre où elle agit. De plus, elle répond sans faux-fuyants aux questions qui lui sont posées. Son audition n’en montre que plus clairement à quoi il convient de s’attendre : un accord totalement insuffisant, taillé sur mesure pour les entreprises responsables de la catastrophe, et une stratégie de communication pour créer malgré tout l’illusion que la situation est sous contrôle.

La physique nous dérange ? Changeons la physique !

Commençons par ce dernier point – la com’. D’entrée de jeu, Mme Tubiana fait une révélation fort édifiante : si les négociateurs se sont mis d’accord pour fixer à la politique climatique l’objectif de contenir le réchauffement au-dessous de 2°C par rapport à la période préindustrielle, c’est, dit-elle, pour ne pas devoir s’engager à respecter un plafond chiffré de concentration atmosphérique en gaz à effet de serre, plafond d’où découleraient obligatoirement des objectifs tout aussi chiffrés de réduction du volume des émissions, étalés selon un calendrier contraignant.

Cette affirmation de l’ambassadrice paraît à première vue incompréhensible. En effet, à un volume d’émission x correspond une concentration y qui entraîne une température z. A moins de retirer artificiellement du carbone de l’atmosphère, ou de faire appel aux apprentis sorciers de la géoingénierie, il y a un lien indéfectible entre ces trois éléments. On peut fixer l’objectif à atteindre en termes de température, de concentration ou de volumes d’émission, ce ne sont que des manières différentes d’exprimer la même chose.

Pour que l’affaire soit compréhensible par chacun-e, il convient de rappeler les principales données du problème telles qu’elles figurent dans le 4e rapport du GIEC et dans le rapport « Emissions gap » du PNUE :

– contenir le réchauffement au-dessous de 2°C n’est possible que si la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre ne dépasse pas 450 à 490 ppm (parts par million en volume) et si la concentration en CO2 ne dépasse pas 350 à 400 ppm (elle vient de franchir ce seuil en mars dernier) ;

– respecter cette contrainte implique à son tour que le volume des émissions mondiales diminue de 50 à 85% d’ici 2050 – en commençant au plus tard en 2015- pour devenir négatif à la fin du siècle [2] ;

– en tenant compte du principe de la responsabilité commune mais différenciée (c’est-à-dire de la responsabilité historique de chaque pays), l’objectif de réduction des pays développés devrait être de 25 à 40% en 2020 et de 80 à 95% en 2050 ;

– ces objectifs peuvent aussi être exprimés en chiffres absolus, donc en quantités maximales de gaz à effet de serre émises à diverses échéances : selon le PNUE, pour qu’il soit « probable » (plus de 66% de chances) de rester sous 2°C, les émissions mondiales doivent culminer avant 2020 [3] pour être réduites à 44 gigatonnes (Gt) en 2020 (au lieu de 54-60 Gt prévisibles au rythme actuel), 40 Gt en 2025 et 35 Gt en 2030.

Ce que Mme Tubiana nous révèle à propos des 2°C maximum est donc tout simplement ceci : les négociateurs ont décidé arbitrairement que, dans leur monde, le lien entre température-concentration-émissions n’est plus indéfectible. Pour rassurer les populations et leur faire accroire que leurs gouvernements contrôlent la situation, le sommet de Paris « réaffirmera l’objectif des 2°C » (Laurence Tubiana dixit)… tout en prenant des décisions qui ne permettent absolument pas d’atteindre ce but.

« Puisque nous ne parvenons pas à agir conformément aux lois de la physique, changeons les lois de la physique » : voilà en fait à quoi revient ce tour de passe-passe. Ou encore : « Puisque nous ne parvenons toujours pas à découpler la croissance économique de celle des émissions… découplons l’objectif que nous affichons sur le papier de ce qui le détermine dans la réalité. » Remettons à après-demain…

Du coup, Mme Tubiana le dit clairement : ce qui se négocie en vue du sommet de Paris est et sera complètement insuffisant. Comme elle semble avoir un certain souci de cohérence intellectuelle, l’ambassadrice expose alors la solution imaginée pour tenter malgré tout de combler l’écart entre les paroles et les actes – autrement dit, entre l’objectif des 2°C et la réalité des émissions.

Cette solution, dit-elle, consisterait en un mécanisme de révision de l’accord. Les parties se réuniraient régulièrement pour constater que ce qu’elles viennent de décider ne convient pas, et débattre de mesures complémentaires.

Outre qu’on ne voit pas pourquoi il faudrait remettre à après-demain ce qui pourrait être fait aujourd’hui, puisque toutes les données sont sur la table, ni pourquoi il serait plus facile de trouver une solution valable dans une situation encore plus grave et tendue par l’urgence, cette « solution » n’en est évidemment pas une.

La négociation et la ratification d’un traité de ce genre prennent des années. Le précédent du protocole de Kyoto donne une indication : il fut adopté sept ans après le sommet de Rio, et sa ratification demanda encore huit années supplémentaires. A supposer même que les délais de révision de l’accord de Paris soient plus courts, il reste que la proposition exposée par Mme Tubiana est incompatible avec le respect de deux conditions essentielles pour maintenir le réchauffement sous les 2°C : 1°) le pic des émissions mondiales avant 2015 (GIEC) ou 2020 (PNUE) ; 2°) les objectifs de réduction intermédiaires pour 2020, 2025, voire même pour 2030, mentionnés ci-dessus.

La carotte plutôt que le bâton

Dans le débat qui a suivi l’allocution, une sénatrice d’EELV (les Verts) a interrogé l’ambassadrice sur la formidable puissance des entreprises qui exploitent les combustibles fossiles. Elle lui a demandé comment elle comptait affronter cette question, sachant que, pour sauver le climat, deux tiers des réserves fossiles devraient ne jamais être exploitées (ce qui revient à dire qu’une part substantielle du capital de ces entreprises doit être détruite). Un autre élu a soulevé la question de l’impunité des grands pollueurs, qui contraste avec la répression des petits. Ce sont en effet des questions clés.

Dans sa réponse, Mme Tubiana a dénoncé en termes assez peu diplomatiques les projets d’exploitation pétrolière dans l’Arctique, ce qui est plutôt sympathique. Mais elle s’est reprise ensuite, a concédé qu’il n’est pas facile de s’interdire d’exploiter une ressource qu’on a la chance de posséder sur son territoire, et a exposé fidèlement la doctrine néolibérale : il faut convaincre les capitalistes fossiles du fait que la transition énergétique est dans leur intérêt, les aider à adapter leurs modèles d’affaire et… chercher un accord avec eux sur la transition. « On ne créera pas un tribunal climatique », « La carotte plutôt que le bâton », a-t-elle résumé…

Ce que cette politique de la carotte signifie en pratique, on en avait eu la démonstration une semaine auparavant, avec le discours de François Hollande aux patrons réunis à Paris pour le Sommet des entreprises pour le climat. Fruit de la volonté onusienne d’associer les entreprises à la négociation, ce sommet était soutenu par divers lobbies, dont le World Business Council for Sustainable Development. Ce WBCSD compte parmi ses deux cents membres quelques-uns des plus grands pollueurs de la planète (Shell, BP, Dow Chemicals, Petrobras, Chevron,…). Il est présidé par le patron d’Unilever (vous avez dit « déforestation » ?) et a été fondé par Stephan Schmidheiny, l’ancien PDG d’Eternit (vous avez dit « empoisonnement à l’amiante » ?) [4]. Tout un programme !

« Messieurs les patrons, la Terre est à vous »

Prenant la parole devant ce parterre de canailles responsables de l’exploitation du travail et de la destruction de la planète, le Président français ne s’est pas contenté de les caresser dans le sens du poil : il leur a littéralement promis, non pas la Lune, mais la Terre : « Les entreprises sont essentielles parce que ce sont elles qui vont traduire, à travers les engagements qui seront pris, les mutations qui seront nécessaires : l’efficacité énergétique, la montée des énergies renouvelables, la capacité de se transporter avec une mobilité qui ne soit pas consommatrice d’énergie, le stockage d’énergie, le mode de construction des habitats, l’organisation des villes, et également la participation à la transition, à l’adaptation des pays qui sont en développement. »

« Les entreprises sont essentielles parce que ce sont elles qui vont traduire les engagements qui seront pris ». C’est un Président social-libéral qui le dit. Ainsi, la boucle est bouclée. Un accord à Paris est probable. Un mauvais accord qui verrouillera la catastrophe sur le dos des 99%. L’ampleur du réchauffement qui en découlera ne pourra être évaluée avec précision que lorsque tous les pays auront remis leurs objectifs nationaux. Sur base de ce qu’on sait, notamment de l’accord conclu l’automne dernier entre la Chine et les USA, il risque d’avoisiner 4°C…

Cet accord est probable parce que les gouvernements, pour contrer l’influence des climato-sceptiques dans les rangs patronaux, n’ont rien trouvé de mieux que s’aligner complètement sur les exigences du capital. « La planète vous appartient, Messieurs les pollueurs », disent en substance les responsables politiques. « Développez le nucléaire, la capture-séquestration, les agrocarburants et autres modes d’exploitation de la biomasse. Proposez le rythme de la transition, les technologies, le financement. Le degré de catastrophe supportable par vos actionnaires, le sort des pays du Sud, le mode d’organisation de nos villes et de nos campagnes. Proposez, enrichissez-vous, nous disposerons »… Et les pauvres paieront. Sans carotte.

Daniel Tanuro


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