Premier vote en Europe sur TAFTA

samedi 11 juillet 2015.
 

A) Le refus de ce projet grandit partout en Europe (Jean-Luc Mélenchon)

Ce mercredi 8 juillet, le Parlement européen se prononce sur le Grand Marché Transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Depuis que je combats ce projet et notamment depuis 2009 où je fus le seul candidat à mentionner son existence dans ma profession de foi européenne, tout a été rendu plus difficile à expliquer puisque le texte a changé plusieur fois de nom : les acronymes TAFTA ou TTIP après GMT ont bien embrouillé les pistes ! Le vote portera seulement sur un rapport d’initiative parlementaire. C’est-à-dire un texte sans aucune valeur juridique contraignante pour la Commission européenne ou le Conseil des chefs d’Etat. Il n’empêche, c’est un vote important. Un vote contre du Parlement européen serait une déflagration politique. Mais la droite et les sociaux-démocrates européens complotent ensemble pour que le texte soit adopté.

D’ailleurs, nous devions voter sur ce texte il y a un mois, le 10 juin. C’était sans compter les magouilles et l’autoritarisme de Martin Schulz, le président social-démocrate allemand du Parlement européen. La veille, le 9 juin, il a décidé tout seul que le vote serait reporté à plus tard, sans donner de nouvelle date. Pourquoi ? Officiellement en raison d’un trop grand nombre d’amendements empêchant un vote dans les conditions prévues initialement. Rires dans la salle, chacun se souvenant assez bien de ces séances où l’on vote en chaîne des dizaines d’amendements écrits et oraux à la cadence parfois d’un vote toutes les trois ou quatre secondes… Alors, le matin même, il a encore fait voter une motion repoussant aussi les débats ! Elle a été adoptée à 2 petites voix de majorité ! Ni voter ni débattre ! Du Schulz tout craché. Au Parlement européen comme en Grèce pour le « socialiste » Schulz, la démocratie est un encombrement. C’est que le malaise était bien plus profond. Si Schulz a reporté le vote, c’est qu’il craignait de le perdre !

En effet, le refus de ce projet grandit partout en Europe : ONG, syndicats, associations écologistes, défenseurs des libertés numériques… tous alertent sur le danger que représente ce projet d’accord de libre-échange et de libre-investissement entre les deux rives nord de l’Atlantique. Une question rend ce projet encore plus dangereux. C’est celle de la possibilité offerte aux firmes transnationales d’attaquer des décisions publiques devant des tribunaux privés d’arbitrage sur le modèle de celui qui a donné 400 millions d’euros à Bernard Tapie. C’est une remise en cause fondamentale de la souveraineté des États et de l’égalité devant la loi. Cette justice privée favorise aussi les copinages et les magouilles. Ces tribunaux d’arbitrage s’appellent en anglais ISDS – Investor-State-Dispute-Settlement : mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Derrière des formules tortueuses, les sociaux-démocrates européens se sont ralliés à ces tribunaux. Ils en contestent quelques modalités mais en acceptent le principe. C’est officiel depuis une réunion des dirigeants sociaux-démocrates européen à Madrid en février en présence de Manuel Valls.

Le report du vote prévu le 10 juin dernier était une première victoire. Je ne suis pas peu fier d’avoir été le premier, et le seul, à avoir parlé de ce sujet dans la campagne européenne de 2009 et dans la campagne présidentielle de 2012. A l’époque, on m’accusait de faire de « l’anti-américanisme primaire ». Mme Le Pen, elle, est une opposante de pacotille à ce Grand Marché Transatlantique. Le 28 mai dernier, la commission du Parlement européen chargé du Commerce international examinait le texte et discutait de ce projet funeste. Mme Le Pen est membre de cette commission. Elle n’était pas là pour ce débat et ce vote ! Son suppléant Aymeric Chauprade non plus d’ailleurs ! Pour ma part, j’ai voté contre le 31 mars dans la commission des Affaires étrangères où je siège.

Depuis 2009, sous la pression citoyenne, les écologistes ont rejoint le camp du « non » à ce traité alors que Daniel Cohn-Bendit a soutenu les premières résolutions en sa faveur. Désormais, il y a même des sociaux-démocrates pour s’opposer au texte. Je me souviens pourtant comment Benoît Hamon avait adopté sa première version au début du processus à la fin des années quatre-vingt-dix ! Mais ce sont évidemment les tribunaux d’arbitrage qu’ils ont le plus de mal à avaler ! Le 10 juin, une large partie d’entre eux menaçaient de ne pas voter la résolution proposée. Or, comme tous les textes au Parlement européen, cette résolution ne peut mathématiquement être adoptée qu’avec un accord entre la droite et les sociaux-démocrates ou au moins une large partie d’entre eux. C’est la grande coalition à l’allemande qui dirige l’Europe. Sans ces voix, Martin Schulz risquait de voir le texte rejeté. Il a donc préféré déterrer un article du règlement pour bâillonner le Parlement européen.

Depuis le 10 juin, Martin Schulz a donc travaillé pour « retourner » une partie des membres du groupe social-démocrate en faveur de ce projet. Le tout en lien avec le rapporteur du texte, un autre social-démocrate allemand. Pour ma part, mon opposition à ce projet de grand marché est constante et totale. Je suis contre cette nouvelle déréglementation des échanges puisque je prône un protectionnisme solidaire. Je suis contre les droits spécifiques reconnus aux multinationales et aux « investisseurs ». Je suis contre le renforcement de l’arrimage de l’Europe aux États-Unis au moment où ceux-ci nous espionnent et nous engagent dans une guerre contre la Russie en Ukraine. Je vote donc contre ce projet. Je ne serai pas seul, croyez-moi bien. Et une fois de plus il sera très intéressant de regarder comment chacun vote, notamment dans la délégation des socialistes. Et parmi eux, il faut regarder de près le vote des députés PS français.

B) TAFTA : le parlement Européen renonce à se faire l’écho des citoyens

Communiqué de France nature environnement (FNE)

La plénière du parlement Européen a établi aujourd’hui son positionnement sur l’accord transatlantique, dans une résolution très décevante pour tous les citoyens préoccupés par implications probables du futur traite.

Ignorant les 97% d’avis opposés lors de la consultation de la DG Commerce en 2014, les eurodéputés n’ont pas souhaité rejeter l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends Investisseurs-Etats dans l’accord futur, alors que celui-ci donnera aux entreprises étrangères le droit exclusif d’attaquer des États. Le Président Schulz s’est assuré le soutien des élus libéraux et conservateurs en proposant un compromis fait de formulations sibyllines, qui reviennent à accepter l’ISDS dès lors qu’il portera un autre nom.

Le texte comporte d’autres éléments problématiques : il cautionne le principe de la coopération réglementaire, entérine la disparition de l’agriculture paysanne et la fin d’une alimentation de qualité. Il fait fi de l’impératif de lutte contre les dérèglements climatiques en appelant à la libéralisation des échanges d’énergies fossiles. Il n’applique aucune précaution à la libéralisation des services financiers et soutient une approche de négociation hybride concernant les services, la plus dangereuse. Le Parlement européen choisit donc aujourd’hui de s’inscrire à contre-courant d’une grande part de l’opinion publique européenne, et même d’instances communautaires telles que le Conseil économique et social européen. Le Comité des Régions, pourtant contrôlé par des élus conservateurs, a aussi voté une résolution bien plus critique, sans doute parce que les élus locaux comprennent qu’un traité sur ces bases restreindra leurs capacités d’action dans les territoires.

« Tout comme sur la gestion de la crise grecque, l’Union européenne s’obstine dans une direction désavouée par les opinions publiques européennes » selon Jean-Michel Coulomb, d’Attac France, membre du Collectif Stop TAFTA, présent actuellement à Strasbourg.

« De la même manière que l’administration Obama a usé d’astuces techniques pour contourner la tendance majoritaire au Congrès américain sur les accords transpacifique et transatlantique il y a quelques semaines, le vote d’aujourd’hui à Strasbourg est le résultat des pressions et d’obscures tractations entre MM Schulz et Lange et les promoteurs du traité. Sans optimisation de la technique parlementaire et sans intrigues de couloir, le texte n’aurait pas été voté » analyse Amélie Canonne, de l’Aitec, association membre du Collectif de campagne français.

Du reste un nombre croissant d’Européennes et d’Européens s’inquiète du futur traité. Déjà 2,3 millions de citoyens européens ont signé l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) auto-organisée réclamant l’arrêt des négociations transatlantiques. Des mouvements d’opposition émergent en Europe de l’Est, et les campagnes allemande, autrichienne, belge ou britannique continuent de monter en puissance.

Pour Michel Dubromel, vice-président de France Nature Environnement, également engagé dans la campagne française contre l’accord transatlantique, « Le vote du Parlement européen n’est pas la fin de l’Histoire pour nous, car la résolution n’a pas de caractère contraignant, et nous savons que la DG Commerce est surtout encline à suivre les injonctions des lobbies industriels et financiers. Nous allons donc poursuivre notre travail pour sensibiliser l’opinion mais aussi les élus, et démontrer les méfaits de la politique commerciale conduite par l’UE ».

Le Collectif français Stop Tafta-Non au grand marché transatlantique continuera donc à s’inscrire dans les mobilisations européennes pour une Europe sociale et démocratique notamment lors des Marches européennes, début octobre, qui partiront d’Europe du Sud, passeront par la France et convergeront à Bruxelles mi-octobre, en même temps que la clôture de l’ICE "Stop TTIP".


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message