Les créanciers de Balzac ont des allures de troïka

jeudi 2 juillet 2015.
 

Festival d’Avignon. Robin Renucci met en scène "le Faiseur", de Balzac, avec la troupe des Tréteaux de France. Un spectacle itinérant qui a fait, 
l’autre soir, une halte au festival des Nuits de l’enclave, à Valréas.

Mercadet, personnage central de la pièce – elle fut présentée pour la première fois au Théâtre du Gymnase en 1851 sous le titre de Mercadet – est au bout du rouleau. Cette fois-ci, c’est la bonne. Tous ses créanciers et autres huissiers se relaient au domicile familial pour lui réclamer leur dû. Mercadet virevolte, esquive, ment comme un arracheur de dents, envisage un mariage qui pourrait sauver ses affaires… Dans le huis clos de l’appartement, l’action dramatique va connaître une série de rebondissements dans une frénésie et une agitation permanentes. Traders emperruqués lancent sur le marché des actions fictives comme celles d’une plantation d’ananas de la Haute-Marne ou de sable bitumineux des contreforts du Jura. Créanciers engoncés dans des tenues extravagantes gobent des mensonges aussi gros que leur embonpoint. Dans ce milieu, on vend père et mère mais aussi sa fille pourvu que le mariage – arrangé – soit une aubaine pour sauver la maisonnée de la banqueroute finale. Balzac observe une société en mutation, gagnée par la finance, gangrenée par l’argent

Dettes, créances, créanciers, acomptes, remboursements… Ces mots reviennent en boucle dans la bouche de Mercadet, bourgeois louis-philippard, boursicoteur compulsif qui vit à crédit, croule sous les hypothèques et ne cesse de rouler son monde avec un aplomb digne des plus grands arnaqueurs. La tentation est grande de comparer notre bonhomme à ces grands manitous de la finance contemporaine. Mal nous en prendrait. Mercadet, grand escroc devant l’éternité, hâbleur, roublard comme Renard, a quelque chose que n’ont pas un Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, ou une Christine Lagarde, patronne du Fonds monétaire international. Mercadet  : un brin d’humanité, et ça fait là une sacrée différence.

Au cœur d’un siècle riche en tourments, retournements et révolutions, Balzac observe une société en mutation, gagnée par la finance, gangrenée par l’argent. Aux dieux anciens, elle préfère celui qui n’a pas d’odeur. Une nouvelle race de prédateurs prend le pouvoir à coups de pots-de-vin, de scandales financiers qui font et défont le petit monde politique, toute une cohorte de nouveaux riches qui s’approprient sans vergogne des titres de noblesse (un tel Michonnin se fait désormais appeler Monsieur de la Brive, tout est dans la particule) et amassent des fortunes. Balzac écrit la pièce en 1840. Lui-même vit à crédit et croule sous les dettes, fuyant des huissiers intraitables qui font le pied de grue en bas de chez lui. Il espère, grâce au théâtre, connaître le succès qui lui permettra de renflouer ses comptes. La pièce ne sera jamais montée de son vivant.

C’est fou comme cette pièce nous parle  ! N’entend-on pas l’un des personnages balancer tout à trac  : «  Enfin qu’y a-t-il de déshonorant à devoir  ? Est-il un seul État en Europe qui n’ait des dettes  ?  »

Cette comédie, vive, drôle et féroce, fait mouche à chaque réplique, nous éclairant sur la mécanique implacable de la finance. L’auteur de la Comédie humaine brosse le portrait d’un nouveau capitalisme encore balbutiant qui, de nos jours, triomphe avec l’arrogance et la morgue qu’on lui connaît. Balzac a la satire mordante. Ses créatures, il les croque façon Daumier, avec une précision, un souci du détail impressionnant. Mais tout n’est-il pas dans le détail  ?

Où l’on retrouve dans la mise en scène de Robin Renucci ce même souci du détail. Rien n’est laissé au hasard, tout est millimétré, les entrées et sorties des personnages se font au pas de charge à grand renfort de clochettes que l’on secoue à jardin. C’est un vaudeville au sens le plus vif et noble du terme, loufoque et grinçant. Les tréteaux se transforment en une aire de jeu et offrent aux acteurs la possibilité de déployer tout leur talent. Il y a du souffle, de l’énergie, des comédiens remarquables qui font entendre la partition balzacienne avec une joie contagieuse. Renucci à la manœuvre nous bluffe, redonnant toutes ses couleurs à la pièce, tordant le nez aux codes du classique qu’il maîtrise haut la main pour leur insuffler une énergie nouvelle. Ça joue sur des tréteaux, et ça joue bien. Un dernier mot sur les costumes, magnifiques, de Thierry Delettre, et les maquillages et masques, de Jean-Bernard Scotto, qui confèrent aux personnages des allures grotesques jusqu’au bout de leurs nez qui s’allongent, s’allongent..

Envoyée spéciale, L’Humanité


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