Grèce, Europe, austérité, non souveraineté populaire... Quelle stratégie pour une alternative ?

vendredi 25 décembre 2015.
 

- A) À la recherche du peuple perdu, il faut innover par Roger Martelli Historien, codirecteur de Regards

- B) Pour une rupture progressiste avec l’UE (par membres du CN du PCF)

- C) Une refondation par le peuple lui-même (par André Bellon Président de l’Association pour une Constituante)

A) À la recherche du peuple perdu, il faut innover par Roger Martelli Historien, codirecteur de Regards

Les peuples d’Europe ne sont pas soumis passivement aux normes du capital mondialisé. Ils contestent, agissent, s’organisent, proposent. Il n’est donc pas écrit que la gauche de transformation n’a plus de place sur notre continent. Les exemples de l’Espagne et de la Grèce le suggèrent. Ce n’est toutefois pas vrai partout. En France, nous sommes dans un entre-deux. Après 2008, le Front de gauche a relancé l’espérance. Mais le sursaut de la présidentielle 2012 n’a pas été confirmé.

Notre difficulté tient à un fait. Pendant quelques décennies du XXe siècle, la gauche d’alternative a dominé la gauche tout entière, au travers de l’existence d’un PCF bien implanté. Or le PCF a décliné, sans qu’aucune force, en dehors de lui ou avec lui, ne s’avère capable de prendre sa place. Comprendre ce qui a fait naguère la force du communisme français et ce qui a produit son recul n’est donc pas sans impact sur une réflexion stratégique.

Pour aller à l’essentiel, disons que la forte implantation du PCF a tenu à deux ordres de faits. Le communisme français du XXe siècle, tout d’abord, ne fut pas seulement un parti, mais une véritable galaxie comprenant aussi le syndicalisme animé par des communistes, une kyrielle d’associations de tous types et un réseau municipal solide et original. Par ailleurs, son utilité politique tenait à ce qu’il assurait trois fonctions en même temps  : une fonction sociale de représentation d’un monde ouvrier alors en expansion et à la recherche d’une reconnaissance sociale  ; une fonction utopique de projection dans l’avenir, appuyée sur le mythe soviétique  ; une fonction proprement politique de rassemblement à gauche, au travers des grandes 
formules du Front populaire, de la Résistance, puis de l’Union de la gauche. Le problème du PCF est qu’il ne comprit jamais vraiment que sa place tenait à cette utilité globale, et pas seulement à son existence de parti. Ce faisant, il ne mesura pas que la situation changeait et que nulle formule politique n’était efficace à tout jamais. Il voulut continuer sa mission révolutionnaire, en quoi il avait raison. Mais il ne sut pas la transformer en profondeur, en quoi il avait tort. Le résultat est qu’il reflua. Mais c’est aussi que, peu à peu, la place du peuple dans la société politique s’en est trouvée dramatiquement réduite.

On ne reviendra pas à la situation de départ. Le monde, la société et le travail ne sont plus ce qu’ils étaient. La nostalgie conduit à la nécrose. Mais il faut retrouver, dans les formes d’aujourd’hui, ce qui fonda l’utilité politique passée. Le peuple, hier rassemblé autour du noyau ouvrier par la conquête de la dignité, est dispersé par les logiques du capital mondialisé. Il n’a plus ni activité unificatrice (l’industrie) ni groupe central (les ouvriers). Ce qu’il a en commun, c’est la réalité de son aliénation. Seul peut donc le réunir le projet d’une société dans laquelle l’émancipation de chacun est la clé de la créativité de tous, et non les mécanismes de l’exploitation et de la domination.

Pour que cette convergence sociale s’exprime sur le terrain politique, deux conditions impératives doivent être réunies. Une nouvelle articulation du social et du politique doit se construire, sans subordination de l’un à l’autre, comme ce fut le cas dans le passé. Des modèles de rassemblement doivent s’inventer, dans lesquels la forme partisane de l’organisation ne disparaîtra pas, mais n’aura plus la place centrale qui fut la sienne. Sur la base de ces novations radicales, l’alternative peut retrouver une place centrale à gauche. Hors de là, elle est vouée à la marge. Partout.

B) Pour une rupture progressiste avec l’UE (Texte collectif de membres du CN du PCF)

Le mémorandum imposé à la Grèce est un séisme politique dans toute l’Europe, bousculant les propositions alternatives à l’austérité. Oui ou non, une autre politique est-elle possible dans le cadre de l’Union européenne  ? Le débat européen traverse les courants politiques, à droite comme à gauche. Depuis Maastricht puis le Non français de 2005, on sait qu’il est socialement marqué, opposant ouvriers, employés, jeunes, quartiers populaires, refusant très majoritairement les politiques européennes, aux professions libérales, cadres et centres-villes urbains, plus favorables à l’intégration européenne.

Le dernier congrès du PCF «  Rallumez les étoiles  » a confirmé l’orientation pour une «  Europe sociale  » avec l’adhésion au PGE. La faucille et le marteau ont été remplacés par les étoiles européennes sur les cartes du parti. Les textes alternatifs, considérant l’UE comme une construction de la mondialisation capitaliste, sont restés minoritaires. La force acquise par les mouvements de gauche radicale en Grèce et en Espagne semblait confirmer cette voie pour une autre Europe, avec la victoire de Syriza puis la force des 61 % du Non grec. Mais le choc d’une nouvelle vague d’austérité imposée à la Grèce et acceptée par Alexis Tsipras est une douche froide pour tous les militants, toutes les luttes sociales, pour la souveraineté des États. Ce choc a conduit à de nombreuses hésitations et discussions des communistes, à l’image des parlementaires communistes hésitant entre les votes Oui et Non. La direction du PCF a proposé une analyse de cette situation à partir de trois scénarios. L’Europe de la finance et de l’austérité de la droite et des partis socialistes gouvernementaux, l’Europe de la concurrence nationaliste des extrêmes droites, et l’Europe sociale de la gauche radicale.

Nous considérons qu’un débat large et ouvert conduirait à envisager un quatrième scénario. Que faut-il de plus que 61 % du peuple pour imposer une autre politique  ? Faut-il une majorité à l’échelle de toute l’Europe pour mener une autre politique dans un pays  ? Un dirigeant du PCF devrait-il accepter de mettre en œuvre une politique d’austérité plus dure que celle de Hollande pour éviter une «  catastrophe financière  »  ? Quelle différence entre Hollande élu ennemi de la Finance pour la servir quelques mois plus tard, et Alexis Tsipras élu contre les mémorandums d’austérité pour en appliquer un six mois plus tard  ? Quels points communs entre les mémorandums grecs et la situation française (MES, TSCG, ANI, Code du travail, retraites, privatisations, démantèlement des services publics…)  ? Les pertes de souveraineté poussées ne mettent-elles pas la Grèce dans une situation néocoloniale  ?

Ces questions conduisent à envisager un quatrième scénario, celui d’une révolution de nature anticapitaliste dans un pays, conduisant à la rupture avec les traités européens existants. Une telle rupture permettrait de réouvrir l’histoire européenne sur la base de l’intérêt des peuples, dans une approche internationaliste, avec les forces diverses qui veulent construire un monde multipolaire s’imposant à l’impérialisme militariste américain.

Le plan B proposé par Yanis Varoufakis, les propositions d’Éric Toussaint issues de l’audit de la dette grecque, les analyses de nombreux économistes progressistes, les positions des communistes grecs ou portugais, montrent que de plus en plus de progressistes refusent de s’enfermer dans l’Europe sociale et réfléchissent hors du cadre porté par les partis du PGE.

Nous demandons l’ouverture d’un débat pluraliste avec tous les communistes, les syndicalistes, les progressistes, pour donner des arguments solides et partagés aux militants sur les alternatives possibles à l’austérité, à la domination des institutions non démocratiques de l’UE, à la toute-puissance du système banquier et financier. Ce débat doit poser en toute clarté les éléments de crédibilité comparée du scénario de l’Europe sociale, et de celui d’une rupture progressiste avec l’UE.

Premiers signataires : Caroline Andréani, membre du CN du PCF, Paul Barbazange, membre du CN du PCF, Marie-Christine Burricand, membre du CN du PCF, Rémy Herrera, économiste CNRS, Jean-Jacques Karman, membre CN du PCF, Jean-Pierre Meyer, membre du CN du PCF, Nicolas Peyraud, militant PCF, Michèle Picard, maire de Vénissieux, Hervé Poly, secrétaire départemental PCF Pas-de-Calais, Danielle Trannoy, membre du CN du PCF.

C) Une refondation par le peuple lui-même (par André Bellon Président de l’Association pour une Constituante)

C’est peu de dire que la crise grecque a mis chacun au pied du mur, à savoir la question de rester ou pas dans le cercle des règles qui fondent la vie politique en France et sous l’égide de l’UE. Ainsi, interrogé sur l’émergence potentielle d’une alliance des gauches européennes, Yanis Varoufakis a déclaré  : «  Ce que je pense, c’est qu’une alliance d’Européens en provenance de tout le spectre politique qui partagent une idée très radicale, celle de la démocratie, est possible.  » Jacques Sapir appelle, lui, à un front rassemblant l’ensemble des forces, y compris des forces de droite, qui, aujourd’hui, appellent à sortir de l’euro. (…) On pourra critiquer chez Varoufakis l’absence d’hypothèse de sortie de l’euro, chez Sapir l’hypothèse d’alliance avec le FN. Mais dira-t-on enfin que l’un comme l’autre oublie ou refuse de dire que la démocratie n’est que l’autre nom de la souveraineté populaire  ? Ils pensent stratégie électorale sans s’interroger sur la refondation de la démocratie, seule revendication potentiellement majoritaire et porteuse de changements réels. Car sa rénovation doit mettre fin à l’asservissement et à l’humiliation qui interdisent aux citoyens d’exprimer leur volonté et de la faire respecter.

C’est le peuple, seul qui, en Grèce comme en France, dispose de la légitimité pour sortir des jeux tactiques stériles qu’impose un système politique déconnecté des réalités. Pour se manifester, cette légitimité nécessite l’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel en France et, pourquoi pas, dans chacun des pays. Celle-ci permet de sortir du cercle vicieux dans lequel s’enferme Jacques Sapir et consistant à chercher des alliances pour réaffirmer la souveraineté populaire et nationale sans référence aux principes de base de la démocratie et de la République. Il est très significatif que le FN écarte cette refondation  : Marine Le Pen a elle-même déclaré que «  les institutions de la Ve République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français  », marquant ainsi son hostilité à la Constituante.

En France, la Constituante doit permettre d’atteindre cette souveraineté dans le cadre des principes qui ont émergé lors de la Révolution française, en particulier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (mais aussi l’insurrection républicaine de 1792). C’est d’ailleurs l’un des enseignements de l’expérience du Conseil national de la Résistance où la nation a puisé dans les tréfonds de son histoire démocratique et républicaine pour se rassembler et abattre le régime de Vichy et le nazisme. Ce sont les citoyens attachés à ces principes tirés de 1789 et de notre histoire républicaine (1792) qui peuvent redonner sens à leur propre souveraineté en redéfinissant les règles du jeu démocratique dans le pays comme dans les relations extérieures en permettant la remise à plat des traités qui lient la France.

Oui, la crise grecque a obligé à repenser la sortie d’une crise sans précédent depuis longtemps. On s’inscrira ou pas dans l’Europe telle qu’elle existe, on parlera ou non de telle ou telle alliance politique pour en sortir, mais tous ces discours resteront sans conséquence ou pire conduiront à d’autres drames si n’est pas enfin posée, en dehors du paysage politique existant, la question de la reconstruction du peuple et de sa souveraineté.

Ces 3 textes sont extraits du dossier de L’Humanité :

http://www.humanite.fr/quelle-strat...


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