Hongrie, le 4 septembre 2015 : Des trains pour nulle part – Les réfugiés ne sont pas les bienvenus

mercredi 9 septembre 2015.
 

Son frère se contentait de le regarder. Le corps de cet homme pakistanais âgé d’une cinquantaine d’années reposait sans vie à côté d’une voie de chemin de fer, à quelques centaines de mètres de la gare de Bicske. On ignore comment il est mort ; ce que l’on sait, c’est qu’il était en quête d’une vie meilleure en Europe.

Les deux hommes faisaient partie d’un groupe qui a fui un train bloqué depuis le 3 septembre dans la gare hongroise. Beaucoup d’autres réfugiés et migrants refusent toujours de quitter ce train, parce qu’ils refusent d’aller dans les centres d’accueil hongrois.

Cette semaine, à la gare de Keleti, gare principale de Budapest, et à Bicske, j’ai été témoin d’un nouvel échelon de cruauté dans le traitement réservé aux réfugiés en Hongrie. On leur a interdit pendant des jours de monter dans les trains quand, tout à coup, hier matin, la police de Keleti a levé les barrières.

Des centaines de personnes se sont ruées vers un train décoré de silhouettes de personnages se prenant dans les bras avec, au premier plan, un drapeau allemand. Beaucoup, impatientes de quitter la Hongrie après y être restées bloquées pendant des jours dans des conditions très dures aux abords de la gare, pensaient que ce train allait les conduire en Allemagne, où les scènes de citoyens accueillant des réfugiés ont fait le tour du monde ces derniers jours. Les wagons se sont rapidement remplis et le train s’est mis en route vers 11 heures.

Mais à Bicske, à une trentaine de kilomètres de Budapest, il s’est arrêté net.

Voici le témoignage d’un réfugié palestinien ayant fui la Syrie, qui se trouvait à bord de ce train :

« Le train s’est arrêté. La police a annoncé que nous devions descendre, sinon ils utiliseraient la force. Alors nous avons obéi : nous avons ouvert les portes et nous nous sommes dirigés vers le quai. Devant la gare, il y avait des bus. Les policiers criaient et nous avons vu de la fumée. J’ai décidé de m’échapper, alors j’ai poursuivi mon chemin le long des rails, en espérant me diriger vers l’Autriche. En fait, je retournais à Budapest ! Finalement, j’ai préféré renoncer et j’ai pris un taxi jusqu’à la gare de Keleti pour 30 euros. »

Prendre cette décision a dû plonger cet homme dans le désespoir, car il ne savait que trop ce qui l’attendait. Des foules sont bloquées à la gare de Keleti depuis des jours, voire des semaines. Les gens dorment par terre, à même le sol, en se couvrant de vêtements et de couvertures, ou sous des tentes distribuées par des bénévoles. Pour avoir accès à des sanitaires, ils se rendent dans les chaînes de fast-food du secteur. Ils n’ont que très peu d’informations sur ce qui va se passer, ainsi que sur leurs options et leurs droits.

Le gouvernement hongrois se lave les mains de la situation des réfugiés à Keleti et dans l’ensemble du pays. Il fait valoir qu’ils ne veulent pas rester là. Loin de moi l’idée de leur reprocher de vouloir partir. Dès qu’ils franchissent la frontière, leurs relations avec les institutions hongroises sont tendues. Pour désigner les centres d’accueil de la zone frontalière, les réfugiés parlent de « prisons » et de « Guantanamo ». Ils m’ont confié que les policiers les traitent avec rudesse : ils ne leur donnent pas assez d’eau ni de nourriture et refusent de les laisser aller aux toilettes.

Dina, 46 ans, est arrivée en Hongrie le 14 août, avec son fils et son épouse, enceinte de sept mois. La police des frontières les a placés en détention 16 heures durant, sans leur donner ni eau ni nourriture. Lorsque je l’ai rencontrée à Keleti, Dina avait déjà acheté des billets de train pour l’Allemagne. « Je veux commencer une nouvelle vie, en paix... Ils nous traitent comme des animaux, pire que des animaux. »

Lorsque les demandeurs d’asile se font enregistrer dans la zone frontalière, on leur remet des documents à signer, qui les affectent à un centre d’accueil. La plupart de ceux avec qui nous avons parlé ont décidé de ne pas s’y rendre. Lorsque je leur demande pourquoi, j’obtiens toujours la même réponse : les centres sont pleins à craquer, ils ont vécu de mauvaises expériences dans les centres à la frontière, ils veulent vivre une vie normale. N’ayant pas obtenu l’autorisation de nous rendre dans les centres d’accueil, nous ne pouvons donc que supposer qu’ils disent la vérité. Que cache le gouvernement ?

Le Premier ministre Viktor Orban a déclaré au Parlement européen le 3 septembre que mettre en place un système de quota des réfugiés, sans contrôle des frontières, revient à adresser une invitation à ceux qui souhaitent venir. Il a ajouté : « [Faire] croire que nous pourrons accueillir tout le monde serait une faute morale. »

Cependant, la Hongrie est déjà en faute, très nettement. La clôture érigée en hâte à la frontière, l’absence d’aide aux alentours des gares et dans les trains, les conditions d’accueil inadaptées et les récentes réformes législatives visent un même but : dissuader de nouveaux arrivants. Ce n’est pas seulement une faute morale, ces mesures génèrent toute une série de violations des droits humains.

Plusieurs lois ciblant les migrants et les réfugiés, dont la dernière a été promulguée le 4 septembre, prévoient des peines de prison pour le franchissement illégal de la frontière et des condamnations sévères en cas de détérioration de la clôture, pour ne citer que quelques-unes des dernières initiatives de la Hongrie.

Pour épouvantable que soit la réponse de la Hongrie, les responsabilités sont largement partagées. Nombre de ces réfugiés fuient la guerre et les persécutions. Une fois arrivés en Europe, ils ne devraient pas avoir à se lancer dans un nouveau périple dangereux, voire mortel.

Jusqu’à ce que les dirigeants européens se mettent enfin d’accord sur une refonte du système d’asile qui implose, les réfugiés ne seront ni désirés ni aidés en Hongrie. Ils ne bénéficient pas de la protection dont ils ont besoin : leurs rêves ont déraillé et ils ont accès à des trains qui les emmènent vers des destinations inconnues.

Barbora Cernusakova

* « Des trains pour nulle part – Les réfugiés ne sont pas les bienvenus en Hongrie ». Amnesty International. 4 septembre 2015, 19:42 UTC :

* Barbora Cernušáková est chercheuse sur la Hongrie à Amnesty International, actuellement à Bicske, en Hongrie (@BCernusakova)


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