La République, un chantier de reconstruction pour la gauche

jeudi 21 janvier 2016.
 

La controverse engagée sur le projet d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution montre que c’est à gauche que se situent encore et toujours les ressources pour s’opposer à l’inacceptable, et pour refonder la République en même temps que la gauche se refondera elle-même.

L’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, qui marquent la fuite en avant sécuritaire du pouvoir, sont-ils les réponses « républicaines » adéquates à la soif de liberté, d’égalité et de fraternité qui a saisi les citoyens en cette terrible année 2015  ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

Et pourtant, devant l’incroyable rouleau compresseur de la propagande gouvernementale qui attise la méfiance et la division en martelant l’idée que «  la France est en guerre  », les réponses progressistes au défi lancé par le terrorisme ont du mal à se frayer un chemin dans les consciences. D’où la relative assurance qu’affiche le premier ministre dans sa capacité de trouver une majorité au Congrès du Parlement, comme il le confiait, lundi, aux membres du gouvernement, en observant que «  des débats difficiles traversent aujourd’hui les formations politiques sur le texte de la révision constitutionnelle, plus d’ailleurs sans doute qu’ils ne traversent nos concitoyens  ».

Reste que la politique des sondages (près de neuf Français sur dix approuveraient le projet de loi constitutionnelle proposé, à en croire plusieurs études) ne décourage pas ceux qui plaident pour une autre voie que «  la bunkerisation des esprits et du pays  », selon la formule du chef de file des députés PCF-Front de gauche, André Chassaigne.

À ceux qui voient dans la dilution du clivage gauche-droite dans une «  grande coalition  » une solution qui emprunte d’abord ses références à la droite, voire à l’extrême droite, la fracture suscitée par la proposition de François Hollande d’inscrire, à côté de l’état d’urgence, la déchéance de nationalité dans la Constitution, montre que c’est à gauche que se situent encore et toujours les ressources pour s’opposer à l’inacceptable. S’il existe encore des réticences à droite à voter un texte proposé par un président socialiste, il n’y a rien à attendre du sens de leurs réserves  : Juppé et ses proches réclament «  davantage de déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs d’actes terroristes  », quand ceux de Sarkozy veulent l’étendre aux auteurs de simples délits…

Combats idéologico-culturels à reprendre

La situation est différente à gauche, où les motifs d’opposition ne sont pas à rechercher dans une surenchère sécuritaire, mais dans l’idée globalement partagée que l’avenir de la République ne peut s’écrire qu’en tenant ferme sur les valeurs. «  Toute la République et rien que la République, voilà ce qui doit, plus que jamais, constituer notre seule boussole  », résume le sénateur PCF-Front de gauche, Christian Favier.

Certes, tous ne s’inscrivent pas dans le projet d’une refonte radicale des institutions débouchant sur une VIe République, comme on le propose, entre autres, au Front de gauche ou au mouvement éponyme fondé par Jean-Luc Mélenchon (le Mouvement pour une VIe République, ou M6R). Pour certains, comme le député MRC Jean-Luc Laurent, il suffirait de substituer à la déchéance une mesure «  qui ne crée pas de difficultés nouvelles  : la rénovation de la peine d’indignité nationale  », quand d’autres au PS vont jusqu’à proposer d’étendre la déchéance à tous, quitte à créer des apatrides  !

Pour l’historien Roger Martelli, refondations de la gauche et de la République vont en fait de pair.

Mais, «  quelle que soit la proposition pratique, elle vaudra si elle s’insère dans un travail de long souffle, prévient le codirecteur de Regards. Il y a de patients combats idéologico-culturels à reprendre pour nous sortir de l’obsession de l’identité, du conflit des civilisations ou de l’état de guerre. Il y a du travail de reformulation à construire pour donner un sens nouveau à des valeurs fondamentales, comme l’égalité, la dignité, la citoyenneté, la solidarité. Car ces valeurs ne devraient pas nourrir la nostalgie d’hier mais l’envie d’inventer un demain  ».

Sébastien Crépel, L’Humanité


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