Relégitimer la République aux yeux des plus jeunes

mercredi 2 décembre 2015.
 

par Jean-Pierre Rosenczveig Président du Bureau international des droits des enfants

Des mots vont être 1 000, 100 000 fois prononcés – horreur, massacre, criminels, assassins, abjection, barbarie, peur, vengeance, etc. – pour que nous ne les reprenions pas. Tout cela pour essayer de cerner ce sur quoi nous avons prise, afin qu’une telle abomination ne se renouvelle pas. Bien sûr, il nous faut exterminer Daech. Si, d’ordinaire, on avance que la diplomatie doit savoir prendre le pas sur les armes, en l’espèce c’est bien une guerre impitoyable sous toutes ses formes qui s’impose, y compris par des moyens non conventionnels dans ce qui est une situation non conventionnelle. Rien n’est négociable. Nous n’en sommes qu’au début. Des coups vont être assénés  ; l’ennemi est puissant et organisé, même si sa stratégie actuelle trahit aussi sa faiblesse. N’a-t-il pas commis les agressions de trop (l’Airbus russe, les attentats du Liban et de Paris) contribuant à sa perte en devenant la cible prioritaire de la communauté mondiale  ? Contrer sa stratégie, c’est aussi avoir prise sur ceux qu’il tente de mobiliser dans notre pays pour venir faire le djihad ou désormais pour commettre des attentats ici.

Par rapport à janvier où il s’en est pris à des symboles – les journalistes mécréants et les policiers relaps –, n’a-t-il pas commis l’erreur d’apparaître explicitement pour ce qu’il est  : un mouvement de truands qui a détourné la religion. Les musulmans de France ne se pas reconnaîtront dans Daech et son combat. Ils ne feront pas l’ombre d’un pas vers lui. Il nous faut tous éviter de tomber dans le panneau consistant à assimiler les musulmans de France à Daech et à la guerre civile qu’il joue. Nous devons détourner des jeunes, hommes ou femmes, de s’engager dans ses légions. Certains ont franchi le pas, voire ont déjà trouvé la mort. Parmi eux, des jeunes en déshérence, d’autres au contraire bien insérés. Leurs points communs, un profond sentiment d’injustice dont leur communauté serait victime et le souci de venir en aide à leurs frères. Il faut certes punir ceux qui, un temps emportés par la vague, reviennent en France – ils ne sont pas irresponsables –, mais il faudra ensuite, comme pour tout jeune délinquant, leur offrir d’autres perspectives de vie.

En vérité, il nous revient plus que jamais parler de la République et de la relégitimer aux yeux de chacun. Tout n’est pas pourri, tout n’est pas joué. Il faut revisiter l’histoire, notamment celle des luttes ouvrières contre l’exploitation et les victoires obtenues, et pas seulement les coups reçus. Les ouvriers se sont battus pour la loi  ; ils ont reçu la charge de l’armée et nombre sont tombés sur des barricades  ; la justice en a envoyé en prison  ; et ils ont gagné. Ils se sont ensuite battus pour l’application de la loi votée. Et ainsi de suite.

La laïcité n’est pas montée contre la religion  ; bien au contraire, elle entend permettre à chacun de vivre sa foi, y compris de ne pas croire. La séparation du temporel et du spirituel est un atout, pas une tare. Les catholiques ont eu du mal à l’admettre mais l’ont acceptée, en 1905.

La démocratie, spécialement la nôtre, trop longtemps endormie sur ses lauriers quand elle aurait dû revisiter ses acquis et les expliquer aux dernières générations, et assumer ses contradictions, ses limites. L’Union européenne (UE) est certes contestable, mais elle a mis fin au conflit franco-allemand avec trois guerres en quelques décennies. Qui lui en est gré  ?

En vérité, elle est fragile. Tout simplement, dans cette période de surmédiatisation, les injustices sont plus visibles que jamais. En tout cas, elles sont insupportables. Et les réponses ne sont pas aussi évidentes à mettre en œuvre. De là à jeter le bébé avec l’eau du bain  !

Plus que jamais, il nous faudra accepter de partager un gâteau qui se restreint, avec plus de personnes autour de la table qui entendent y accéder. Si nous ne le partageons pas, la table sera renversée. En jouant de la crise et des injustices, Daech veut cliver. Donnons de l’espoir.

L’attitude de l’Union européenne et des pays qui la composent face aux vagues de migrants qui déferlent n’augure pas d’un infléchissement de la vieille Europe, enfermée dans son confort, ses acquis et ses valeurs. Sans compter ses erreurs. On est légitime à avoir peur – et la peur est un signe de vie – dans la bataille qu’on nous a imposée  ; on se doit de ne pas y céder et rester lucide  ; il faudra opposer une contre-violence à la ­violence et ne pas faire preuve d’angélisme  : des gens sont en France qui n’ont rien à y faire, certains ne partagent pas nos valeurs communes et sont prêts à porter des coups à ce qui est essentiel  : une certaine idée de la vie. Dans le même temps, il nous faut évacuer le terreau sur lequel l’ennemi veut prospérer. La prise en compte des différentes jeunesses de France est une priorité afin que, à terme, celles-ci se réapproprient notre République.


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