Les relations douteuses de la politique extérieure nord américaine et du djihadisme

mercredi 2 décembre 2015.
 

Avant même les attaques terroristes abominables à Paris et au Mali, le but des USA dans leur "guerre contre le terrorisme" était de combattre "le terrorisme islamique" et le "djihadisme". Or les faits démontrent qu’à chaque fois que les USA et ses alliés ont lancé une guerre au Moyen Orient, celle ci fut suivie non d’un affaiblissement du djihadisme mais au contraire de leur extension importante.

Examinons la suite des évènements :

* Avant l’invasion de l’Irak en 2003, les forces de type Al Qaeda/Daech étaient marginales et impuissantes dans ce pays - aujourd’hui Daesch contrôle de grandes parties du territoire irakien.

* Avant les bombardements de l’OTAN sur la Libye, les forces de type Daesch et Al Qaeda n’avaient aucun pouvoir en Libye, maintenant elles contrôlent de grandes parties du territoire libyen.

* Par ailleurs, non seulement les djihadistes contrôlent la plupart du territoire libyen mais ils utilisent cette domination pour fournir des armes, et donc renforcer, les mouvements djihadistes tels que Boko Haram au Nigeria, Al Shabaab en Somalie, Al Qaeda au Maghreb Islamique et Al Mourabitounin au Mali.

* sous l’ancien régime d’Assad, les djihadistes étaient impuissants en Syrie, aujourd’hui, d’abondantes preuves démontrent que l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie, tous alliés des USA ont activement soutenu et aidé matériellement Daesch, tandis que les organisations djihadistes s’emparaient d’une partie importante de la Syrie

Quand dans les faits, les résultats d’une politique divergent à ce point, et de façon répétitive, de l’objectif initial affiché, quand au lieu de vaincre le djihadisme tel que les USA le proclamaient, on assiste à son renforcement, il est nécessaire d’analyser de près ce qui se passe à chaque fois. Comme dit l’adage "les faits sont plus éloquents que les paroles". Il importe donc de distinguer la réalité, du mythe de la soit disant "guerre contre le terrorisme" des USA.

Afghanistan

Commençons logiquement par l’origine du djihadisme en Afghanistan. Dans un interview, le conseiller national américain à la sécurité, Zbigniew Brzezinski a clairement expliqué la politique américaine au début de la guerre en Afghanistan. Cela permet d’établir précisément la date du 3 juillet 1979 - date d’une directive secrète du Président Carter - comme celle du point de départ du djihadisme moderne. Etant donné son importance et le rôle direct de Brzezinski, il vaut la peine de citer dans le détail cet interview du Nouvel Observateur, 15-21 janvier 1998.

Question : L’ancien directeur de la CIA Robert Gates l’affirme dans ses Mémoires (From the Shadows) : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidines afghans six mois avant l’intervention soviétique. A l’époque, vous étiez le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité ; vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire. Vous confirmez ?

Zbigniew Brzezinski : Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidines a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eût envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979. Mais la réalité, gardée secrète jusqu’à présent, est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime pro-soviétique de Kaboul. Et ce jour-là, j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.

Question : Malgré ce risque, vous étiez partisan de cette “covert action” (opération secrète) . Mais peut-être même souhaitiez-vous cette entrée en guerre des Soviétiques et cherchiez-vous à la provoquer ?

Brzezinski : Ce n’est pas tout à fait cela. Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.

Question : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant, il y avait un fond de vérité... Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?

Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : “Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam.” De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique. Brezezinski souligne alors l’attitude des USA envers le djihadisme.

Question : Et vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ?

Brzezinski : Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?

Notez la logique limpide de Brzezinski. Les USA préféraient avoir affaire à des terroristes djihadistes islamistes, des Talibans et quelques excités musulmans que d’avoir à faire face à un Etat. Cette logique de realpolitik a concerné non seulement l’Union soviétique, mais l’Irak de Saddam Hussein, la Libye de Khadaffi, et la Syrie d’Assad. Elle explique bien la succession des évènements qui a suivi - "les faits sont plus éloquents que les paroles".

L’Etat irakien a été détruit par l’invasion de 2003, engendrant une situation où avant l’invasion, Daesch et El Qaeda n’avaient aucun pouvoir alors que maintenant ils y sont puissants. Les bombardements de l’OTAN ont détruit l’Etat en Lybie - avant cela Daech était impuissant, maintenant ils y sont puissants. Avant la guerre contre Assad, Daech était impuissant en Syrie, maintenant il y est puissant. Contrairement aux Etats qui y existaient antérieurement, les "quelques excités musulmans", Daech et autres groupes similaires n’ont pas la puissance nécessaire, par le terrorisme, pour menacer les intérêts américains.

Les personnes qui sont mortes dans les attaques terroristes à Paris, au Mali ou dans l’avion russe au dessus du Sinaï ont payé de leurs vies le raisonnement logique de Brzezinski. Comme les populations civiles apprécient peu d’être tuées juste pour des raisons de logique, il faut le cacher. C’est pourquoi on a affaire d’un côté à une rhétorique verbale sur "la guerre contre le terrorisme", alors que la réalité des actions continuelles des USA n’ont fait que renforcer le djihadisme.

On retrouve la même logique à l’oeuvre ailleurs, par exemple dans le "deux poids deux mesures" pour le traitement du terrorisme à Xinjiang.

En résumé, il n’y a pas de contradiction entre les déclarations américaines sur la "guerre contre le terrorisme" et ses conséquences réelles, à savoir le renforcement du djihadisme - elles ne sont que les deux faces d’une même pièce de monnaie.


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