Interview parue dans le Monde du 25 juin 2015 « Je dois travailler comme si j’allais devoir être candidat »

mercredi 1er juillet 2015.
 

Estimez-vous qu’Alexis Tsipras, le premier ministre grec, puisse encore imposer ses vues face aux créanciers de son pays sans se renier ?

Jean-Luc Mélenchon : J’ai confiance en lui ! Je connais aussi la dureté de ce qu’il affronte. La dette grecque a cessé depuis longtemps d’être une question financière : elle est exclusivement politique. Il s’agit de prouver qu’on ne peut désobéir aux libéraux. Mais si, par les violences de la Banque centrale, le système bancaire grec s’effondre, si la Grèce est mise en banqueroute, les Français devront payer 40 milliards et les Allemands 60 milliards. C’est inenvisageable. Si on trouve l’accord technique qui permet d’effacer la dette grecque par des mécanismes de rééchelonnement, tout le monde s’épargnera cette épreuve absurde. La responsabilité intégrale du danger repose sur Merkel et Schäuble [la chancelière et le ministre des finances allemands] qui ont parié sur la tension et l’inertie de Hollande.

M. Tsipras pourrait cependant avoir du mal à faire valider un possible accord à sa majorité…

En effet. Pour ma part, je m’en remettrais au vote du peuple. Dans une telle bataille, on ne doit pas se laisser enfermer. L’ouverture et la force, c’est d’avoir son peuple avec soi.

Quelle conséquence aurait un échec de Tsipras pour la gauche radicale européenne ?

L’Eurogroupe transigera, c’est certain ! Qui veut payer à la place des Grecs ? Donc les créanciers céderont. C’est un jeu d’écriture. Nous allons nécessairement gagner sur l’essentiel. Tout le reste se discute.

Vous ne croyez pas à la possibilité d’un « Grexit » ?

Si, c’est possible. En 2011, le directeur de cabinet de M. Schäuble s’est exprimé publiquement en faveur de deux zones euro. C’est irresponsable dans le contexte. La géographie de l’euro ne peut pas changer sans qu’il y ait des conséquences mondiales. Il y a un point à partir duquel c’est la panique qui l’emporte. L’Europe de l’Est et du Nord est déjà profondément contaminée par l’extrême droite et le nationalisme qui sont caractéristiques de ces périodes. Si on ajoutait une énorme crise financière, il faudrait s’attendre à des explosions que personne ne pourra maîtriser.

Vous êtes donc contre une sortie de l’euro ?

J’ai refusé de fétichiser la monnaie. Les Anglais ne sont pas dans la monnaie unique et ce n’est pas le socialisme pour autant chez eux. L’Europe a été annexée par le gouvernement allemand au profit de ses retraités les plus aisés. Je mise sur la puissance de la France, si nous la dirigeons, pour changer le cours des choses. La monnaie unique, accompagnée d’un protectionnisme solidaire et d’une harmonisation sociale et fiscale progressive, peut aussi être un bon outil de travail pour une Europe des conquêtes sociales. Mais ce qui se fait à présent lui tourne le dos. Nous avons un plan B : désobéir sans limite !

Pourquoi n’y a-t-il pas de Syriza ou de Podemos à la française ?

Nulle part en Europe, y compris dans des pays qui subissent un sort beaucoup plus dur que le nôtre, il n’y a eu de répliques. Il faut relever le défi ! Mais pas d’impatience ! Le peuple grec a tout essayé avant d’en venir à Syriza ! Y compris une coalition aussi étrange qu’un gouvernement commun de la droite, du parti socialiste grec et de l’extrême droite. Podemos s’est imposé après une puissante activité populaire et une rupture avec les structures politiques traditionnelles y compris celles de « l’autre gauche ». Dans les deux cas, la crédibilité est venue de l’autonomie face au système politique et au PS. Cette question n’est toujours pas tranchée chez nous. L’ambiguïté nous cloue au sol. Et puis le Front de gauche doit se dépasser. Je suis satisfait d’avoir convaincu tout le monde que la suite sera un mouvement citoyen dépassant les partis. Mais alors chacun est au pied du mur. Les régionales sont l’occasion de faire du neuf !

C’est pourquoi le Front de gauche n’est toujours pas en ordre de bataille pour ces élections ?

Aux départementales, nous avons commencé, sous les radars j’en conviens, à travailler ces formules dans plusieurs endroits de France avec des résultats que je juge spectaculaires, comme dans le Jura. On a pu cristalliser une alliance entre les classes moyennes et le programme écosocialiste. C’est dans ce chemin qu’il faut continuer. Il faut des listes citoyennes et les partis doivent se mettre à leur service. J’ai fait cette proposition au Front de gauche en janvier. Mais il y a loin entre les déclarations d’intention de beaucoup et leur capacité à bousculer des habitudes. Pour l’instant, ma proposition est en débat. Je souhaite qu’elle entraîne tout le monde. Sinon tant pis. Elle avancera avec ceux qui veulent bien avancer.

Est-ce la mort du Front de gauche ?

Non. Certes le Front de gauche est autolimité par sa forme de cartel de petits appareils. Mais il reste un point d’appui essentiel. Je sais que j’agace en bousculant tout le temps les routines. Mais je déplore que l’on masque par le dénigrement personnel des divergences de stratégie. Il n’y a pas de divergences sur le projet « l’humain d’abord ». Le débat porte sur deux points : autonomie absolue vis-à-vis du PS, prééminence du mouvement citoyen et de ses assemblées représentatives. C’est au peuple de trancher entre nous et le PS. L’ambiguïté nous a envoyés dans le mur aux municipales.

Que s’est-il passé avec Cécile Duflot ?

J’en suis stupéfait ! Comment peut-elle virevolter entre deux stratégies aussi opposées en l’espace d’à peine trois semaines et avec des procédés humainement aussi déplorables ? EELV est partagé entre le retour au gouvernement et la coalition avec nous. Duflot préfère l’isolement à la clarté. Pour moi, l’efficacité électorale tient à la clarté de la coupure entre les deux orientations : celle du PS et de sa soumission aux politiques européennes et la nôtre qui est de lutter contre. Syriza a gagné au prix de cette clarté.

Les « frondeurs » et les écologistes vous accusent d’être un frein à un rapprochement…

Pas tous ! Mais je suis d’accord : je suis une partie de leur problème puisque je ne veux pas combiner avec le PS. Je refuse la tambouille. Je demande qu’on n’en fasse pas une affaire personnelle. Que me reproche-t-on à la fin ? Ma manière d’être ? De parler ? Mes 11 % ? Ce sectarisme à mon endroit est absurde. Me diaboliser au moment où l’on dédiabolise Mme Le Pen est une lourde faute !

En 2012, vous avez engagé « une course de vitesse » avec le FN. Trois ans plus tard, ont-ils gagné ?

C’est évident. Nous avons perdu une bataille et on sait pourquoi. En France, la clé pour ceux qui contestent et rejettent cette politique, c’est la rupture. En allant à une élection départementale avec trois stratégies dans une même ville, nous nous sommes rendus indétectables. En 2012, nous étions identifiables par une opposition frontale au système qui a obligé les socialistes à bouger et à passer sur notre terrain avec le discours contre la finance. La clé du succès actuel de Mme Le Pen, c’est sa rupture avec la droite traditionnelle. Elle a pu ainsi créer dans son camp – la droite – une dynamique qui pousse les autres à adopter son discours au point de le rendre dominant !

Est-ce que vous pensez être le meilleur pour 2017 dans votre camp ?

Je ne sais pas. Après 2012, j’ai tout fait pour transformer notre force électorale en une force matérielle. Les grandes marches citoyennes furent des succès. Mais j’ai échoué à convaincre le Front de gauche d’endosser dans la durée et le concret ses propres mots d’ordre révolutionnaires comme celui de VIe République. Pour 2017, je m’exprimerai le moment venu. Comprenez : je sors d’une année où pesait sur moi l’agonie de mon camarade François Delapierre [son bras droit décédé le 20 juin] . A mes yeux, il était apte à être un des choix pour notre gauche en 2017. Maintenant, il me faut définitivement agir sans lui. Je vois la vie d’une autre manière. Même très entouré au PG et dans le peuple, je ressens quelque chose comme la solitude des premiers de cordée. Car je dois travailler comme si j’allais devoir être candidat, et préparer tout ce dont j’aurai besoin pour mener ce combat, s’il le faut. Tous les soutiens seront les bienvenus. Un cessez-le-feu contre moi dans mon camp serait le bienvenu.

Le Parti de gauche tient son congrès les 4 et 5 juillet. Deux cadres du parti l’ont récemment quitté en mettant en cause son fonctionnement. Votre parti est-il en crise ?

Non. Les frustrations d’ego sont inévitables. Elles restent marginales. Par contre, il y a des questions qui font vraiment débat : la stratégie par rapport au mouvement citoyen à impulser et la question de l’euro. J’aurais préféré qu’on laisse le temps aux événements de montrer les points de passage pour l’action. Mais puisque ça trouble dans nos rangs, mieux vaut en parler ouvertement. Pour le reste, le PG assure bien ses changements de direction depuis mon retrait en 2011. Le renouvellement des générations et du programme se fait tranquillement. Mais ce parti ne doit pas oublier qu’il doit se dépasser un jour prochain dans un ensemble plus ample. Son but n’est pas de durer 90 ans comme le PCF ou 105 ans comme le PS. Je sais que la vague viendra vers nous, à terme. Mais, pour qu’elle passe au bon endroit, il faut être courageux et tenir bon.

Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulieres


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