La crise climatique est une crise civilisationnelle

lundi 17 octobre 2016.
 

Onze personnalités invitées sur le thème «  COP21, à quelles conditions réussir  ?  » sont d’abord intervenus  : Hindou Oumarou Ibrahim, Sandrine Feydel, Alix Mazounie, Amadou Tierno Gaye et Maxime Combes.

Après un grand entretien avec Vandana Shiva, écologiste, écrivain et féministe indienne, un second débat a réuni Txetx Etcheverry, co-organisateur d’Aternatiba, Catherine Larrère, philosophe, Alain Obadia, membre du comité exécutif du PCF et du Cese, Julien Rivoire, porte-parole de Coalition Climat 21, Corinne Rufet, vice-présidente EELV de la région Île-de-France. Voici des extraits des interventions du premier débat.

Amadou Tierno Gaye, Ancien responsable du Giec pour l’Afrique

Il n’y a pas si longtemps que nous avons compris que l’homme pouvait avoir une action sur le climat de la Terre. La responsabilité des gaz à effet de serre (GES) a été mise en évidence dans les rapports des scientifiques en 1992, ce qui a débouché sur la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). En 2001, nous avons acquis la certitude que la Terre se réchauffait et que l’action des hommes y était pour quelque chose. D’une longue série d’études, il est ressorti qu’il convenait de contenir ce réchauffement à 2 °C. Le réchauffement, pour les pays africains, s’est traduit par une sécheresse sahélienne si intense et si longue qu’elle ne pouvait être le fait du hasard. Les inondations ont été plus nombreuses aussi, posant le problème des aménagements dans les grandes villes et des moyens financiers pour y remédier. La sécheresse a impacté sévèrement les économies au moment où des choix économiques particuliers ont été opérés, choix incompatibles avec le changement climatique. On ne peut plus parler de sciences sans parler de la société, de l’homme, de l’action économique. Et de l’histoire, car en Afrique les populations subissent toujours les pollutions héritées du colonialisme. Nous pouvons donner une autre tournure à notre climat.

Hindou Oumarou Ibrahim Coordinatrice de l’Association des femmes peules autochtones du Tchad

Je viens d’une communauté peule, nomade et éleveur de bétail. Nous vivons déjà les conséquences du changement climatique. Notre vie dépend étroitement de notre environnement, nous sommes sans cesse à la recherche de l’eau et des pâturages. Depuis une décennie, nous sommes confrontés à une rareté de ces ressources qui mène à des conflits avec les agriculteurs. Aujourd’hui, toutes ces populations se retrouvent concentrées sur les seuls endroits où se trouve de l’eau. Cet impact, nous ne sommes pas les seuls à les vivre car les saisons des pluies sont de plus en plus courtes, et en saison sèche, nous subissons des températures qui montent jusqu’à 50 °C à l’ombre. À cette température, les cultures sèchent sur pied. Le réchauffement climatique provoque des changements jusque dans les relations sociales, il déstabilise notre mode de vie, il bouscule même la vie au sein des familles  : les hommes, confrontés à une baisse importante de leurs ressources, partent en ville à la recherche de travail. Les femmes se retrouvent seules avec la charge de leur famille. C’est un bouleversement sociétal auquel nous assistons. L’impact du changement climatique va au-delà de l’environnement, il touche jusqu’à la dignité des populations humaines. Dans le cadre de la COP21, les négociations entre les États – développés et en voie de développement – ne sont pas équitables. Les délégations des pays riches sont plus nombreuses, avec plus d’experts. Les pays en développement ont droit à deux représentants et ceux-ci ne parlent pas forcément la langue des négociations, c’est-à-dire l’anglais. De plus, c’est dans les couloirs que les grandes décisions se prennent. Celles-ci sont en fait prises par les pays les plus forts. Pourtant, il ne peut y avoir qu’un accord juste et équitable qui promeuve la justice climatique.

Alix Mazounie Dirigeante de l’association Réseau Action Climat

Voilà plus de vingt ans qu’on négocie la question des changements climatiques. Preuve que la question n’est pas réglée  ! À Paris, l’enjeu est de savoir à quel accord nous allons aboutir et ce qui se dessine est assez angoissant. Nous sommes dans une situation critique. Pourquoi, depuis vingt ans, échouons-nous à négocier un accord international à la hauteur des ambitions  ? C’est parce que les mots clés dans cette affaire – les énergies fossiles  : pétrole, gaz, charbon – sont tabous dans la négociation. Aujourd’hui, dans un texte de 66 pages que nous sommes censés négocier avant le sommet à Paris, ces mots n’apparaissent que deux fois. On essaie de régler la question climatique sans aborder de front les questions qui nous permettraient de solutionner le problème. Quand nous sortons de la bulle des négociations, nous nous rendons compte qu’il y a encore 600 milliards de dollars par an de subventions aux énergies fossiles, bien plus évidemment que celles accordées aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique.

Le président Obama, aux États-Unis, présenté comme le héros du climat parce qu’il fait bien plus que ses prédécesseurs, autorise Shell à aller forer du pétrole en Arctique. C’est la triste réalité et c’est pourquoi nous n’y arrivons pas. Pourtant, un accord international sur le climat est une étape indispensable parce que c’est le seul espace aujourd’hui où l’on peut mettre l’ensemble des États autour de la table. Où ils ont officiellement chacun un droit de parole et de veto. C’est le seul espace où l’on peut parler de solidarité internationale avec les pays les plus pauvres. Donc il faut continuer de se battre pour cette négociation, même si nous y croyons de moins en moins. Il faut s’assurer que les pays vont aller au bout des négociations. Il est hors de question que l’accord qui se dessine et qui plaît à tous les pollueurs – aucun État pollueur ne conteste la nécessité de l’adopter – n’aboutisse pas. Quoi qu’il arrive à Paris, nous dirons qu’il s’agit d’un accord plancher, insuffisant, et que la majorité des efforts à fournir se feront au niveau des territoires, des législations nationales, des lois de finances.

Maxime Combes Économiste, membre d’Attac

Pourquoi des négociations initiées il y a vingt-cinq ans ne sont pas près d’aboutir à Paris  ? Parce que les dirigeants de la planète et des multinationales ont des trémolos dans la voix pour parler du climat le dimanche et qu’ils ne font rien le reste de la semaine. Il faut savoir qu’à l’échelle internationale, quand on investit un dollar dans l’énergie renouvelable, on en investit quatre dans les énergies fossiles, ce qu’un chercheur américain appelle le «  ratio espoir/déluge  ». Cela ne s’explique pas seulement par un double discours des dirigeants. C’est inscrit dans l’organisation de l’économie mondiale, dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Rappelons-nous le 2 novembre 2014  : François Hollande annonce d’un côté qu’il veut faire de la COP21 un rendez-vous historique. De l’autre, il est à Alberta, au Canada, et il dit deux choses  : il encourage Total et les entreprises françaises à continuer à investir dans l’exploitation du pétrole issu des sables bitumineux, et il se félicite d’avoir, au nom de l’Union européenne, finalisé un accord de libre-échange et d’investissement avec le Canada, le Ceta.

On touche au cœur du problème, à un hiatus entre la réalité des politiques, des négociations climatiques, et la réalité de ce que nous vivons  : l’accroissement de la globalisation économique et financière qui concourt à toujours extraire le plus d’énergie fossile, à en consommer toujours plus. Ceci s’inscrit dans les politiques de libre-échange, mais aussi dans le cadre général de l’ONU dans lequel se déroulent les négociations  : son article 3.5 interdit formellement à tout négociateur de prendre quelque mesure que ce soit qui contreviendrait aux règles du commerce international. C’est comme si on disait  : vous avez le droit de lutter contre le réchauffement climatique à une seule et unique condition, c’est de surtout ne rien changer dans l’organisation du commerce et de l’économie mondiale. Un des enjeux fondamentaux de la COP21, c’est de mettre dans le débat public ce problème du décalage entre la bulle des négociations et la réalité de la globalisation économique et financière. Nous avons un besoin urgent de créer de la tension politique  : il faut transformer les modes de production et de consommation dans nos pays. Nous disons à François Hollande  : Tafta ou climat, il faut choisir  ! Nous, nous avons choisi le climat. Monsieur Hollande, vous devez choisir avant la tenue de la COP21.

Sandrine Feydel Chercheuse au CNRS, auteure du documentaire "Nature, le nouvel eldorado de la finance"

Vous connaissez tous la loi économique  : ce qui est rare est cher. Je vais vous citer ce qu’un dirigeant d’un nouveau fonds d’investissement nous a dit il y a à peu près trois ans  : «  Imaginez la valeur de la dernière forêt sur terre, imaginez la valeur du dernier cours d’eau non pollué, imaginez la valeur des derniers endroits où l’on peut respirer de l’air pur. Eh bien nous, nouvelle société d’investissement, nous voulons profiter de ces zones et investir dans leur protection pour en retirer des bénéfices.  » C’est ce sur quoi ces nouveaux fonds, ces nouvelles banques sont en train de prospérer. Hier, j’ai lu sur le site d’une assurance française  : «  Partout dans le monde le changement climatique est une grave menace. Lorsque nous utiliserons les opportunités inhérentes à ce changement, il sera possible d’en tirer d’énormes profits  », et c’est signé Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies. En Australie et aux États-Unis, les espèces animales en voie d’extinction sont «  protégées  » par des «  bio-banques  ». Ces «  bio-banques  » font des profits de plusieurs milliards de dollars. Ce qui veut dire que la valeur de ces espèces dépend de la valeur du marché. Plus nombreux sont les développeurs qui veulent acheter des terrains sur une zone protégée, plus le prix des actions monte pour protéger les espèces. L’Union européenne réfléchit à mettre en place ce système sur le continent. Autre solution pour développer ces banques, le marché du carbone. Au Brésil, une multinationale minière, Vale, détient la plus grande mine de fer au monde en plein cœur de l’Amazonie. Elle a décidé de replanter des arbres dans certaines zones déboisées de l’Amazonie. Elle calcule la quantité de carbone que ces arbres permettent de capter et l’échange contre une récompense financière sur les marchés. Mais quand on va sur place, on se rend compte que Vale replante exclusivement des eucalyptus. Une monoculture qui supprime toute diversité. Mais cela permet à cette multinationale de montrer à quel point elle est verte et vertueuse. Les multinationales destructrices de l’environnement sont celles qui s’intéressent le plus à ces nouveaux marchés du climat.

Transcription réalisée par Dany Stive, L’Humanité


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