Avec la Grèce, la truanderie de la troïka atteint des sommets

dimanche 2 août 2015.
 

C’est un nouveau programme d’austérité qu’imposent, avec une violence inouïe, les institutions au peuple grec. Édicté par les Allemands, ce plan, qui ne peut rien résoudre de la crise, ne sert qu’à détruire l’alternative incarnée par le gouvernement Tsipras.

Au bout de la nuit de négociations au sein de l’Eurogroupe, lundi matin 10 juillet 2015, François Hollande avait présenté l’accord comme un succès « historique ». Il permet à la Grèce de rester dans la zone euro, c’était l’objectif », avait-il triomphalement annoncé. Quelques heures plus tard, une fois rendu public le document de sept pages avalisé par les dirigeants européens, la vérité est apparue.

Ce sont les intimidations et les manoeuvres d’extorsion contre le gouvernement grec, coupable de vouloir rompre, par la voie démocratique, avec les dogmes néolibéraux et l’austérité, qui ont atteint des sommets jamais égalés dans l’histoire de l’Union européenne et qui se sont imposées. L’Allemagne en tête, suivie par les Pays-Bas, la Finlande, les États baltes et quelques autres, ont, sur fond d’urgence en Grèce provoqué par l’étranglement fi nancier, dicté toutes leurs exigences pour détruire toute possibilité de sortir de l’austérité. Alors que les premières mesures d’austérité exigées par les créanciers doivent être soumises dès ce soir en urgence à la Vouli, sur injonction de Bruxelles et de Berlin qui veulent des gages de « confi ance », de nombreux responsables de Syriza ne cachent pas leur colère contre la troika,et dénoncent à l’instar du ministre de l’Énergie et de la Reconstruction productive, Panayotis Lafazanis, le « colonialisme

Il est un peu moins de 9 heures du matin, ce lundi 10 juillet, quand François Hollande se présente pour sa conférence de presse dans la grande pièce réservée aux dirigeants français. Souffle court, mais rayonnant après la nuit blanche au Conseil européen, à Bruxelles. «  Bien, Mesdames, Messieurs.  » Un petit clin d’œil à une figure connue dans l’assistance, puis, sans entrer dans le détail du «  compromis  », il parle pour écrire l’histoire. «  Après plus de quinze heures, je crois, de discussions, de négociations, de débats, un accord a été trouvé. Cet accord, la France le cherchait, le voulait. Et cet accord, il est là. Il permet à la Grèce de rester dans la zone euro, c’était l’objectif, avec forcément le respect des règles européennes.  » Dans la salle voisine, Angela Merkel se livre au même exercice, mais avec une approche bien différente  : «  Les avantages de cet accord dépassent les inconvénients  », estime-t-elle. Sans prendre les pincettes élyséennes, la chancelière allemande insiste sur les multiples conditions unilatérales fixées pour que les négociations sur l’aide financière puissent s’ouvrir. «  D’ici mercredi, le gouvernement grec doit faire passer une série de réformes fondamentales devant son Parlement et doit approuver le document du sommet de la zone euro dans son ensemble.  » À l’extérieur du bâtiment, Alexis Tsipras fait, lui, une déclaration solennelle devant les caméras, avant de repartir pour Athènes. «  Nous avons dû faire face à des décisions difficiles, des dilemmes terribles. Nous en assumons la responsabilité pour écarter les objectifs les plus extrémistes portés par les forces conservatrices de l’Union européenne. L’accord contient des mesures extrêmement dures. Mais nous arrêtons l’asphyxie financière et l’écroulement du système économique, planifiés jusqu’au moindre détail et en train de se réaliser ces derniers jours.  »

Manœuvres d’extorsion

Quelques heures plus tard, une fois rendu public le document de sept pages avalisé par les dirigeants européens, le brouillard du storytelling se dissipe totalement. Derrière les épaisses cloisons bruxelloises, d’abord dans la réunion des ministres des Finances (Eurogroupe) puis au sommet des chefs d’État de la zone euro, ce sont les intimidations et les manœuvres d’extorsion contre le gouvernement grec, coupable de vouloir rompre, par la voie démocratique, avec les dogmes néolibéraux et l’austérité, qui ont atteint des sommets jamais égalés dans l’histoire de l’Union européenne et qui se sont imposées dans le texte final. D’un bout à l’autre du week-end, quoi qu’en disent les autorités françaises, les «  faucons  », l’Allemagne en tête, suivie par les Pays-Bas, la Finlande, les États baltes et quelques autres, ont, sur fond d’urgence en Grèce provoqué par l’étranglement financier, dicté les termes du chantage. En agitant la menace d’une expulsion «  temporaire  » de la Grèce hors de la zone euro, (Grexit) puis en réclamant le transfert dans un fonds au Luxembourg de 50 milliards de biens publics grecs destinés à être privatisés pour rembourser la dette – deux mesures figurant dans un plan rédigé vendredi par le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, et opportunément livré à la presse allemande en plein Eurogroupe –, ils ont réussi à imposer toutes leurs exigences pour détruire toute possibilité de sortir de l’austérité et – c’était sans aucun doute leur ambition profonde (lire ci-après) – ouvrir une crise politique en Grèce, tout en adressant une leçon à tous les peuples européens qui observent cette tentative avec espoir.

En plus des propositions mises sur la table par Alexis Tsipras en fin de semaine dernière, qui comportaient déjà des concessions très importantes (lire notre édition du 13 juillet), les chefs d’État et de gouvernement remettent la troïka en selle ouvertement pour retirer toute marge de manœuvre au gouvernement Syriza. Afin de «  normaliser complètement les méthodes de travail avec les institutions, y compris le travail nécessaire sur le terrain à Athènes, pour améliorer la mise en œuvre et le suivi du programme  », les eurocrates exigent du gouvernement Tsipras qu’il «  consulte les institutions  » et «  convienne avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés, dans un délai approprié, avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement  ». Dans la même veine, ils réclament du gouvernement grec qu’il «  réexamine  » toutes les textes législatifs passés depuis son arrivée au pouvoir, le 25 janvier dernier, «  à l’exception de la loi sur la crise humanitaire ». Dans la nuit de dimanche à lundi, les Pays-Bas, de leur côté, n’ont pas manqué de réclamer la fermeture de la télévision publique grecque ERT, rouverte par le gouvernement grec au mois de juin. Et lors de sa conférence de presse, lundi matin, Angela Merkel a ainsi pu dire benoîtement qu’en Grèce, «  des lois ont été votées alors que nous ne les avions pas autorisées  ».

Ils en rajoutent des couches

L’austérité conduit au désastre  ? Les plans élaborés par la troïka créent de la récession et contiennent des objectifs absolument inatteignables  ? Dans la logique thatchérienne du «  There is no alternative  » (Tina, «  il n’y a pas d’alternative  »), ils en rajoutent des couches et des couches, et cette politique apparaît pour ce qu’elle est  : une pure fiction idéologique des conservateurs et des néolibéraux, qui visent à asseoir leur domination en Europe. C’est patent avec le fonds créé par l’«  accord  » du sommet de la zone euro et géré en Grèce «  sous le contrôle des institutions  » – et donc pas au Luxembourg, comme le voulaient les Allemands dans leur maximalisme échevelé –, pour rassembler, en guise de gage, des biens publics grecs d’une valeur de 50 milliards d’euros ayant vocation à être privatisés pour servir, selon les projections du texte, au remboursement de la recapitalisation des banques grecques (25 milliards), à la diminution du ratio d’endettement (12,5 milliards) et à l’investissement (12,5 milliards). Grosso modo, la troïka et les chefs d’État européens s’emparent de près de 30 % du PIB grec. Une folie furieuse que, dans les couloirs du sommet, lundi vers 4 heures du matin, un membre de la délégation grecque relevait, littéralement accablé. «  Le FMI, lui-même, estime la valeur de ce que nous pourrions mettre dans ce fonds à 7 milliards d’euros, confiait-il. Nous, nous avons proposé d’essayer d’aller sur un montant de 17 milliards. 50 milliards d’euros de privatisations, c’est dingue, c’est impossible, et tout le monde le sait autour de la table  !  »

Dette publique insoutenable

Illustration, parmi d’autres, que l’«  accord  » de Bruxelles n’a, en fait, pas pour objectif de sauver la Grèce et de la maintenir dans la zone euro, mais bien plus de la maintenir la tête sous l’eau dans le grand bain austéritaire. Une fois que toutes les couleuvres auront été avalées, le gouvernement Tsipras pourra prétendre obtenir un «  prêt  » de long terme de 86 milliards d’euros, via le Mécanisme européen de stabilité (MES), dans le cadre du troisième plan d’assistance financière accordé à la Grèce. Dans le texte du sommet de la zone euro, figure également une promesse de «  reprofilage  » de la dette publique, insoutenable, illégitime et injuste, mais que les eurocrates se paient le luxe de décrire comme s’étant aggravée depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir. Mais lundi soir, dans une «  actualisation  » de son rapport préliminaire sur la dette grecque, révélée hier par Reuters, le FMI a dévoilé, volontairement ou non, le pot aux roses  : «  La dégradation de la viabilité de la dette grecque nécessiterait d’aller bien au-delà de ce qui est aujourd’hui proposé dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité.  » Après le sommet du déshonneur du week-end dernier, la troïka et les chefs d’États européens n’ont rien réglé d’autre que son compte au peuple grec, et ils le savent pertinemment.

Thomas Lemahieu, L’Humanité


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