Le néofascisme est un produit de la peur

mercredi 16 décembre 2015.
 

Le néofascisme est un produit de la peur. Des peurs. Peur du chômage, de la précarité et de la pauvreté. Peur de la détérioration économique, de la mondialisation, de l’Union européenne. Peur des migrations, du terrorisme, de l’insécurité, du déclin. Peur écologique. Peur de l’avenir. Fondées ou non, toutes ces peurs se mêlent et envahissent la société. Elles poussent au repli sur soi, au nationalisme, à la haine de l’autre, aux solutions autoritaires. Dans toute l’Europe, la montée de l’extrême droite est ainsi directement liée à l’approfondissement d’une «  crise  » multiforme qui dure maintenant depuis quarante ans sans qu’aucune force politique ne paraisse capable d’y apporter de solutions. Il n’y a pas de «  plafond de verre  » à cette progression. Elle ne dépend que de celle de la désespérance sociale  : plus la situation sera ressentie comme insupportable par les citoyens, plus ils seront nombreux à franchir le pas d’un vote qui peut leur paraître comme la seule solution à ne pas avoir été tentée, et qui, à leurs yeux, se donne au moins pour objectif de briser le «  système  » qu’ils rendent responsable de leur situation. Le vote d’extrême droite n’est donc ni un vote d’humeur ni un vote de seule protestation. C’est un choix déraisonnable, mais «  raisonné  ». D’une certaine façon, c’est le dernier stade «  démocratique  » – c’est encore un vote – d’une évolution qui conduit des citoyens vers le rejet pur et simple du système institutionnel et des valeurs républicaines. Faute d’une alternative de progrès humain, le champ politique se polarise ainsi de plus en plus entre un néolibéralisme discrédité et la solution en trompe l’œil du néofascisme. Confrontation d’autant plus dangereuse que la droite et la social-démocratie font le choix absurde et insensé de tenter de retenir leurs électeurs en reprenant et donc en cautionnant les thèmes de l’extrême droite. Après la stigmatisation de l’islam au nom de la laïcité, la réponse sécuritaire et belliciste aux attentats terroristes valide dans les faits l’idée que la réduction des libertés, l’autoritarisme et même la guerre seraient des choix nécessaires. Dans une telle situation, la seule invocation de la République ne fait plus sens et aggrave le face-à-face mortifère dans lequel le rejet du néolibéralisme fait grandir l’influence du néofascisme.

Le scénario catastrophe qui se profile ne peut être conjuré qu’en opposant l’espérance à la peur, ce qui suppose que les forces qui combattent le néolibéralisme parviennent enfin à porter ensemble durablement, et ainsi rendre crédible, une véritable alternative. Là est le problème. Sur le fond, elles partagent déjà beaucoup  : la volonté de lier le social et l’écologique, la critique de la double domination du marché et de l’État, l’aspiration à développer le «  commun  », l’exigence de mettre fin au pouvoir absolu des actionnaires sur les entreprises, le choix d’une démocratie résolument citoyenne, le refus d’une Europe fondée sur la «  concurrence libre et non faussée  », etc. Mais tout cela demeure en l’état confus et inaudible, tant la compétition politique et la pression électorale poussent à mettre en avant ce qui les sépare et les oppose. Le danger est désormais trop pressant. Elles doivent inventer, jusqu’au niveau européen, la façon de se rassembler sur l’essentiel, tout en respectant leurs différences. Ainsi dégageront-elles les lignes de force et finalement le sens profond d’un projet d’émancipation humaine adapté à notre temps, capable à nouveau de faire rêver et de mobiliser. Ce n’est certainement pas facile. Et cela demande à chacune beaucoup de courage, de hauteur de vue et d’imagination politiques. Mais c’est aujourd’hui la condition urgente pour redonner un sens au combat démocratique.

par Patrice Cohen-Séat, Président d’Espaces Marx


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