Grèce : mais que veut Wolfgang Schäuble, l’intraitable ministre des Finances allemand ?

mardi 14 juillet 2015.
 

Plus grand-chose - et sans doute pas les formidables coups de bluff du très rusé Premier ministre grec, Alexis Tsipras, 40 ans - n’impressionne l’austère Wolfgang Schäuble, 73 ans. Le ministre allemand des Finances, "l’homme de fer" de la Chancelière Angela Merkel, alias "Mutti" (maman), reste, en toutes circonstances, de marbre.

Même quand un déséquilibré lui tire dessus avec un pistolet en octobre 1990 lors d’un meeting électoral dans sa circonscription d’Offenburg, à quelques kilomètres de la frontière alsacienne. Il tombe à terre. Sa moelle épinière est sectionnée. Il passera le reste de sa vie dans un fauteuil roulant. Pas de quoi lui faire baisser les bras. Même, s’il l’admet en plaisantant "pour les sports de balle et le bal fédéral, je suis tout à fait inapproprié !" Mais quand il s’agit des finances allemandes et de l’Union européenne (UE), Schäuble pense être toujours l’homme de la situation.

Leader du camp des "durs"

Lors d’une réunion de crise, samedi 11 juillet à Bruxelles, de l’Eurogroupe, qualifiée de "la dernière dernière chance", le plus ancien (depuis 1972 !) député du parti de la droite conservatrice allemande, est encore resté inflexible. Faute d’accord samedi malgré neuf heures de discussion, la réunion de l’Eurogroupe se poursuit dimanche. Le sommet de tous les chefs d’Etats européens, prévu dans la soirée sur la crise grecque, a été annulé. Le sommet de la zone euro devrait durer jusqu’à la conclusion d’un accord.

Alors que la plupart des commentateurs estimaient qu’Alexis Tsipras, le chef de la gauche radicale grecque, avait "capitulé", acceptant beaucoup des mesures d’austérité demandées par ses créanciers européens, Wolfgang Schäuble est brièvement sorti de trois jours de silence pour livrer son tranchant verdict : les propositions grecques, pourtant saluées par la France, sont "loin d’être suffisantes". Surtout que les Grecs demandent maintenant 74 milliards d’euros.

Leader du camp des "durs", le grand argentier allemand et pilier de la CDU, les chrétiens-démocrates allemands, a jugé que les négociations pour conclure un accord et éviter la sortie de la Grèce de l’euro seraient donc "extrêmement difficiles".

"Nous ne pouvons avoir confiance dans des promesses" des Grecs,

a-t-il martelé. Affichant toute sa défiance à l’égard d’Alexis Tsipras et de son gouvernement de la gauche radicale grecque (Syriza, au pouvoir à Athènes), le très orthodoxe ministre allemand a estimé que les espoirs de règlement nés à la fin de l’année dernière avaient "été réduits à néant de manière incroyable ces derniers mois" par ceux qu’il considère comme de dangereux marxistes méditerranéens, attardés, incompétents et trompeurs.

Qualifié de "psychorigide" par ses adversaires

"Il y a un gros problème de confiance", a renchérit le patron de l’Eurogroupe, le raide néerlandais Jeroen Dijsselbloem. Pire : alors que la crise semblait se dissiper, Schäuble, qui fut longtemps un ministre de l’Intérieur à la poigne de fer, a fait savoir qu’il n’entendait pas vivre avec "le désordre grec". Le rigide ministre allemand, a proposé une solution radicale, quoique pas définitive. L’Allemagne envisage une sortie temporaire de la Grèce de la monnaie unique, le "Grexit" si le pays n’améliore pas ses propositions de réformes.

"Si la Grèce ne peut garantir une mise en œuvre crédible de mesures et une dette soutenable, il faudrait lui offrir de rapides négociations pour une période hors de la zone euro, avec une possible restructuration de sa dette, si nécessaire (...) pendant cinq ans", selon un cinglant document allemand publié après l’Eurogroupe de samedi. Selon l’édition dominicale du très sérieux quotidien "Frankfurter Allgemeine Zeitung" (FAZ), l’Allemagne envisagerait une autre option, à peine plus douce. Tandis Schäuble insiste pour le "Grexit" prétendument "temporaire", cette seconde solution serait la favorite de la Chancelière Merkel. Elle prévoit, outre l’amélioration rapide de ses projets de réformes, que le gouvernement grec privatise rapidement des biens publics à hauteur de 50 milliards d’euros, uniquement destinés au remboursement de la dette. Les options allemandes et le sujet d’un "Grexit" présenté comme provisoire, n’auraient toutefois pas été discuté samedi par les ministres de Finances européens à Bruxelles. Mais Schäuble n’est pas isolé sur ce sujet. "Largement plus de la moitié des pays membres pensent que les propositions grecques [pour obtenir un troisième plan d’aide] ne vont pas assez loin", a déclaré une source diplomatique à Bruxelles citée par l’AFP.

Protestant pratiquant né en 1942 à Fribourg, chrétien social partisan du modèle capitaliste rhénan, Schäuble se fait une haute idée de son devoir. Alors il tient ferme sur les mesures d’austérité à imposer à la Grèce, sur les excédents budgétaires que ce pays doit dégager pour rembourser sa dette colossale (plus de 320 milliards d’euros et plus de 170% du PIB). Pourtant, celui que ses adversaires qualifient de "psychorigide" avait fait un pas en évoquant cette semaine, et pour la première fois, une possible restructuration de la dette grecque, à l’origine de la crise. Mais un tout petit pas. Le ministre allemand entrevoit "très peu de marge de manœuvre pour une restructuration, un "reprofiling" ou d’autres choses de ce genre", avait précisé son porte-parole. Il est également opposé à une décote de la dette et à tout ce qui conduirait à "abaisser de manière significative la valeur de cette dette", avait ajouté ce porte-parole, douchant l’optimisme de ceux qui croyaient que le ministre allemand s’était soudain assoupli après les concessions grecques.

Un partisan du Grexit

Personne n’en doute : Wolfgang Schäuble, considéré comme "l’architecte de l’unification" de l’Allemagne, est en fait un partisan de la sortie de la Grèce de l’euro ("Grexit"). Même s’il ne l’a jamais encore dit ouvertement. Beaucoup d’Allemands [au moins 60%, selon les sondages], dont Schäuble, veulent que la Grèce sorte de l’euro. Car ils pensent que l’euro sans la Grèce serait une monnaie beaucoup plus stable", estime un analyste politique à Athènes. En clair : débarrassée d’un lascif "Mezzogiorno" grec, juste bon à prendre des vacances pas chères et ensoleillées, l’industrieuse Allemagne et la travailleuse Europe du Nord seraient ainsi plus prospères.

Autre faucon, les Finlandais appuient la ligne Schäuble. Le Parlement finlandais a ainsi sommé samedi son ministre des finances de négocier une sortie de la Grèce de la zone euro, selon la télévision publique. Entre les inflexibles du Nord et les Grecs, Paris tente toujours de jouer les négociateurs. Pourtant, selon Yanis Varoufakis, le flamboyant ministre grec des Finances sacrifié par Alexis Tsipras en début de semaine, ce sont les Français qui seraient en fait dans le viseur de Schäuble. L’ex-ministre grec a estimé, dans une tribune publiée par dans "The Guardian", et intitulée "L’Allemagne ne veut pas abréger les souffrances de la Grèce, elle a intérêt à nous briser", que Wolfgang Schäuble voulait une sortie de la Grèce de la zone euro pour "mettre les choses au clair" : "Ma conviction est que le ministre des Finances allemand veut que la Grèce soit évincée de la monnaie unique pour susciter une crainte de tous les diables chez les Français et leur faire accepter son modèle d’une zone euro disciplinaire."

Mais même s’il est tenace avec Paris, qui ne respecte pas toujours les sacro-saints critères de convergences de l’euro, Schäuble est considéré comme un partisan de la coopération franco-allemande.

Le ministre des Finances allemand, accusé par les Grecs d’avoir, dès le départ, menées les négociations dans l’impasse pour les éjecter de l’euro, réussira-t-il à imposer sa "ligne dure" à la France et à sa Chancelière ? "Mutti" se préoccupe de tous ses enfants européens, même des plus turbulents. Et Angela Merkel penche plutôt pour un compromis avec Athènes, après une légère punition. Mais elle doit prendre compte non seulement de l’avis de son Grand Argentier mais aussi de son opinion publique exaspérée par les Grecs et surtout du Bundestag, le Parlement allemand qui doit obligatoirement ratifier tout accord avec Athènes.

Schäuble, le dernier rescapé de l’ère Helmut Kohl, est intransigeant mais il est aussi d’une loyauté absolue. Merkel et Schäuble entretiennent parfois des relations difficiles mais la Chancelière n’a rien à craindre d’un homme, qui après avoir été l’éminence grise d’Helmut Kohl, après avoir failli être Chancelier ou président de l’Allemagne, a renoncé à toutes grandes ambitions. D’un homme qui a accepté de devenir ministre des Finances en pleine crise économique et qui est en fin de carrière. Victime de coups du sort, de multiples échecs politiques et d’un attentat, Wolfgang Schäuble, figure tragique de la politique allemande, assure qu’il a appris "à ne pas se prendre trop au sérieux". Les Grecs auraient sans doute cependant tort de faire de même.

Jean-Baptiste Naudet


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