Grèce : Le blues des militants de Syriza avant les élections de septembre

mercredi 2 septembre 2015.
 

Les militants de Syriza rentrent de vacances avec une grosse gueule de bois. Le temps politique s’est accéléré en Grèce depuis 2010, mais, en sept mois de pouvoir du gouvernement Tsipras, les Grecs – et les Européens – se sont retrouvés sur d’immenses montagnes russes. Ils sont passés de la peur du « Grexit » (une sortie de la Grèce de la zone euro) à l’euphorie de la victoire du non au référendum du 5 juillet, avant de retomber dans l’humiliation d’une nuit de capitulation à Bruxelles, le 13 juillet, suivie de la signature, au cœur du mois d’août, d’un nouveau mémorandum avec la détestée « troïka » des créanciers du pays (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).

Maître tacticien, Alexis Tsipras ne laisse pas de répit et a accéléré le tempo en annonçant, jeudi 20 août, de nouvelles élections. Mais si la manœuvre de M. Tsipras est destinée à bousculer ses adversaires politiques, ses partisans ont du mal à suivre et ont été déboussolés par la signature du mémorandum qui prévoit une liste de mesures d’économies et de réformes souvent aux antipodes du programme de Syriza.

Lundi 24 août, à la section Syriza du quartier de Gizi, dans le centre d’Athènes, la plupart des militants sont un peu groggy. Ils soutiennent le choix de Tsipras et veulent gagner avec lui, mais les dernières semaines ont laissé des traces. « La signature du mémorandum a été un choc, j’ai pleuré pendant une semaine », explique Sula Petrou, une sculptrice. « Et je pleure encore », ajoute-t-elle en s’arrêtant de parler pour laisser passer une larme.

« Il y a dans le parti un grand mécontentement et une difficulté à avaler l’accord. Cela va à l’encontre de ce qu’a dit Syriza depuis cinq ans et de ce qui a poussé le parti vers le pouvoir, reconnaît Stelios Kouloglou, député européen proche d’Alexis Tsipras, mais les plus réalistes ont compris que Tsipras n’avait pas le choix. »

Le secrétaire de la section de Gizi, Nondas Palamaras fait partie de ces réalistes : « Le dilemme a été de choisir entre la faillite et un accord qui permettait au pays de résoudre les problèmes de liquidités, provoqués par la décision de la BCE d’instaurer un contrôle des capitaux. » Devant la peur d’un « Grexit », les Grecs se sont rués sur les banques pour sortir leurs économies, ce qui a conduit à la fermeture des établissements pendant une dizaine de jours et à l’instauration d’un contrôle des capitaux.

« Un mauvais accord », grogne Sula Petrou. « Dans quelques mois, on pourra profiter des trous du mémorandum pour l’améliorer, réplique Nondas Palamaras. Le gouvernement aura la possibilité de suivre sa politique dans d’autres domaines et de prendre des mesures qui soulageront les effets du mémorandum. »

Rupture avec le gouvernement

Comme dans de nombreuses sections du parti, environ un tiers des militants ont décidé de partir. Il s’agit en grande partie des membres de la Plate-forme de gauche dirigée par Panagiotis Lafazanis, la minorité qui représentait un tiers des membres du Syriza et qui a décidé, le 21 août, de faire sécession pour créer un nouveau parti, Unité populaire. Mercredi 26 août, 53 membres du comité central de Syriza ont annoncé leur démission, pour protester contre ce nouveau mémorandum « qui donnera le coup de grâce à un peuple déjà dévasté ».

Mais l’hémorragie ne s’arrête pas là. Le secrétaire du parti, Tassos Koronakis, nommé en janvier, a quitté ses fonctions, tout en restant au sein de la formation et en critiquant à la fois le gouvernement et M. Lafazanis. Il faisait partie du groupe des 53, créé après les élections européennes de mai 2014 et qui se situait entre la ligne d’Alexis Tsipras et la Plate-forme de gauche. L’une de ses figures les plus importantes est le ministre des finances Euclide Tsakalotos, qui a négocié le mémorandum. Alexis Tsipras lui a rendu hommage, mercredi.

Plusieurs députés qui s’étaient abstenus lors du vote du mémorandum ont annoncé qu’ils ne se représenteraient pas aux élections. La présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, en rupture avec le gouvernement de M. Tsipras, devrait créer son propre parti, qui pourrait s’allier à celui de M. Lafazanis pour les élections. Le nom de Manolis Glézos, le vétéran de Syriza et héros de la seconde guerre mondiale, qui n’a pas ménagé ses critiques depuis quelques mois contre M. Tsipras, est souvent cité comme partant, mais il n’a pas pris encore sa décision. Au moins 10 000 membres sur les quelque 35 000 du parti devraient l’avoir quitté, en grande partie pour rejoindre Unité populaire.

« Abolir le mémorandum »

« Dans ma section, les principaux membres permanents ne sont plus là », explique Voula Hadjiathanassiadou, l’ancienne secrétaire de Syriza dans le quartier de Pangrati, au centre d’Athènes. Proche de la Plate-forme de gauche sans y appartenir, cette ancienne professeure de grec a quitté le parti au cœur de l’été, avant même la signature du mémorandum. « Syriza a gagné les élections en promettant d’abolir le mémorandum. Et il en signe un nouveau. Depuis des décennies, on attend l’arrivée de la gauche grecque au pouvoir. Pour qu’au bout de quelque mois Tsipras reprenne la formule de Margaret Thatcher : “Il n’y a pas d’alternative.” Mais, dans toute l’Europe, on s’est battu contre cette formule. »

« Le parti, ce n’est pas Tsipras, il y avait plus de 30 000 militants qui sont contre le mémorandum », s’indigne la députée d’Unité populaire Ioanna Gaitani. A la section de Gizi, Ierasmos Zakaratos s’énerve devant ce genre d’argument : « Les 36 % recueillis lors des législatives de janvier et les 62 % de non au référendum, cela dépasse largement le nombre des militants de Syriza. » Syriza a changé de dimension, avec la crise, qui lui a permis de dépasser l’étiage des 5 % qu’il avait à chaque élection. Alexis Tsipras a transformé la douzaine de groupes qui composaient la Coalition de la gauche radicale en un parti, mais la mutation est restée inachevée.

A Gizi, les membres présents restent fidèles à la ligne du premier ministre, mais les murs montrent que les choses vont un peu vite pour eux. Dans la bibliothèque, les œuvres de Lénine figurent en bonne place. Les murs sont tapissés d’affiches qui témoignent des luttes passées. Une caricature représentant l’ancien premier ministre conservateur Constantin Caramanlis (2004-2009) surmontée d’un grand « oxi » (« non ») rappelle la lutte contre les projets de privatisation entrepris par le dirigeant de Nouvelle Démocratie, notamment celui d’une partie du port du Pirée au groupe chinois Cosco.

Le sujet suscite encore la gêne. « Avec la chute des Bourses chinoises, la priorité de Pékin ne devrait pas être de privatiser le reste du Pirée », veut croire l’avocat Isidore Saridis. Mercredi 26 août, le ministre de l’économie, Georges Stathakis, a rappelé qu’il voulait mener à bien le programme de privatisations imposé par les créanciers pour désendetter le pays.

« Les mémorandums sont des machines qui détruisent les partis qui les mettent en œuvre. C’est vrai dans le monde entier. On l’a vu en Grèce avec le Pasok, qui était plus puissant que le Syriza. Ça va aller très vite quand le plan commencera à être mis en œuvre en octobre. Il ne restera plus rien de Syriza », prophétise Stathis Kouvelakis, l’un des conseillers de M. Lafazanis à Unité populaire.

Face à ce risque de délitement, Syriza a organisé à Athènes une grande réunion de ses cadres de toute la Grèce, samedi 29 août et dimanche 30 pour travailler sur le programme de la campagne électorale pour le scrutin qui devrait se dérouler le 20 septembre.

Alain Salles (Athènes, envoyé spécial)

Journaliste au Monde


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