Le FN c’est la société fermée qui se cadenasse

dimanche 3 janvier 2016.
 

- par Jean-Yves Camus, directeur de l’observatoire des radicalités politiques ( ORAP)

Le sous-entendu implicite de la question serait-il que le Front national est un parti néofasciste  ? Si oui, autant répondre tout de suite par la négative. On ne retrouve en effet en lui aucune des caractéristiques du fascisme historique. Ni la volonté de façonner 
un homme nouveau, ni l’existence d’un parti-milice de masse avec ses «  squadristi  », ni le projet d’un État corporatif, et encore moins d’une économie planifiée et antilibérale, quelles que soient ses proclamations anticapitalistes. Le FN n’est anticapitaliste que lorsque le capital est transnational, anonyme, apatride. Dès lors qu’elle s’incarne dans l’entreprise familiale l’artisanat ou l’aventure personnelle d’un patron de PME «  authentiquement  » français, la supériorité naturelle du secteur privé sur le public, du créateur de richesses sur le fonctionnaire, lui va comme un gant.

Pourquoi rappeler ceci  ? Parce qu’à force de nommer le FN «  néofasciste  », on en finit par oublier que ses électeurs se définissent avant tout comme des gens de droite et que leur volonté première est de chasser la gauche, au sein de laquelle ils ne font pas de détail, du pouvoir. La dimension protestataire du vote FN reste forte mais en France cette attitude de rejet intégral des partis politiques, du «  système  » et de ses représentants, a un nom et une tradition historique de droite  : c’est le bonapartisme, le boulangisme, le poujadisme et toute la lignée des croyants dans «  l’homme providentiel  », qui ne sont pas des dictateurs fascistes, mais des hommes de l’Ordre et de la Réaction.

Dans les motivations du vote FN viennent ensuite les items de l’immigration et de la sécurité, rendus plus partagés encore par la persistance du chômage de masse, le tout produisant un sentiment de déclin national et d’incertitude des repères culturels, que le délitement du sentiment d’appartenance à la classe ouvrière n’a pas peu contribué à aggraver. Le FN n’est pas le fascisme  : c’est l’anomie urbaine, la coupure terrible entre Paris et le reste du pays, ainsi, à l’intérieur des régions, qu’entre une métropole trop puissante et des villes moyennes qui meurent. C’est la société fermée, celle qui se cadenasse culturellement et socialement, dans un vaste mouvement de balancier néoconservateur qui dépasse de très loin l’influence du seul FN.

Si la démocratie est sans aucun doute assez forte pour résister au néofascisme, il n’est pas certain qu’elle soit prémunie contre une évolution qui verrait la forme républicaine et démocratique du gouvernement subsister (élections libres, pluripartisme), tout en changeant de nature. Ce serait alors la «  démocratie illibérale  » qu’incarne aujourd’hui un Viktor Orban, dont il faut rappeler que la formation reste membre du Parti populaire européen, et non d’une quelconque internationale néofasciste.

Dans cette «  démocratie  »-là, la disparition des corps intermédiaires, la discréditation permanente des intellectuels, l’ethnicisation de l’appartenance à la nation, le contrôle de plus en plus strict sur les médias, peuvent garder le titre et l’apparence de la République mais, vu de gauche en tout cas, ce ne sera plus la nôtre. Un des dangers de l’hystérisation du combat politique anti-FN consiste précisément à nous faire oublier que, même s’il ne gagne aucune région le 14 décembre, l’avenir de la démocratie restera dépendant du choix de logiciel idéologique que fera la droite dite 
«  de gouvernement  », sur des questions telles que le droit du sol, la préférence nationale et la définition contractuelle de l’identité française. C’est là le «  socle républicain  ».

Cette tribune fait partie d’un dossier de L’Humanité intitulé : Notre démocratie est-elle assez forte pour résister aux néofascismes ?


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