Syriza (Grèce) : « Pas de sacrifices pour l’euro »

mercredi 10 juin 2015.
 

Médecin engagée, forgée dans la grande lutte estudiantine de 1979, Afroditi Stampouli participe à l’aventure de Syriza depuis sa fondation en 2004. Militante féministe, syndicaliste, altermondialiste de la première heure, la native de Serres, dans le nord de la Grèce, siège au Parlement national depuis 2012. Ce qui ne l’a pas empêchée de faire un crochet ce week-end par Genève, étape de la quatrième Marche mondiale des femmes, qu’elle accompagne depuis son départ le 8 mars au Kurdistan. Pour Le Courrier, Mme Stampouli revient sur les quatre premiers mois de pouvoir de Syriza.

Benito Perez : Votre deuxième mandat de députée, débuté en février dernier, doit être très différent du premier : comment vit-on la responsabilité de gouverner la Grèce dans un contexte si difficile ?

Afroditi Stampouli : Cela change tout, en effet. Si nous conservons une fonction de contrôle du gouvernement, notre rôle est surtout de proposer des lois. Or l’application de notre programme nécessite beaucoup de modifications législatives.

Notre première tâche a été de répondre à la crise humanitaire. Désormais, l’alimentation, le logement et l’électricité sont garantis. Nous avons aussi voté une loi pour l’humanisation des prisons. Par manque de place, des milliers de détenus étaient enfermés dans des conditions déplorables au sein des commissariats ou autres cellules d’urgence. En diminuant la durée des peines, nous avons pu désengorger les prisons.

Nous avons aussi mis en application une loi « oubliée », qui permet de libérer les toxicomanes incarcérés s’ils s’engagent dans un programme de sevrage.

Concernant l’éducation, nous avons éliminé des règles qui limitaient le droit à l’éducation supérieure. L’accès à l’université est facilité pour les élèves du secondaire venant de milieux modestes. Et il est à nouveau possible de reprendre des études à tout moment.

La question sanitaire vous préoccupe particulièrement

Oui, car l’austérité a provoqué une grave crise, faisant exploser le taux de mortalité, selon une étude publié par The Lancet, avec des conséquences grandissantes sur l’espérance de vie.

Beaucoup de personnes ont perdu leur couverture maladie en tombant au chômage, c’est pourquoi nous avons instauré le principe d’une couverture médicale sans critère de ressources. Nous avons aussi supprimé la taxe de prise en charge hospitalière.

Au niveau du personnel, nous prévoyons d’engager quelque 4500 soignants pour redoter les hôpitaux dans lesquels les départs à la retraite n’étaient plus compensés. Et les travailleurs de la santé ont pu recevoir leurs arriérés de salaire pour les gardes effectuées depuis 2012. Enfin, nous avons bon espoir de parvenir à un accord avec les entreprises pharmaceutiques pour faire baisser le prix des médicaments.

Et en matière économique ?

Pour relancer l’économie, nous avons prévu un mécanisme de remboursement étagé des charges sociales, afin de faire rentrer l’argent mais aussi afin de permettre la réintégration dans le système, sans pénalité, des petites entreprises et des indépendants qui ne parvenaient plus à payer. Plus largement, nous cherchons à répartir différemment la charge fiscale, faisant contribuer davantage ceux qui ont profité de la crise et soulageant les autres. Nous avons aussi réembauché les fonctionnaires qui avaient été licenciés au mépris de la Constitution. Par exemple, nous avons rouvert la radio-télévision nationale, lui réattribuant tous ses canaux, régionaux notamment. Le précédent gouvernement en avait fait une toute petite structure centralisée, histoire de mieux la contrôler.

Vous aviez aussi promis de fiscaliser l’Eglise et d’économiser sur l’armée. Avez-vous renoncé à ces mesures ?

Non. Elles ne sont pas abandonnées mais tout d’abord nous nous attelons à faire rentrer les impôts de ceux qui devraient payer mais ne paient pas, comme certains grands entrepreneurs.

L’Europe vous empêche quand même d’appliquer une partie de votre programme, comme le relèvement du salaire minimum.

Les gouvernements néolibéraux européens exigent que l’on abaisse les rentes des retraités et refusent qu’on augmente le salaire minimum. Mais, pour nous, il s’agit des lignes rouges à ne pas franchir. La loi prévoyant la hausse du salaire minimum à 751 euros et qui restaure les conventions collectives sera votée d’ici à une ou deux semaines.

Certains pensent que les Grecs travaillent moins que les autres et qu’ils peuvent prendre leur retraite à 50 ans.

C’est faux, évidemment. Les chiffres d’Eurostat attestent que les Grecs travaillent plus d’heures et de jours que la moyenne européenne. Quant à la retraite, presque tous les Grecs la prennent après 60 ans. Cette légende vient du fait qu’il y a des secteurs à part, comme celui des banques, où l’on partait plus tôt, mais c’étaient les employeurs qui étaient demandeurs, afin d’embaucher des employés moins chers.

Comment expliquez-vous que les créanciers insistent tant sur la baisse des revenus des Grecs si leur but est d’être remboursés ?

Le souci des gouvernements néolibéraux d’Europe n’est pas la dette. Sinon ils seraient favorables à une hausse des salaires qui s’accompagne d’une hausse des recettes fiscales. C’est une attaque de classe, une attaque contre les droits des travailleurs de toute l’Europe, pas seulement les Grecs, cela a été la même chose en Espagne, d’où la victoire de Podemos ce week-end. Ce qu’ils défendent, c’est une augmentation du profit des entreprises, un renforcement de l’exploitation.

Ce n’est pas une bataille entre des pays du Nord et un pays du Sud, mais oppose les gouvernements néolibéraux aux travailleurs, y compris de leur propre pays.

Dans ce cas, il paraît illusoire d’espérer un accord avec ces gouvernements qui semblent décidés à faire de la Grèce un exemple pour tout pays qui voudrait s’écarter de leur politique.

Je pense, malgré tout, qu’un accord est possible. Car si une rupture serait mauvaise pour la Grèce, elle serait aussi néfaste pour l’ensemble de l’Europe ! Je ne crois pas que ce serait un bon exemple de provoquer une catastrophe économique pour l’ensemble du continent !

Depuis février, le gouvernement de Syriza a remboursé plusieurs milliards d’euros sans recevoir l’aide promise. N’aurait-il pas fallu rompre avec les créanciers dès le départ, lorsque les caisses n’étaient pas encore vides ?

Mais les caisses ne sont pas vides ! Les rentrées fiscales suffisent à faire face aux échéances, payer les salaires, les retraites, les fournisseurs, etc. Ce que l’Etat ne peut plus faire, c’est de payer la dette si elle n’est pas refinancée par le mécanisme européen. Tant que la Grèce peut payer, elle le fait. Mais si demain le gouvernement doit choisir entre payer la dette ou assurer ses dépenses courantes, il fera le second choix.

Que se passera-t-il si la Banque centrale européenne venait à fermer le dernier canal de financement qu’elle maintient aux banques grecques. La Grèce devrait sortir de l’euro, non ?

(Un bref silence..) On pense que ça n’arrivera pas ! (Elle rit.) C’est impossible. Je ne crois pas que la BCE voudra se suicider !

Il n’y a pas de plan B ou vous ne voulez pas nous le révéler ?

Si on se met à parler de plan B, cela signifierait que le plan A est perdu. Ce qui n’est pas le cas !

Syriza, qui s’est réuni en comité central le week-end dernier, semble toutefois divisé sur la stratégie.

Non. Il n’y a qu’une seule stratégie. Les trois textes déposés au comité central ne s’opposent pas, ils présentent juste des variations. La différence entre le texte majoritaire et le second réside dans la nécessité ou non d’établir d’ores et déjà ce plan B (lire ci-contre). Pour la majorité, ce n’est simplement pas à l’ordre du jour.

Pour beaucoup de militants de gauche en Europe, Syriza est un modèle. Et se demandent quel est votre secret : comment avez-vous pu rassembler durablement autant de courants de gauche ?!

Il n’y a pas de secret ! A Syriza on peut discuter, avoir des idées différentes. Simplement, nous sommes d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les réponses qu’il faut apporter aux problèmes de la population et sur les revendications face aux créanciers et à la classe dominante !

De plus, le seul désaccord important – faut-il comme préalable à toute politique alternative sortir de l’euro ? – transcendait déjà les partis qui ont fondé Syriza. Or ce clivage a eu tendance à s’effacer ces dernières années, en particulier depuis que la majorité a adopté la ligne actuelle qui proclame : « Aucun sacrifice pour l’euro ». Si les gouvernements néolibéraux décident de punir la Grèce en la sortant de l’euro : c’est leur choix, pas le nôtre, mais nous assumerons.

Courte majorité pour Tsipras

Faut-il continuer à négocier malgré les « méthodes d’extorsion » des créanciers ou rompre au plus vite si l’Europe ne change pas d’attitude ? Le Comité central de Syriza était saisi samedi 23 et dimanche 24 mai de cette question sibylline, derrière laquelle se sont mesurées les deux principales sensibilités du parti de la gauche radicale grecque. Avec à la clé un avertissement envoyé au premier ministre Alexis Tsipras, dont la majorité se réduit de mois en mois au sein de l’instance.

Pour l’aile (encore) minoritaire, qui a rassemblé quelque 44% des voix, le « compromis honorable » recherché par le gouvernement paraît bien mal engagé. Elle réclame donc la mise en place d’un « plan B », qui impliquerait l’arrêt immédiat des remboursements (la prochaine échéance concerne une créance auprès du FMI, à verser le 5 juin prochain). Ce défaut devrait être accompagné d’une « nationalisation des banques », d’une « taxation substantielle de la fortune et des grandes propriétés », et d’une régulation du marché du travail, avec garantie pour les droits syndicaux.

Pour l’heure, le Comité central préfère garder sa confiance en Alexis Tsipras, dont la motion réaffirme la recherche d’un accord, mais place des conditions minimales à celui-ci : l’obligation de dégager des excédents budgétaires doit être modérée et laisser place à d’importants investissements. Syriza refuse également toute nouvelle coupe dans les salaires et les pensions et exige une restructuration de la dette.


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