Svante Pääbo «  Les néandertaliens ne sont pas tout à fait morts, ils vivent encore en nous  !  »

vendredi 6 novembre 2015.
 

C’est le premier à avoir démontré que le génome des humains d’aujourd’hui renferme 1 à 3 % de l’ADN de Neandertal. De passage en France à l’occasion de la parution de son livre (1), Svante Pääbo, 
le généticien suédois (2) qui a réécrit l’histoire de l’évolution de l’humanité, en mettant sa discipline 
au service de la paléontologie, nous livre le fruit de ses recherches sur nos ancêtres et nos origines.

Svante Pääbo, vos recherches montrent que vous êtes partiellement… un homme de Neandertal  ! Comment le vivez-vous  ?

Svante Pääbo C’est assez ­sympathique et excitant de se dire que les néandertaliens ne sont pas tout à fait morts, puisqu’ils continuent un peu de vivre en nous  ! Dans quelles proportions suis-je néandertalien  ? Comme toutes les femmes et tous les hommes qui ne sont pas originaires récemment d’Afrique subsaharienne, j’ai 1 à 3 % de gènes issus des hommes de Neandertal. Les Africains subsahariens n’en ont presque pas, car Neandertal n’est pas allé dans cette partie du monde.

Dans votre ouvrage (1), vous racontez comment, en mettant votre spécialité, la génétique, au service de la paléontologie, vous avez développé des techniques de reconstitution de l’ADN ancien et ainsi pu démontrer qu’il y a toujours 1 à 3 % de gènes néandertaliens en nous. Est-il possible d’estimer le pourcentage exact  ?

Svante Pääbo Il est très difficile de quantifier exactement cette proportion. Lorsque nous ­disposons de longues chaînes d’ADN, de grands fragments à analyser, nous pouvons être certains de bien cartographier toutes les différences entre les humains d’aujourd’hui et ces préhumains, cette espèce ancienne de plus de 40 000 ans. Mais quand nous n’avons à disposition que des fragments très petits, nous avons moins d’information génétique. Voilà pourquoi nous estimons à entre 1 et 3 % cette part de génétique néandertalienne en nous, Homo sapiens moderne, en Europe et en Asie.

Sait-on à quoi correspondent les gènes néandertaliens dont nous avons hérité  ?

Svante Pääbo Nous n’avons pas tous les mêmes gènes néandertaliens, mais certains sont quand même plus fréquents dans la population générale. Nous avons reconstitué un génome vraiment complet et de bonne qualité d’un néandertalien il y a seulement un an et demi. Nous commençons donc à peine à découvrir quels gènes, précisément, ce groupe nous a légués. Jusqu’à présent, nous avons identifié qu’il existe des gènes impliqués dans le système immunitaire, nos moyens de défense contre les maladies. Et l’an dernier, nous avons trouvé qu’un gène néandertalien assez fréquent est associé au risque de diabète de type 2, celui qui se développe quand on vieillit. On le retrouve particulièrement en Asie.

Nous avons aussi découvert que le génome d’hommes actuels contient des gènes spécifiques d’un autre groupe d’hommes, contemporains des néandertaliens, mais différent de ceux-ci  : les dénisoviens. L’adaptation à l’altitude d’une ­majorité de Tibétains est ainsi liée à un gène hérité de la lignée des dénisoviens  : il facilite la survie sur les hauts plateaux où il n’y a pas beaucoup d’oxygène. Toutes ces analyses paléogénétiques bouleversent nos connaissances sur l’histoire de l’évolution humaine et du buissonnement de nos origines.

Qui sont ces dénisoviens, contemporains des néandertaliens que vous avez mis au jour en 2011  ?

Svante Pääbo Nous avons découvert ce groupe humain par le séquençage de son ADN, à partir d’un minuscule fragment d’os  : un tout petit morceau de l’auriculaire d’une fillette, trouvé dans la grotte de Denisova, en Sibérie. Par la suite, trois dents ont été découvertes au même endroit, mais c’est tout. Ces dénisoviens sont plus proches des néandertaliens que de nous  : la séparation de ces deux ­lignées a eu lieu il y a environ 400 000 ans seulement, alors que notre lignée s’est séparée de la lignée commune des néandertaliens et des dénisoviens il y a entre 550 000 et 765 000 ans.

Et, comme je l’ai dit, une partie du bagage ­génétique des dénisoviens s’est transmise aux populations humaines modernes. On en retrouve des traces en Asie, mais surtout dans le Pacifique. Cela suggère que les dénisoviens n’ont pas seulement vécu en Sibérie, où nous avons découvert leur existence, mais qu’ils occupaient une bonne partie du continent asiatique, y compris tout autour du Pacifique. Nous pensons que c’est dans cette région qu’ils ont rencontré des humains modernes et qu’ils se sont métissés avec eux. Ce qui expliquerait le fait que l’on retrouve la trace de leur bagage génétique dans des populations contemporaines de ces régions.

Revenons en 1995, quand vous avez commencé à travailler sur Neandertal, à cette époque vous avez annoncé qu’il n’y avait pas eu de mélange entre Neandertal et l’homme moderne, Homo sapiens. Aujourd’hui, vous affirmez le contraire. Vous vous étiez trompé  ?

Svante Pääbo Oui, c’est vrai. À l’inverse de l’interprétation uniquement morphologique et anatomique des fossiles qui donne lieu à toutes sortes d’interprétations floues ou contradictoires, avec l’ADN, nous avons des preuves irréfutables de nos mélanges. La génétique est une grande force pour nous, elle nous permet de mettre nos théories à l’épreuve  ! En 1995, nous n’avions pu cartographier que l’ADN contenu dans de petits ­organites de la cellule, les mitochondries. Et encore nous n’en avions qu’une petite partie, or, cet ADN des mitochondries est transmis exclusivement par les femmes. Depuis 2010, nous avons reconstitué l’ADN contenu dans le noyau des cellules, l’ADN nucléaire, qui est, lui, transmis par les deux parents. L’analyse du génome nucléaire raconte une histoire beaucoup plus complète et précise que celle de l’ADN mitochondrial  : un héritage, une transmission, même faible, vers Homo sapiens. Je crois que le fait que nous ne possédons pas d’ADN mitochondrial en commun avec les néandertaliens est un hasard. Cet ADN se transmet exclusivement par la mère. Donc les femmes Neandertal qui n’ont eu que des garçons n’ont pu le transmettre, et leur ADN mitochondrial s’est complètement perdu. C’est probablement pour cela que l’on n’en a pas retrouvé dans notre propre ADN.

Il y a quelques mois, vous avez annoncé qu’un Homo sapiens mort il y a 40 000 ans avait un ancêtre Neandertal de moins de six générations auparavant. Neandertal et Homo sapiens se sont-ils donc mélangés à chaque fois qu’ils se sont rencontrés  ?

Svante Pääbo Comment le saurais-je  ? Peut-être pas tous les samedis soir, il ne faut sans doute pas exagérer  ! Ils ont eu de multiples rencontres et occasions de se mélanger, j’en suis certain. Et ce métissage est très récent, nous estimons qu’il s’est produit dès que les premiers humains modernes sont sortis d’Afrique  : dès leur arrivée en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, des mélanges ont eu lieu entre il y a 60 000 et 40 000 ans.

Vous avez démontré que les Asiatiques actuels avaient plus d’héritage néandertalien que les Européens, que les Africains n’en ont presque pas du tout, et que les habitants de l’Océanie ont plus d’héritage dénisovien que les autres populations du monde  : cela signifie-t-il que vous estimez qu’il existe différentes espèces humaines  ?

Svante Pääbo Vous connaissez la mauvaise ­réputation de Neandertal, qui a longtemps été considéré comme un abruti à cause de la forme de son crâne… Lorsque nous avons publié notre article annonçant notre mélange avec Neandertal, l’hebdomadaire Jeune Afrique a publié un ­commen­taire très intéressant qui signifiait, en résumé  : «  Maintenant nous comprenons mieux pourquoi les Européens sont agressifs, indélicats et antipathiques  : cela vient de leurs gènes néandertaliens  !  » La notion d’espèce, ou de «  race  » pour reprendre un terme hélas trop galvaudé par certain-e-s, n’a aucun sens. Elle est purement idéologique.

Mais alors, s’il y a eu autant de mélanges…, pouvons-nous considérer que les Neandertal, les dénisoviens et les Homo sapiens sont tous de la même espèce  ?

Svante Pääbo Je pense que les classements sont purement académiques et sans intérêt  : la ­discussion autour de ce qu’est une espèce, une appartenance humaine, n’a pas de sens. Nous évitons de parler d’espèces et de donner lieu à des débats stériles et interminables. Le terme de race est ridicule, il traduit soit l’obsession de certains profs poussiéreux qui souhaitent mettre dans des cases les individus, soit des idéologues qui veulent instrumentaliser la science. La notion de race relève d’un mode de pensée archaïque  !

Puis-je revendiquer être une «  sapiens-Neandertal un peu dénisovienne  »  ?

Svante Pääbo Si vous n’avez pas d’ancêtre asiatique, vous êtes seulement une sapiens-Neandertal  !

Votre travail permet-il d’expliquer pourquoi il n’existe aujourd’hui plus que des Homo sapiens avec un peu de bagage génétique néandertalien ou dénisovien  ?

Svante Pääbo Non, je ne sais pas vraiment pourquoi ces deux groupes ont disparu, je pense que c’est lié au comportement de l’homme moderne. Si, à l’avenir, nous réussissons à décrypter le ­comportement potentiellement lié aux gènes des humains modernes et ce qui les pousse à agir de certaines façons, peut-être serons-nous en mesure de mieux comprendre pourquoi ils ont subsisté tandis que les autres ont disparu. Cela peut être une raison similaire à celle qui provoque ­l’extinction actuelle des orangs-outangs  : le comportement humain avec le défrichage des forêts, par exemple…

Vous avez récemment annoncé que vous aviez reconstitué de l’ADN d’hommes fossiles anciens de 430 000 ans  ? Jusqu’à quelle profondeur temporelle pensez-vous qu’il serait possible d’aller  ?

Svante Pääbo Je ne pense pas qu’il soit possible de réaliser ce travail sur des vestiges datant de plus d’un million d’années. D’être parvenu à analyser de l’ADN de 430 000 ans est déjà exceptionnel  : il faut qu’il y ait suffisamment de vestiges à analyser et que les conditions de préservation des ossements soient impeccables… Mais dans tous les cas, je doute fort que l’on puisse aller au-delà d’un million d’années.

Quels sont vos futurs projets  ?

Svante Pääbo Justement, de remonter encore plus loin dans le temps  ! Je souhaiterais parvenir à étudier et cartographier le génome des ancêtres des néandertaliens ainsi que comprendre les raisons pour lesquelles ce sont les humains modernes qui ont survécu alors que les autres formes de préhumains ont disparu. C’est un projet passionnant, nous nous efforçons d’analyser ces variations génétiques qui ont fait de l’homme moderne ce qu’il est.

Un exemple, nous avons ­intégré des gènes dans des cellules de souris pour étudier leur comportement. Et nous avons notamment observé des changements intervenants au niveau d’un gène, changements intervenus avant la séparation entre Homo ­sapiens et Neandertal, un gène spécifique qui est lié au développement du langage chez l’homme. Nous étudions ­actuellement les capacités d’apprentissage des souris à la suite de l’insertion de ce gène dans leur patrimoine ­génétique… et nous avons constaté qu’elles se débrouillaient mieux que leurs consœurs non modifiées  : elles semblent plus malines  ! Tout cela reste déroutant.

Entretien réalisé par
 Anna Musso, L’Humanité

(1) Neandertal, à la recherche des génomes perdus, de Svante Pääbo. Éditions Les liens qui libèrent, 394 pages, 24 euros. 
 (2) Directeur du département de génétique 
à l’Institut Max-Planck d’anthropologie 
évolutionniste à Leipzig, en Allemagne.

La saga Neandertal réécrite. Il y a 7 à 9 millions d’années  : notre lignée 
se sépare de celle du chimpanzé.
Il y a 765 000 à 550 000 ans  : notre lignée 
se sépare de celle de Neandertal.
Il y a 30 000 ans  : la lignée de Neandertal s’éteint.
1856  : découverte d’un fossile de Neandertal, en Allemagne.
1995  : première analyse ADN d’un Neandertal.
2010  : première séquence ADN complète 
d’un Neandertal, et preuve qu’il nous a légué une partie de ses gènes.
2015  : séquence ADN complète d’un ancêtre de Neandertal de 430 000 ans.


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