Chemises et vies déchirées (Gérard Filoche)

samedi 17 octobre 2015.
 

Puisque on ne cesse de me le demander pour instrumentaliser ma réponse, je le répète, je ne condamnerais ni n’approuverais les violences qui ont eu lieu hier, à Air France, spontanément, d’autant que tous les syndicats ont essayé de les encadrer de les limiter, de les éviter. Ce n’est pas mon rôle d’en être juge. Mais d’expliquer, de comprendre, oui.

Je ne vais surement pas participer à la curée pour condamner ces violences spontanées imprévisibles, explicables, de salariés qui ont été poussés à bout, qui sont menacés de 2900 licenciements, qui ont été trop pressurés déjà, et que les médias déchainés (ces médias dorénavant possédés à 95 % par 7 milliardaires) insultent de façon éhontée. Cette chienlit médiatique dépasse toutes les bornes (lire la recension d’Acrimed). Ni au déchainement haineux de Manuel Valls, qui n’a jamais eu des mots pareils quand des gens de sa caste comme Jérôme Cahuzac commettaient mille fois pire : pour un Premier ministre, se lâcher, traiter les victimes, les travailleurs, de « voyous », n’avoir pas un mot pour les salariés alors que c’est lui-même qui est le licencieur (l’état détient 17 % d’air France et a voté le sinistre plan de Juniac, et Valls nomme son directeur de cabinet DRH d’Air France…) tout cela est effrayant.

Je ne vais surement pas approuver non plus, car malheureusement ces actions explicables des salariés sont tellement improvisées qu’elles desservent leur cause et que c’est leurs ennemis de classe qui en profitent. L’exploitation de chemises déchirées est repris partout, avec des commentaires odieux, elle sert a faire oublier les sales projets de la direction qui veut liquider Air France pour la « ryanniser », l’uberiser ! Les syndicats de l’intersyndicale, sur place, ont essayé, avec sagesse, et sang froid, de limiter les dégâts, de protéger « les chemises » et les DRH. Ce qui n’empêche pas les hyènes médiatiques de les mettre en cause. La violence n’a pas la même portée, ni le même sens, du coté des exploités et du coté des exploiteurs, Jaurès distinguait bien cela.

Ils disent, Francois Hollande inclus, que « cela abîme l’image de l’entreprise ». C’est du baratin, quelle image ? qui regarde l’image et pourquoi ? Celle de la suppression de 15 000 + 290 postes ? Il est probable que des millions de passagers, dans leur âme, doivent largement préférer eux aussi les licenciés aux licencieurs. Et que des milliers de salariés de toutes les compagnies doivent avoir envie de faire comme leurs collègues d’Air France. De ce fait l’image risque surtout d’être contagieuse plutôt que négative.

regardez une vidéo de 20′ enregistrée sur place au début de la séance du CCE Air France KLM elle vous tire les larmes des yeux (partagée sur mes pages face book) http://urlz.fr/2v1m

Allez dire à des salariés, par exemple qui ont 35 ans, qui sont endettés pour 30 ans pour leur maison, qui ont trois enfants, à qui il a été demandé déjà il y a 2 ans, de se sacrifier, à qui on a bloqué les salaires depuis 3 ans, qui ont dû travailler plus, et malgré, cela, et sans négociation, par coup de force, pour des raisons douteuses, avec un PDG qui s’augmente de 70 % et provisionne 150 millions d’euros de retraite chapeau, qui est en train de couler le fleuron de notre flotte aérienne, ils apprennent qu’ils vont être licenciés brutalement : étonnez vous surtout qu’ils n’explosent pas davantage.

Ce qui est étonnant devant la violence impitoyable de la finance, c’est qu’il n’y ait pas plus de violence de ses victimes. Si ceux qui veulent couler Air France et ses personnels pour les basses oeuvres de low cost, continuent, ils généreront bien pire.

Ils répètent à satiété que les violences de quelques membres des personnels ont desservi la cause, ce n’est que trop vrai, puisqu’elles sont mises en avant de façon forcenée dans une curée extraordinaire des médias ( les indignations sont sélectives, comparez les réactions de Valls lors de la MORT de Rémi Fraysse et celles là). Moi je suis toujours du coté des personnels, les patrons ont plus de responsabilités que les autres, parlons de Michel Combes (Alcatel) qui se goinfre de 14 + 14 millions ou qui sont des escrocs comme Martin Winterkorn (de Volkswagen, 28 millions ), du PDG Lafarge qui vient de se prendre 8,5 millions, et pas seulement de ceux qui bradent nos joyaux comme Juniac (voire aussi son inquiétante vidéo de 20′ contre le droit du travail, les grèves et les salariés, le travail des enfants). Je soutiens ceux, beaucoup plus respectables, qui travaillent et défendent leur pain.

Depuis 170 ans, les violences ont bien plus souvent frappé les personnels que les patrons à ce qu’on sache :

Voila ce qu’en disait Jean Jaurès :

« Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclats de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continuent la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. [...] Ainsi, tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. »

Jean Jaurès, discours devant la Chambre des députés, séance du 19 juin 1906


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