Tous soignés en 2016 ? « Pas sûr », s’alarme la Ligue contre le cancer

samedi 26 décembre 2015.
 

L’association alerte contre les « prix exorbitants des médicaments innovants » et les menaces qu’ils font peser sur l’existence même de notre système de santé. Et avance quelques propositions.

C’est une alerte lancée au milieu d’un « silence assourdissant ». Celui qui entoure le risque d’ « explosion de notre système de santé » que font peser les « prix exorbitants des médicaments innovants » pratiqués par l’industrie pharmaceutique. La problématique commence à être connue des acteurs de santé, et en particulier des associations de malades, mais elle l’est encore peu de l’opinion publique. C’est pour combler ce manque, mais aussi peser sur l’action - jugée « timide » - des pouvoirs publics en la matière, que la Ligue contre le cancer a donc sonné l’alarme mardi et présenté ses propositions. « Pourrons-nous tous être soignés en 2016 ? » interroge l’association chargée de porter la parole des malades. « Nous craignons que ça ne soit plus le cas, répond la présidente de la Ligue, Jacqueline Godet. Nous avons déjà des témoignages de patients qui montrent que les chances de survie ou de guérison pour telle ou telle maladie ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. Et désormais aussi des cas d’établissements qui disent ne plus pouvoir financer certaines thérapies innovantes, trop coûteuses. » La présidente de la Ligue contre le cancer cite même le cas d’une famille à qui l’on aurait « conseillé d’aller acheter son traitement en Suisse, car l’hôpital, lui, ne pourrait lui payer »…

Tri des malades, évaluation monétaire de la valeur d’une vie humaine, déremboursement contraint de molécules pourtant utiles… C’est une jungle – celle que vit aujourd’hui la Grande-Bretagne - que nous promet la gestion par le seul marché de l’accès aux médicaments novateurs. « Jusqu’à la fin du XXe siècle, le prix des médicaments dépendait des efforts de recherche qui avaient été faits pour le mettre au point, rappelle le professeur Jean-Pierre Vernant, administrateur de la Ligue. Ainsi, quand on a découvert pendant les années 1950 des traitements contre la tuberculose, ou mis au point le vaccin contre la polio, ils ont été mis sur le marché à des prix raisonnables.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : le prix des médicaments innovants, comme le Sovaldi, contre l’hépatite C, ne dépend plus que d’un rapport de forces entre le laboratoire et les Etats. » Résultat : sa cure est facturée 67000 dollars aux Etats-Unis, 41000 euros en France - après négociation entre le ministère de la Santé et son producteur, le labo Gilead -, mais aussi 4000 euros en Thaïlande et même 700 euros en Egypte. « Il n’y a pas de règle d’or fixant la part de ses richesses nationales qu’un pays peut consacrer au financement de la santé, pose le généticien Axel Kahn, président du Comité Ethique et Cancer, initié par la Ligue. Ce doit être le résultat d’un débat démocratique. Mais si la santé est effectivement devenue un marché, elle reste aussi un droit de l’homme. On ne peut donc pas fixer le prix d’un médicament comme on détermine celui d’une voiture ou d’une montre de luxe. »

La montre, effectivement, chacun peut s’en passer – sauf peut-être certains publicitaires aujourd’hui plus très à la mode. En revanche, les personnes atteintes de leucémie myéloïdes chroniques ne peuvent faire l’économie du Glivec (Novartis), ce médicament qui guérit environ 80% des malades. « Son prix avait d’abord été fixé à 30.000 dollars par an, aux Etats-Unis. Mais dix ans plus tard, il était de 90.000, parce que le marché avait accepté cette hausse… », raconte Jean-Paul Vernant, également professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Contre le discours des laboratoires qui assurent que les tarifs pratiqués sont le résultat de leurs efforts de recherche (couronnés de succès ou pas d’ailleurs), le médecin rappelle quelques chiffres éclairants : « le budget ‘recherche et développement’ des laboratoires, c’est moins de 15%, parfois même moins de 10%, de leur chiffre d’affaires. Alors que le marketing, c’est 30%... » Et Jean-Paul Vernant de pointer aussi cette fâcheuse tendance de l’industrie pharmaceutique à mettre sur le marché de pseudo nouveautés, quand leur molécule tête de pont est sur le point d’être « génériquée ».

Pour contrer ces pratiques douteuses, la Ligue contre le cancer avance donc plusieurs propositions. Elle suggère ainsi de créer un observatoire indépendant chargé d’étudier l’équité d’accès aux traitements innovants en cancérologie, mais aussi un site internet qui décomposerait exactement le prix de chaque médicament, en distinguant la part de la recherche, celle de la production ou celle de la publicité par exemple. Bref, une « transparence totale » que les labos sont loin d’appeler de leurs vœux. L’association réclame aussi une action plus ferme contre les conflits d’intérêts, qui empoisonnent encore ce dossier et favorisent le « grand silence actuel sur un débat sociétal pourtant majeur ». Elle demande enfin « la mise en place de mécanismes d’adaptation des prix qui tiennent compte de critères liés à l’utilisation de ces médicaments (nombre de patients, efficacité… ) ». Des suggestions de bon sens, mais qui sont encore loin d’être la règle aujourd’hui. Interpellée, l’industrie pharmaceutique n’a pas tardé à répliquer au sévère constat dressé par la Ligue contre le cancer. Dans un communiqué transmis en milieu d’après-midi mardi, le Leem, qui fédère l’ensemble des entreprises du médicament, a nié toute volonté de « confisquer le débat » sur le sujet. Et promis une « initiative » prochaine avec « l’ensemble des acteurs du système – patients, professionnels de santé, industriels, acteurs de la protection sociale – pour engager une réflexion sur la réforme structurelle de notre système de soins ». Pratiquer des tarifs raisonnables ? Cette promesse-là semble encore bien lointaine. Pourtant, l’urgence est là. « Les dépenses liées aux médicaments anticancéreux représentaient 24 milliards de dollars en 2004, 40 milliards en 2008 et 80 milliards en 2014, relève Jean-Paul Vernant. En 2020, on prévoit que ce chiffre atteindra les 155 milliards de dollars. Quel système de santé pourra supporter cela ? »

Alexandre Fache, L’Humanité


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