L’état d’urgence a éclaté

mardi 31 mai 2005.
 

Editorial de François Delapierre, délégué général de PRS, à paraître dans le journal A Gauche de cette semaine.

La vague a déferlé. Elle est montée des profondeurs. Elle a triomphé de tous les obstacles et s’est ri du défilé des vaches sacrées médiatiques et politiques de toute l’Europe, unies pour dicter au peuple français le seul choix possible. Elle s’est construite patiemment dans le cours même de la campagne. On retiendra quelques étapes d’une ascension qui allait être irrésistible. Dès décembre et janvier, lorsque des socialistes ont choisi avec Jean-Luc Mélenchon de dire "pour moi c’est non" et de faire publiquement campagne. Les sondages donnaient alors le "oui" largement majoritaire... Début février, lorsque le CCN de la CGT a fait entendre le "non" populaire à la veille des manifestations contre la casse des 35 heures. A la mi-mars, lorsque le PCF, à qui l’on doit une superbe campagne, a montré dans le gymnase Japy à Paris, que le "non" rassemblait la gauche, ce que le meeting du Zénith confirmera quelques jours plus tard.

Populaire, unitaire, européen, le "non" de gauche prend alors la tête des raisons de voter "non", effaçant Le Pen du paysage et faisant oublier les débats sur la Turquie. Dès lors plus rien n’arrêtera le "non", pas même le bourrage de crâne médiatique ou les tentatives d’amalgame auxquels certains se sont malheureusement prêtés jusqu’à la dernière minute.

La victoire qui en résulta dimanche dernier est sans ambiguïté. Le non l’a emporté avec trois millions de voix d’avance. La participation a atteint un niveau spectaculaire de 70%. Et cela malgré la complexité du traité. D’ailleurs, 28% des abstentionnistes disent ne pas avoir voté "parce que le traité est trop difficile à comprendre" et seulement 11% "parce que le référendum ne m’intéresse pas" (sortie des urnes SOFRES).

La dynamique de campagne qui a porté le "non" de gauche, rassemblant des foules immenses dans les derniers meetings, montrait déjà quel était le contenu du "non "français. Les sondages réalisés en sortie des urnes confirment son caractère anti-libéral et pro-européen. Interrogés sur le fait de savoir s’ils souhaitent une nouvelle Constitution pour l’Europe, 64% des votants du non s’y déclarent favorables contre 29% qui y seraient défavorables. Le mandat de la France est donc bien clair : non à la Constitution libérale, oui à une Constitution européenne qui obéisse enfin aux attentes des peuples !

Le résultat de dimanche est donc clair et indiscutable. Rien ne justifie qu’il n’en soit pas tenu compte. C’est pourtant l’impression insupportable qui domine au lendemain du vote. Comme si rien ne s’était passé, les éditorialistes exaltés ont repris leurs argumentaires haineux contre le peuple du "non". Après avoir prédit une catastrophe, les dirigeants européens s’emploient maintenant à dire que le "non" de la France ne changera rien et qu’il est hors de question de renégocier. Le président de la République ne paraît pas pressé de respecter le mandat populaire. Il expliquait dimanche dernier qu’il se contenterait d’en "tenir compte". Son seul message pour le prochain sommet de Bruxelles les 15 et 16 juin se résumerait donc à : "désolé" alors que le peuple français lui demande de défendre la renégociation. Refusant de se soumettre au mandat populaire, Chirac se contente de sacrifier le fusible Raffarin pour appeler à ses côtés un de ses derniers proches. Isolé de son peuple, le président de la République l’est désormais tout autant de son propre camp. Quant aux dirigeants socialistes François Hollande, Jack Lang, Martine Aubry, quelle ne fut pas notre surprise d’entendre que la conclusion politique qu’ils tiraient de ce tremblement de terre, au cours duquel on a vu 59% des sympathisants socialistes voter à l’opposé de 59% des adhérents de ce parti (chiffres Sofres), était un congrès destiné à punir tous ceux qui auraient enfreint la discipline du PS !

Spectacle lamentable et édifiant ! Le vote de dimanche a mis à nu l’urgence politique qui mine notre pays. Le décalage entre le pays réel et sa représentation officielle, médiatique et politique, est flagrant. L’illégitimité du pouvoir est éclatante. La prise de distance entre la direction du principal parti d’opposition et son électorat est spectaculaire. Et que nous propose-t-on ? Continuer comme avant ! Rester sourds et aveugles à la souffrance du peuple qui travaille et qui ploie sous les coups du libéralisme. Se tenir à l’écart du formidable mouvement de repolitisation, de remobilisation citoyenne, de réappropriation des questions européennes, qui s’est produit dimanche dernier. La France racornie que l’on peignait à longueur d’éditoriaux, c’est bien celle des privilégiés, qui préfère panser ses plaies à Bruxelles plutôt que de s’appuyer sur la force d’un peuple mobilisé et qui se prépare à succomber aux délices des révolutions de palais au moment où ceux-ci prennent l’eau de toutes parts. Il y a comme un parfum d’Ancien Régime autour de ceux qui emmènent ainsi le pays à l’abîme. Ils sont prêts à tout, sauf à écouter le peuple. C’est pourtant la seule chose à faire. Pour notre part, nous ferons tout pour que la victoire de dimanche dernier ne lui soit pas volée. A commencer par le prochain sommet européen où la voix de la France devra se faire entendre, même si celui qui la représente entend s’asseoir dessus.


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