La résistance kurde, la Turquie et l’Etat Islamique

jeudi 24 septembre 2015.
 

C’est peu dire que ces quatre-vingt-dix dernières années, les Kurdes n’ont pas eu beaucoup d’amis. Depuis sa création en 1923, la Turquie a consciencieusement dénié à ce peuple les droits les plus élémentaires comme celui de parler sa langue ou de s’organiser politiquement. Depuis 1978, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est le principal représentant des intérêts des Kurdes de Turquie. A l’origine, ce groupe est marxiste-leniniste et pratique la guérilla comme la diplomatie parallèle afin de faire reconnaitre au peuple kurde son droit à l’auto-determination.

Le PKK est considéré comme une organisation terroriste par l’Union Européenne, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la Turquie.

Idéologiquement et politiquement, le PKK connaîtra une mue décisive en 2005. Par la voix de son leader Abdullah Ocala, il est annoncé que le parti renonce à la perspective d’un Etat-Nation à cheval entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Dans un ouvrage éponyme [http://www.freedom-for-ocalan.com/f...], Ocalan développe la perspective du Confédéralisme Démocratique. La forme-Etat y est décrite comme fondamentalement contre-révolutionnaire et anti-progressiste. Très influencé par Murray Bookchin https://fr.wikipedia.org/wiki/Murra..., le théoricien du municipalisme libertaire, le PKK prône désormais l’auto-organisation en communes, seule forme politique à même d’en finir avec le capitalisme et l’impérialisme.

« Le droit à l‘autodétermination des peuples comprend le droit à un Etat propre. La fondation d‘un Etat ne permet cependant pas d‘augmenter la liberté d‘un peuple, et le système des Nations-Unies, fondé sur les Etats-nations, a démontré son inefficacité. Les Etats-nations se sont ainsi mis à représenter de sérieux obstacles face aux évolutions sociales. Le confédéralisme démocratique est le paradigme inverse, celui des peuples opprimés. Le confédéralisme démocratique est un paradigme social et non-étatique. Il n‘est pas contrôlé par un Etat. Le confédéralisme démocratique représente également les aspects organisationnels et culturels d‘une nation démocratique. Le confédéralisme démocratique est fondé sur la participation de la population, et ce sont les communautés concernées qui y maîtrisent le processus décisionnel. Les niveaux les plus élevés ne sont présents qu‘afin d‘assurer la coordination et la mise en œuvre de la volonté des communautés qui envoient leurs délégués aux assemblées générales. Pour assurer un gain de temps, ils font office à la fois de porte-parole et d‘institution exécutive. Cependant, le pouvoir décisionnel de base est dévolu aux institutions populaires. »

Depuis 1999 et l’arrestation d’Abdullah Ocalan au Kenya, le PKK a déclaré un cessez-le feu unilatéral en Turquie.

Malgré ces gages de bonne volonté et l’adoption d’une perspective politique radicalement démocratique, la Turquie n’a cessé de mener la guerre aux Kurdes trop rétifs. Cette guerre civile de basse et moyenne intensité se ramifie évidemment jusqu’à la France où à la demande de la Turquie, la police antiterroriste française arrête régulièrement les militants kurdes pour les envoyer de longues années en prison. La diaspora kurde prenant bien garde à ménager ses rapports avec la France, ces arrestations antiterroristes sont le plus souvent justifiées par des financements du PKK. Lorsqu’on est kurde et politisé en France, mieux vaut ne pas faire de virement Western-Union à sa famille.

Pour reprendre les mots d’un célèbre juge antiterroriste français, « depuis 2006 la France est le seul pays à avoir autant interpellé, jugé, condamné et emprisonné de militants du PKK ». Malheureusement épinglé par le Canard Enchaîné, ce même juge se retrouvera au coeur de polémiques et de manipulations qui entacheront gravement sa carrière.

Si la situation des Kurdes et leurs arrestations en France ne suscitent que très peu d’intérêt dans l’opinion publique française, la donne va radicalement changer à partir de l’été 2014. En effet, alors que les militants de l’Etat Islamique gagnent massivement du terrain en Syrie et en Irak, le PKK et les Unités de Protection du Peuple (YPG) s’avèrent être les seules forces suffisamment organisées pour les mettre en déroute. En Août, les combattants kurdes permettent la fuite de 200 000 Yézidis encerclés dans les Monts Sinjar en Irak et passent en quelques jours du statut de terroristes à celui de héros. Au même moment, la défense armée de la ville de Kobané contre les assauts djihadistes produit une vague de sympathie mondiale. On peut lire jusque dans les pages du « magazine féminin » Marie Claire des odes au courage et à la beauté des combattantes kurdes. Sur internet, des vidéos soutenant le YPG et le PKK fleurissent par centaines.

2014 fut donc l’année de l’un des plus ahurissant retournement du dispositif antiterroriste mondial. Les Etats-Unis et la France se retrouvent à soutenir et armer en Irak ceux-là même qu’ils continuent d’incarcérer pour terrorisme sur leur sol. Pourquoi pas ?

Mais il aura fallu attendre l’été 2015 pour que la confusion géopolitique la plus totale fasse jour. Il aura suffit que Recep Tayyip Erdogan se vexe de ne pas avoir pu fonder un nouveau gouvernement pour qu’il prenne la résolution de s’en prendre, selon ses déclarations, à tous les groupes terroristes, c’est-à-dire à l’Etat Islamique et au PKK. Étrangement, sur les centaines d’attaques aériennes déclenchées par le gouvernement d’Ankara, seulement trois auraient visé l’Etat Islamique. Les centaines d’autres tombèrent sur les bases du PKK. Depuis, les émeutes sont quasi-quotidiennes en Turquie et plusieurs villes de l’Est ont déclaré leur indépendance du pouvoir central turc pendant que d’autres sont assiégées par l’armée d’Ankara.

Alors que nous profitions de notre pause estivale à la terrasse d’un café, nous avons rencontré Zeki et Leïla Hatipoglu, deux réfugiés kurdes ayant fui la Turquie en 1989. Leur point de vue sur la situation nous est apparu à la fois riche et précis. Zeki a accepté que nous filmions un entretien avec lui pour LundiMatin. Pour plus de clarté, nous avons découpé l’entrevue en une dizaine de thèmes dont nous diffusons les premiers extraits aujourd’hui. La suite sera publiée dans nos deux prochains numéros.

Anecdote d’enfance

Ma mère ne savait pas parler turc, mon père non plus. C’est pour ça que dès l’école ça m’a choqué. Je vais vous raconter une histoire. J’étais au collège en 3e, c’était ma première action. On était 36, maintenant on ne doit plus être que 7 à être encore vivants.Il y a 4 ou 5 camarades qui sont décédés lors des grèves de la faim. Quelques-un sont morts de la torture à Diyarbakır à l’époque des évènements de 1980…

Tous les jours quand on commençait l’école le matin, il fallait dire « Je suis turc, je suis grand… un Turc est meilleur que tout le monde… » Tous les jours, tous les jours, tous les jours. On a discuté entre-nous et moi j’ai dit que je ne voulais pas dire ça. Je suis ni Turc, ni grand. Donc on en discute avec 4 ou 5 copains et puis un jour, on va à l’école, il y a la levée du drapeau, tous les élèves et moi et mes amis on s’en va. Alors le directeur nous demande : « Mais qu’est-ce que vous faites ? » Alors je lui réponds « Moi je n’y vais pas, je ne suis ni turc, ni grand. Je suis Kurde ». Il me répond « Chut ! vous pouvez pas dire ça ». À 4 ou 5 on reste là. Une demi-heure après, il y a un camion militaire qui arrive et ils nous ramènent jusqu’à leur base militaire. Et là ils nous frappent… On était jeunes… avec la crosse du fusil… ils m’ont accroché à un radiateur qu’ils ont poussé à fond. Ca fait mal ! Ca brûle comme le barbecue ! Ils nous ont gardé pendant deux jours vu qu’on était jeunes. Et pendant deux jours ils nous ont dit « Dis que t’es turc et tu peux partir. » Mais nous on voulait pas. »

« Nous on a 60 ans, avec nous on peut discuter mais après nous, c’est plus possible. La Turquie, tu veux qu’elle discute avec qui ? Les jeunes ils veulent pas ! Tu dis une parole, « Brulez ! » et les jeunes ils brûlent tout. » Historique

« A un moment, les Turcs ont lancé une propagande. « Vous êtes musulmans, nous aussi, c’est pas la peine d’être Kurdes, on est frères ». Mais comment ça on est frères ? Vous avez tout et nous on a rien, on peut pas être frères, ça va pas ! Et si tu résistes contre eux, ils disent « Terroristes ! 20 ans de prison. » Tu écris un article sur l’histoire kurde, hop 30 ans de prison. Après on a compris. Après 1980 ils ont rempli la prison de Diyarbakir et là c’était comme les prisons de Saïgon. C’était inimaginable, des massacres, des trucs inimaginables. »

« L’histoire nous a donné une mission : nous battre aussi pour les autres. Si les Kurdes sont libres, les Turcs et les Arabes seront libres aussi »

Sur Daesh et la Turquie

Quand l’Etat Islamique a attaqué Kobané, ils étaient 7000 et il n’y avait que 500 personnes en face. Dès que le YPG s’est mis à résister, la Turquie a tout de suite fermé la frontière. Parce que du côté turc, il y avait des milliers de jeunes Kurdes qui voulaient aller là-bas. Mais les jeunes ont cassé les postes frontières et ils ont pu rejoindre la résistance. Derrière le dos de Daesh, c’est la main de la Turquie. Moi j’étais là-bas, par exemple les blessés de Daesh, les ambulances turques viennent les chercher et à l’intérieur, ils mettent tous les gars qui viennent d’Europe pour combattre avec Daesh. Il y a des centaines de camions de matériel militaires qui ont été envoyé pour Daesh. Les Turcs, ils ont un seul but, c’est d’écraser la résistance kurde.


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