"Les usurpateurs", ouvrage de Susan George.

mardi 23 février 2021.
 

Il y a d’un côté la scène politique bruyante et médiatiquement visible où s’animent les représentants élus et d’autre part les coulisses discrètes où s’activent les responsables des entreprises transnationales. Qui contrôle qui et contrôle quoi ?

Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir

Nous étions tentés de rédiger un article pour présenter le livre dont les caractéristiques suivent, mais il nous a semblé préférable de reproduire ici la préface du livre rédigée par Susan George elle-même dont le texte est particulièrement motivant pour entamer la lecture de ce livre incontournable pour quiconque s’intéresse au pouvoir des entreprises transnationales.

Les usurpateurs

Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir

Par Susan George Éditions du Seuil Traduit par Myriam Dennehy Date de parution 23/10/2014 192 pages

Rappelons que Susan George, écrivaine franco-américaines, est présidente d’honneur d’Attac Cliquez icipour avoir quelques éléments de sa biographie.

Présentation de l’éditeur :cliquez là

Préface du livre par Susan George.

Nous sommes cernés

"Nous sommes cernés. Lobbyistes au service d’une entreprise ou d’un secteur industriel, PDG de transnationales dont le chiffre d’affaires est supérieur au PIB de plusieurs des pays dans lesquels elles sont implantées, instances quasi étatiques dont les réseaux tentaculaires se déploient bien au-delà des frontières nationales : toute une cohorte d’individuset d’entreprises qui n’ont pas été élus, qui ne rendent de comptes à personne et dont le seul objectif est d’amasser des bénéfices est en train de prendre le pouvoir et d’orienter la politique officielle, qu’il s’agisse de santé publique, d’agroalimentaire, d’impôts, de finance ou de commerce.

Les entreprises promeuvent leurs intérêts par l’intermédiaire de groupes de lobbying, de soi-disant « comités d’experts » et autres organes ad hoc qui outrepassent subrepticement leurs fonctions jusqu’à s’arroger un statut quasi officiel. Leurs campagnes de relations publiques sont menées au profit de telle ou telle entreprise ou d’un secteur industriel tout entier. Elles se dotent parfois de leurs propres organismes internationaux et s’ingèrent dans les affaires internationales à coups de financements et de subventions. Elles participent même à la rédaction de traités commerciaux stratégiques, qui se négocient dans le plus grand secret mais sous sa coupe, ne s’embarrasse guère de f intérêt public et du bien commun. En Amérique du Nord et en Europe en particulier, elle a amorcé une véritable mutation politique dans laquelle on peut voir une « émergence de l’autorité illégitime ».

Je n’ai rien contre les entreprises privées, du moment qu’elles s’en tiennent au domaine qui est le leur. Mais le gouvernement au sens où on I’entend habituellement, celui qui est dirigé par des responsables clairement identifiables et élus démocratiquement, se trouve aujourd’hui affaibli, voire supplanté,par des crypto-gouvemements auxquels la classe politique a fait des concessions délibérées, forcées, ou tout simplement irréfléchies.

En conséquence, bien des décisions qui affectent notre vie quotidienne ont été déléguées à ces géants industriels. Plutôt que de parler de « multinationales » comme on le fait habituellement, je préfère qualifier ces entreprises « transnationales » (ETN, Une liste des sigles et acronymes les plus utilisés figure en fin d’ouvrage). Cet acronyme, d’ailleurs officiellement utilisé par les Nations unies, me semble le plus approprié : la plupart des dirigeants de ces entreprises sont en effet ressortissants du pays où elles ont leur siège social. Le qualificatif de multinationales reste pertinent dans la mesure où ces entreprises ont des bureaux, des usines et des clients dans plusieurs pays. Mais ceux qui les dirigent conservent un ancrage familial, social, politique et culturel dans leur pays d’origine : ils en connaissent bien les usages, ils bénéficient d’un accès privilégié au gouvernement et ils savent quelles démarches seront susceptibles de servir au mieux les intérêts de l’entreprise. Directeurs généraux, directeurs des opérations et directeurs financiers, responsables de la recherche et du développement et membres du conseil exécutif sont donc, pour la pluparl, originaires du pays où l’entreprise a son siège social. En ce sens, on peut dire que Nestlé est suisse, Total français, General Motors américain et Siemens allemand, même si ces groupes déploient leurs activités dans bien d’autres pays que le leur. Le recrutement national des cadres dirigeants est peut-être censé garantir leur loyauté, même si, pour réussir dans le monde de l’entreprise, la seule allégeance qui vaille est envers l’entreprise même.

De fait, les dirigeants d’entreprise ne se préoccupent guère du sort des pays dans lesquels sont implantées leurs usines, fût-ce leur propre patrie. Pour accroître leurs bénéfices, ils n’hésiteront pas à fermer des usines ni à licencier des ouvriers, compatriotes ou non.

Portés par la vague de mondialisation, ils se sont dotés de leurs propres méta-organisations en charge de tel ou tel domaine, comme l’environnement. Certaines de ces ramifications sont à la fois « méta » et « méga » : ainsi du Forum économique mondial, plus connu sous le nom de Davos, la station de sports d’hiver suisse où il se réunit annuellement. L’ambition de ses participants est bien simple : se rendre maîtres du monde. Les grandes entreprises opèrent aujourd’hui au niveau national, européen, supranational, et jusque dans le cadre des Nations unies. Depuis plusieurs années déjà, elles envoient des délégations aux conférences officielles de I’ONU ; plus récemment, elles ont eu la bonne idée de fonder leurs propres organisations officiellement hébergées au sein des Nations unies et de ses agences spécialisées.

Les gouvernements sont de plus en plus au service des ETN, plutôt que du peuple. De manière génétale, et jusqu’à preuve du contraire, je ne crois pas aux conspirations. Je crois en revanche aux intérêts. Mes lecteurs ne manqueront pas d’apprécier la différence entre une théorie paranoïaque du complot et une description factuelle du pouvoir que s’arrogent les entreprises. Nous en trouvons des exemples tout autour de nous, même s’ils sont parfois difficiles à discemer.

C’est ce que j’espère mettre au jour ici. Je commencerai par exposer mes motivations et la vision politique que j’entends promouvoir. Comme la plupart de mes précédents travaux, le présent ouvrage s’interroge sur l’identité des véritables détenteurs du pouvoir, sur leur manière de l’exercer et sur les objectifs qu’ils se donnent. Le pouvoir dont il est question ici prend appui sur une idéologie néolibérale plus ou moins explicite, totalement illégitime et non démocratique.

Pour que les choses soient bien claires, je rappellerai brièvement en quoi l’autorité légitime et démocratique se distingue de celle qui ne l’est pas - ces distinctions peuvent paraître évidentes mais, dans les faits, elles sont trop souvent escamotées. Je montrerai ensuite que l’autorité illégitime connaît aujourd’hui un essor spectaculaire et que la démocratie est menacée par ce fléau qu’est l’idéologie néolibérale.

L’Occident, où cette idéologie est le plus profondément ancrée, est pris en tenailles par deux modèles normatifs : I’héritage des Lumières d’une part, la grande régression néolibérale d’autre part. Ayant déjà consacré deux ouvrages (*) à dénoncer la propagation du néolibéralisme, je ne m’attarderai pas sur ce point et aborderai directement la question de son illégitimité. Dans les chapitres suivants, j’avancerai des exemples concrets pour montrer comment les fonctions du gouvernement légitime se trouvent peu à peu investies par des instances illégitimes, non élues et opaques, dont la liste s’allonge chaque jour.

Sans prétendre à l’exhaustivité, j’expliquerai pourquoi certains processus méritent d’être surveillés de près. Je m’attacherai tout particulièrement à dénoncer le pouvoir dégagé de toute responsabilité, qui n’a pas à rendre compte de ses activités et qui est d’autant plus difficile à contrer qu’il avance masqué. Si nous voulons exercer le moindre contrôle sur les grandes entreprises, il convient de nous interroger d’abord sur les fondements philosophiques et éthiques de nos propres revendications."

(*) « La Pensée enchaînée. Comment les droites latque et religieuse se sont emparées de l’Amérique », Fayard, 2007, et « Cette fois, enfinir ayec la démocratie ». Le rapport Lugano .Seuil, 2012.

Fin de la préface

Hervé Debonrivage


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