Thomas Piketty : "Avec la Grèce, on invente la pénitence éternelle"

samedi 20 juin 2015.
Source : Marianne
 

Alors que les négociations entre la Grèce et ses créanciers n’en finissent pas de ne pas finir, l’économiste appelle la France à "s’engager dans un bras de fer avec l’Allemagne".

Il imagine une alliance avec "l’Italie, la Grèce, peut-être l’Espagne à la fin de l’année si les élections débarquent les conservateurs, pour lui dire clairement qu’on ne peut pas avoir de monnaie unique sans un minimum de processus démocratique sur les questions du choix du déficit public", notamment." Extraits.

Marianne : Avec d’autres économistes de renom (1), vous signez un appel pour que l’Union européenne change de politique vis-à-vis de la Grèce. « La manière dont la Grèce sera traitée sera un message pour tous les partenaires de l’eurozone », écrivez-vous. Mais Berlin, Paris, la Commission européenne, la BCE et le FMI persistent à vouloir imposer une véritable reddition politique au gouvernement Tsipras ?

Thomas Piketty : De quoi a-t-on discuté jusqu’à présent ? De l’obligation pour les Grecs de payer jusqu’à 4 % de leur PIB d’impôt en plus de ce que nécessitent leurs dépenses publiques pour rembourser la dette publique. A vouloir absolument que les Grecs payent, on invente le paiement éternel, la pénitence éternelle. Alors même que les jeunes Grecs ne sont pas plus responsables que les jeunes générations d’Allemands des années 50-60 pour les « bêtises » bien plus grosses de leurs parents. Il faut être clair, cela ne se fera pas. Ce que les Allemands veulent absolument éviter, on finira de toute façon par le faire : restructurer la dette grecque, et avec elle l’ensemble de celles des pays de la zone euro. Car, pour que l’annulation des dettes pour certains soit acceptable pour les uns, il faudra aussi le faire pour les autres, comme le Portugal. La leçon à tirer de ce triste épisode, c’est que la rigidité doctrinale sur le paiement des dettes est contre-productive et absurde. La dette est une question politique, citoyenne, pas technique. A trop la laisser à un petit groupe d’experts, de technocrates et de financiers, on arrive justement à des solutions idéologiques !

(…)

Le gouvernement français affirme œuvrer positivement pour les Grecs. Vous y croyez ? Non.

On a perdu cinq mois dans les négociations avec la Grèce, car la France s’est mise hors jeu. D’abord lors de la négociation du traité budgétaire en 2012, puis lors des discussions avec la Grèce. Rien n’obligeait la France à agir ainsi. L’Allemagne toute seule, sans l’accord de la France, n’aurait pu imposer ses choix sur ces deux questions au reste de l’Europe. Cette stratégie, permettant de se défausser alternativement sur Bruxelles ou Berlin, est confortable, mais irresponsable quand on sait qu’à la fin des fins toute cette mécanique s’effondrera, parce qu’elle ne marche tout simplement pas. Si le gouvernement français laissait faire ceux qui, comme Wolfgang Schäuble en Allemagne, veulent pousser les Grecs dehors, il porterait une terrible responsabilité historique.

(…)

Nous avons donc un problème avec l’Allemagne, avec qui nous partageons la monnaie commune. Comment tenter de le régler ?

Je pense que la France devrait s’engager dans un bras de fer avec l’Allemagne, avec à ses côtés l’Italie, la Grèce, peut-être l’Espagne à la fin de l’année si les élections débarquent les conservateurs, pour lui dire clairement qu’on ne peut pas avoir de monnaie unique sans un minimum de processus démocratique sur les questions du choix du déficit public, de la supervision de la BCE, du niveau d’investissement, de l’union bancaire du Mécanisme européen de stabilité, de la restructuration de la dette...

Propos recueillis par Emmanuel Lévy Hervé Nathan


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