Guyane : L’or maudit des Wayanas

vendredi 4 décembre 2015.
 

En Amazonie, les populations amérindiennes survivent dans les pires conditions. Sur un territoire qu’il revendique, l’État français reste inactif.

Comme partout où l’on trouve de l’or, au XIXe siècle, une ruée déferle sur les bords du fleuve. Et, avec les prospecteurs, viennent les maladies. Jusqu’au début du XXe siècle, le «  choc microbien  » a presque fini d’achever des populations millénaires. Pour les survivants, c’est l’acculturation plus ou moins forcée. Habitués d’une activité vivrière, certains se mettent à travailler pour les colons  : piroguiers, guides… Politiques d’évangélisation, de scolarisation, puis à partir de 1965 d’acquisition de la citoyenneté française, souvent à l’insu des populations, avec francisation du prénom et tout ce qui s’ensuit. Une perte de repères, une incompréhension et un désarroi profond pour des peuples qui n’avaient pour ainsi dire pas changé de mode de vie depuis des siècles.

Un taux de suicide dix à vingt fois supérieur à celui de la métropole

Résultat  : «  Un véritable mal-être au sein de ces communautés qui retournent aujourd’hui l’arme contre eux  », constate Alexandra
 Mathieu, fondatrice de l’association Actions pour le développement, l’éducation et la recherche (Ader) en Guyane, qui sort ces jours-ci avec le journaliste spécialiste des questions de santé Yves Géry et le photographe Christophe Gruner, un livre-alerte sur la situation de ces populations (1). Un mal-être qui se concrétise dramatiquement en une statistique  : le taux de suicide des Amérindiens du Haut-Maroni est dix à vingt fois supérieur à celui de la métropole. Malheur commun aux peuples indigènes minoritaires colonisés. Mais en Guyane la malédiction de l’or s’acharne. Depuis la redécouverte de pépites à Dorlin en 1993, une nouvelle ruée a attiré dans la région des
orpailleurs clandestins, en provenance du Suriname ou du Brésil (garimpeiros). Au-delà du pillage du métal précieux et de la destruction des forêts, c’est un mal d’une tout autre ampleur qui frappe les Amérindiens. Pour solidifier l’or, les orpailleurs utilisent en grande quantité du mercure, qu’ils rejettent ensuite directement dans le fleuve dont les poissons sont pêchés et consommés. En 1994, une première campagne de prélèvements et d’analyses de cheveux organisée par l’Inserm démontre que le taux d’imprégnation des Amérindiens dépasse de loin le seuil des 10 microgrammes maximaux, au-delà duquel, selon l’OMS, la santé des personnes est menacée. Une contamination qui prend la forme d’altérations neurologiques, frappant aujourd’hui un enfant sur quatre. Une étude de 1999 en a objectivé les symptômes  : champ et acuité visuels réduits, réflexes osthéotendineux amoindris… Affluant toujours plus nombreux, les orpailleurs clandestins doublent aujourd’hui la population amérindienne. Et amènent avec eux de nouveaux fléaux, dans leurs camps devenus de vraies petites villes  : prostitution, crime organisé, violents règlements de comptes. Leurs propres terres sont devenues menaçantes pour les populations. Les femmes ne rejoignent plus seules les abattis où elles pratiquent traditionnellement la culture sur brûlis. Face à ce scandale humanitaire, l’État français n’agit pas, ou beaucoup trop peu. «  Quand j’ai été invité par les institutions pour parler du problème du mercure, la seule réponse a été «  arrêtez de manger du poisson  », relate Aïkumale Alemin, Wayana en pointe du combat. Chaque jour, des pirogues transportent des bidons d’essences vers les camps d’orpaillages, sous les yeux des quelques gendarmes impuissants. Pire  : depuis 2005, plus aucune étude scientifique portée par l’État, via l’Inserm par exemple, n’a été publiée, comme si, en ne regardant pas le drame, il cesserait de se produire. Avec l’avocat William Bourdon, président de Sherpa, deux organisations guyanaises, l’Organisation des nations autochtones de Guyane (Onag) et l’Association Solidarité Guyane (ASG), ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Cayenne. Plus précisément une «  action en responsabilité contre l’État français du fait de la carence fautive de l’administration  ». Un recours que l’avocat fonde «  sur une jurisprudence qui n’a cessé de se développer depuis vingt ans en écho avec les revendications citoyennes  : l’idée que l’administration, concernant les grandes nuisances à la santé publique, est débitrice d’une obligation d’agir.  » Une action qui peut durer. Pour le moment, le préfet a demandé un délai pour présenter son mémoire. Mais il faudra bien trouver des solutions durables. «  On peut imaginer qu’un jour la France donne des droits fonciers et crée des zones où le droit coutumier amérindien prime sur le droit de la République  », estime Me Bourdon. Et dans l’idéal, un jour, la France ratifiera la convention 169 de l’Organisation internationale du travail, seul instrument juridique existant au niveau international reconnaissant les droits des populations indigènes, comme l’ONU l’exige de notre État.

La France croit trop souvent être un hexagone. Presque systématiquement sortis des statistiques, oubliés des politiques publiques, ses départements, régions ou autres collectivités d’outre-mer ne font parler d’eux que quand ils sont frappés par les catastrophes naturelles ou quand ils sont agités de mouvements sociaux. Mais, sur ces territoires, il y a encore plus oublié, plus méprisé par les pouvoirs publics, qui pourraient bien néanmoins dans les prochains mois être mis face à leurs responsabilités. En Guyane, dans la région du Haut-Maroni, vivent 9 000 Amérindiens, de différentes populations  : Wayana, Wayampi, Teko… des peuples premiers sur leurs terres ancestrales, frappées par une malédiction  : l’or qu’elle recèle.

Adrien Rouchaléou, L’Humanité

(1) Les Abandonnés de la République. 
Éditions Albin Michel, 352 pages, 22,50 euros.


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