Syriza : une victoire de la soumission ou de la résistance ? (Clémentine Autain)

dimanche 4 octobre 2015.
 

L’interprétation du scrutin grec est difficile, et reste suspendue à ce qu’Alexis Tsipras fera de ce succès électoral. Mais ce dernier comporte des enseignements importants et immédiats pour toute la gauche d’alternative en Europe.

Le pari d’Alexis Tsipras est gagné. En initiant de nouvelles élections législatives, le leader grec appelait les électrices et électeurs à réaffirmer leur soutien au gouvernement. Alors que Syriza avait été élu pour tenir deux objectifs qui se sont révélés inconciliables – ne pas accepter un nouveau mémorandum ET ne pas sortir de la zone euro –, le peuple grec a validé l’option choisie par Tsipras. Il l’a fait sans l’enthousiasme des précédentes élections et avec une abstention croissante, 56,57 % de participation contre 63,87 % en janvier 2015, soit sept points de moins. Mais il l’a fait, évitant le grand bond en arrière qu’auraient constitué une victoire de la droite et une forte percée d’Aube dorée (lire aussi "Soirée de victoire douce-amère pour Syriza à Athènes").

Union populaire, dissidence de Syriza, pour qui la signature d’un troisième mémorandum était évitable à condition d’assumer la sortie de la zone euro, n’a pas convaincu. L’implication à ses côtés de personnalités telles que Yannis Varoufakis, Zoe Kostantopoulou ou Manolis Glezos n’y a rien fait. Pour UP, la barre des 3% qui permet d’être représenté au Parlement n’a même pas été franchie. Fort de ses 35% des voix, Syriza peut néanmoins écarter l’hypothèse d’une alliance avec le Pasok. Pas de sortie de l’euro sans soutien populaire

Ce vote des Grecs est-il un vote de résistance ou de soumission ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, d’autant que le sens d’un vote n’est jamais univoque. Mais la résistance opposée par Alexis Tsipras à la Troïka constitue sans aucun doute l’une des raisons de sa victoire. Négociant avec un pistolet sur la tempe, héritant d’une situation économique, sociale et financière exsangue dans un pays qui ne pèse que 2% du PIB européen, Alexis Tsipras a tenté. Il a affirmé un autre point de vue sur les solutions à même de redresser le pays et d’endiguer les inégalités. Il a impliqué son peuple par un référendum pour mener le rapport de force.

Bien seul, sans État partenaire et sans mobilisation européenne digne de ce nom, il a tenu tête là où tous les autres gouvernements de la zone euro se moulent les uns après les autres, sans broncher, dans les normes libérales des traités et de l’austérité. Cette attitude a donné de la fierté au peuple grec : c’est sans doute l’une des clés de réussite de Tsipras. S’il a perdu le bras de fer face à l’Eurogroupe, il est allé au combat.

L’alternative proposée par Unité populaire, le saut dans l’inconnu d’une sortie de l’euro, les Grecs n’en ont pas voulu. Tsipras avait donc raison de penser que son peuple n’était pas prêt à cette ultime confrontation. Or, qu’elle soit juste ou non sur le fond économique et politique, cette sortie ne peut se faire qu’à la condition que le peuple soit pleinement impliqué dans ce choix, qu’il soit convaincu qu’une telle voie est la bonne. L’une des leçons de ce scrutin est qu’il est inopérant politiquement de penser que l’on peut avoir raison contre le point de vue des masses populaires. On peut donc s’interroger : les dirigeants de l’UP n’ont-ils pas quitté Syriza sur la base d’une analyse fausse de l’état de conscience du pays ? En focalisant sur la sortie l’euro, ils n’ont pas convaincu. Ils ont ainsi couru le risque de la marginalisation de leur courant politique (lire aussi "Panayotis Lafazanis : « Unité populaire a allumé un feu souterrain »"). Point de départ ?

Une chose est sûre : l’histoire n’est pas finie. Et l’enjeu d’interprétation de cette séquence ne concerne pas que les Grecs. Il en va de l’ensemble des courants de la gauche d’alternative en Europe. François Hollande ou Martin Schulz ont eu tôt fait de souhaiter à Tsipras la bienvenue dans la social-démocratie. Tsipras ayant finalement accepté un troisième mémorandum doit se retrouver classé de leur côté, espèrent-ils. Le bras de fer gagné par l’Eurogroupe doit faire tâche d’huile et rappeler qu’il n’y a pas d’alternative aux politiques d’austérité. Or, non seulement ce n’est pas sa famille politique mais la bataille qu’il a menée, aucun dirigeant de la social-démocratie européenne ne l’a menée.

Ce qu’a réussi Tsipras, c’est une démonstration politique. Elle peut être interprétée comme désespérante parce qu’il a échoué à éviter un nouveau mémorandum. Elle peut aussi être vue comme un point de départ, celui d’une prise de conscience nouvelle à l’échelle européenne sur la nature actuelle de l’Union européenne, la dureté et la détermination de ses dirigeants.

Cette prise de conscience a eu le mérite d’ouvrir une période de grande agitation intellectuelle et politique : des voies nouvelles se cherchent pour sortir du carcan des traités européens, du néolibéralisme et de l’austérité. Dans toute la gauche radicale européenne, on discute de mesures unilatérales, des façons de se protéger, des moyens d’organiser la confrontation sociale et politique avec la Troïka, de la non application de tout ou partie des traités, des formes accrues de coopération nécessaire entre les pays et les forces politiques qui refusent la logique imposée. Il s’agit de ce point de vue d’un tournant historique. Une solution politique

La suite n’est pas écrite : Alexis Tsipras, qui a aussi gagné parce qu’il est un homme neuf en politique, non corrompu, apparaissant comme sincère et honnête dans ses choix, avec une méthode, la consultation de son peuple, là où les autres dirigeants leur écrasent la tête, continuera-t-il à se battre comme il le promet ? Réussira-t-il à dégager quelques marges de manœuvre pour appliquer une politique différente de ses prédécesseurs, à combattre la corruption ou l’emprise de l’Église, à bâtir d’un État digne de ce nom, à s’emparer pleinement d’autres enjeux, sur le contenu de l’éducation, la démocratie sociale, la lutte contre le sexisme, etc. ? Ou se moulera-t-il dans les normes dominantes, laissant périr l’espoir déjà entamé et quittant les rives de la gauche d’alternative ?

Nul ne le sait. Nous n’avons aucun intérêt à présager du pire par anticipation. S’il faut être lucide sur les difficultés qui vont être les siennes, notamment parce qu’il va devoir concrètement privatiser le port du Pirée ou baisser les pensions, il serait dramatique de dilapider plus encore tout espoir et de rejeter Tsipras dans les bras d’une gauche qui ne l’est plus.

La gauche radicale française a pris sa part dans la campagne électorale grecque. Sans doute imprudemment. Elle est en tout cas apparue divisée. Jean-Luc Mélenchon avec le Parti de gauche a soutenu avec vigueur Unité populaire, et a enthousiasmé les foules au stand de la fête de L’Humanité en invitant Yannis Varoufakis. Pierre Laurent avec le PCF a, de son côté, soutenu sans sourciller Alexis Tsipras. Une position unifiée se cherche. Elle doit éviter un double écueil : d’une part, celui du repli national et de la focalisation sur la sortie de la zone euro ; d’autre part, la continuité des slogans et de la stratégie, comme si l’expérience grecque n’invitait pas à muscler les discours et les propositions. La solution n’est pas institutionnelle, mais politique. Et elle suppose de savoir articuler un rapport de forces national et européen. La ligne de crête est étroite. Mais pour réussir, elle doit être tenue.


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