Déchéance de nationalité, Corse : La France est à cran

samedi 2 janvier 2016.
 

Qu’il s’agisse de déchéance de la nationalité ou de la situation en Corse, tout débat tourne à l’aigre, de là à l’acrimonieux et enfin à la pure violence morale.

Comment le Premier ministre, pris la main dans le sac de l’extrême droite, ose-t-il déclarer que la gauche « s’égare dans les grands principes » ? Comment peut-on « s’égarer » dans les grands principes républicains ? Je dois en déduire que Valls ne comprend pas ce que sont les « grands principes » républicains, comment ils forment un tout, une cohérence où chaque partie est liée aux autres pour former une doctrine définissant de façon précise et singulière ce qu’est le Peuple, la Nation et la République. Et le cas particulier de Manuel Valls ou de François Hollande rappelle une évidence : il n’y a pas de République sans républicain. Si l’exemple du mépris pour les principes fondateurs de la nation républicaine des Français vient du sommet de l’État, on ne doit pas s’étonner qu’il le soit ensuite publiquement par tous ses ennemis.

Non, Manuel Valls, nous ne nous égarons pas dans les grands principes. Nous nous égarerions sans eux. C’est bien pourquoi de mon côté je vois plus d’un trait commun entre le débat sur la déchéance de la nationalité et les empoignades sur les graves évènements en Corse. Pour moi, « on est chez nous » là où la loi s’applique à tous et où tous sont égaux devant la loi. La loi, même injuste, est la volonté du peuple et elle s’applique jusqu’à ce que le peuple la change. Ceci vaut condamnation de ceux qui agressent les pompiers à Ajaccio comme de ceux qui prétendent punir collectivement toute la population d’un quartier. Pour avoir dénoncé les violences d’Ajaccio, et rappelé que cette première en France intervient dans une ambiance locale spécifique, je me vois reprocher une mise en cause collective « des Corses ». Comment peut-on à la fois me reprocher de ne pas reconnaître le peuple corse et de l’incriminer par une généralisation ? Comment croire sérieusement que j’imagine une population française entière xénophobe ? Comment pourrais-je sans cesse dénoncer que l’on essentialise la nationalité comme je le fais contre le concept de « Français de souche » et reproduire cette sottise dans l’analyse du cas particulier d’un territoire français ?

C’est évidemment une ruse rhétorique de mes adversaires. M’accuser de dénigrer le « peuple corse » est une autre manière de donner à celui-ci une existence victimaire sympathique pour effacer la culpabilité des actes racistes et de leurs auteurs individuels. J’y sens le traditionnel fumet ethniciste relooké en élan compassionnel. Cette méthode prolonge en direction des « Corses » la culpabilité collective imputée aux habitants du quartier terrorisé. Or, pour moi, la responsabilité d’un acte est toujours individuelle. Et si j’admets, comme je le fais moi-même souvent dans l’analyse, que les conditions environnantes sociales culturelles et autres concourent évidemment à la formation des actes individuels, celles-ci ne peuvent fournir mieux que des circonstances atténuantes. Jamais des excuses ni des légitimations.

Je demande que l’on comprenne mon point de vue dans sa cohérence républicaine. On peut, de bon droit, ne pas la partager et même la combattre. Mais pourquoi se sentir obligé d’y ajouter des incriminations personnelles ? Pour moi il n’y a pas de « peuple corse ». Pour la raison qu’en République il n’y a qu’un seul « peuple », celui qui fait ensemble la loi qui s’applique à tous. Cette définition universaliste du peuple ne vise donc pas spécialement les Corses, les Picards, les Jurassiens ou qui vous voudrez. Elle s’applique à la définition de la République. Cela n’empêche évidemment pas de dire que le corse est une langue, qu’elle doit être librement enseignée et pratiquée sans créer de droits spécifiques à ses locuteurs bien sûr, qu’il y a une culture et une histoire singulière corse qui doivent être respectées et que de très nombreuses personnes s’y sentent intimement liées. Me sentant à la fois méditerranéen et Franc-Comtois, je connais la sensibilité de ces attaches. Mais cela n’a rien à voir avec la définition du peuple politique. L’unité du peuple et de la communauté légale ne peuvent se dissocier. Elles forment la pierre d’angle de la légitimité de la loi. C’est pourquoi si notre République s’est proclamée « une et indivisible », ce n’est pas à ses frontières qu’elle pensait mais surtout au peuple qui la constitue.

Ceci nous ramène à Valls et Hollande et à leur réforme de la nationalité française. Eux vont fabriquer un statut de « Français de souche », à qui on ne peut retirer la nationalité, au prétexte de « punir » des terroristes à qui on pourrait la retirer. Ainsi serait créée la catégorie des Français « étrangers de souche », « les binationaux » fabriqués par la trouvaille de Hollande empruntée aux Le Pen. Mais on va voir, bientôt, que pour les définir il va falloir avancer loin en infamie. Car être binational ce n’est pas un statut. Ce n’est pas autre chose qu’une situation de fait. Il faut donc la prouver. De plus, elle n’est pas toujours établie par la possession concrète de deux passeports. Il va donc falloir que l’on définisse à partir de combien de générations quelqu’un qui reçoit sa deuxième nationalité par le droit du sang dans un autre pays n’est plus considéré comme binational par la France. Le régime de Vichy a essayé de régler ce problème. Donc Valls pourra lui emprunter ses trouvailles. Bon appétit !

Le fond de cette affaire, une fois de plus, est le même que dans tant de polémiques qui nous ont opposés dans le passé à l’extrême droite, aux communautaristes et aux ethnicistes en général. On gagne à en parler ouvertement et clairement plutôt qu’à se livrer à des concours de bien-pensance qui empêchent la réflexion libre et à des incriminations personnelles qui sonnent comme des menaces dont on veut espérer que personne ne veuille l’issue.


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