Enrico Berlinguer : Ni capitalisme, ni moscoutisme, ni social-démocratie, l’eurocommunisme

lundi 4 mars 2019.
 

A) Quand il y avait Berlinguer (présentation par Arte)

Leader du Parti communiste italien de 1972 jusqu’à sa mort, en 1984, Enrico Berlinguer a marqué son pays par sa droiture et son courage. Un documentaire en forme d’hommage signé Walter Veltroni, ancien maire de Rome.

Qui était Enrico Berlinguer, cet homme frêle et timide au langage poétique dont le cortège funèbre fut accompagné par un million de personnes ? Plus de trente ans après sa mort, l’évocation de son nom inspire nostalgie et mélancolie. Secrétaire du Parti communiste italien (PCI) de 1972 à 1984, Berlinguer incarne la rupture avec l’Union soviétique. Cet ardent démocrate voulait rénover le communisme et tenta de s’allier avec son ennemi de toujours, la Démocratie chrétienne d’Aldo Moro, en vue d’une gouvernance commune. Ce "compromis historique" a séduit les Italiens, qui ont amené le PCI aux portes du pouvoir (34 % des suffrages aux élections de 1976). Mais l’assassinat de Moro, en 1978, ruine le projet politique de Berlinguer, qui meurt brutalement six ans plus tard, après un meeting à Padoue.

Des étoiles dans les yeux

Plus qu’une biographie classique, Quand il y avait Berlinguer raconte avant tout comment l’action du leader communiste a pu être perçue à son époque. Réalisé par l’ancien maire de Rome Walter Veltroni, qui fut membre du PCI et ne cache pas son admiration envers Berlinguer, ce documentaire passionnant s’appuie sur des archives peu connues ainsi que sur les souvenirs et analyses des témoins de l’époque : Mikhaïl Gorbatchev, Alberto Franceschini, l’un des fondateurs des Brigades rouges, mais surtout ses proches et anciens compagnons de route. Parmi eux, l’ancien président de la république italienne, Giorgio Napolitano – décédé peu après ce documentaire –, qui, les larmes aux yeux, rend hommage à son ancien camarade : "Si vous voulez avoir une idée de ce qu’a été et de ce que devrait être la politique, pensez à celle que Berlinguer a pratiquée."

B) Marcel Trillat. « Quand il y avait Berlinguer »

La télévision, si souvent décevante, offre parfois des moments miraculeux, d’une beauté à pleurer. C’était le cas le soir du 15 décembre sur Arte. Deux documentaires diffusés coup sur coup, comme si, l’espace d’une soirée, s’affrontaient sous nos yeux le pire et le meilleur de cette espèce paradoxale  : l’humanité. On venait de subir, accablés, les aboiements de haine de l’auteur de Mein Kampf et, sans transition, comme pour nous consoler, comme pour nous dire  : «  Attendez, ne perdez pas espoir, l’espèce humaine n’enfante pas que des monstres assassins de masse. Elle a parfois le visage d’un ange  !  »

En une heure, Walter Veltroni faisait revivre l’un de ces êtres qui semblent avoir été touchés par la grâce, Enrico Berlinguer, secrétaire général du Parti communiste italien, symbole inoubliable de cet «  euro-communisme  » qui enchanta tellement notre jeunesse. Autre paradoxe, cet homme admirable avait fait son apparition en Italie une poignée d’années après la mise hors d’état de nuire de l’autre monstre qui galvanisait les foules en hurlant lui aussi à la mort, Benito Mussolini, l’inventeur du fascisme.

Difficile d’imaginer deux hommes, enfantés par la même nation, la même civilisation, plus opposés que ces deux-là  : le matamore bouffi d’orgueil, brutal et sans pitié, et l’humaniste timide, nageant dans ses costumes, provoquant l’adhésion et l’affection de milliers de ses concitoyens grâce aux seules armes de son charme, de son intégrité, de son intelligence, de sa force de conviction, de sa main tendue fraternelle. Défenseur des humbles, ami des artistes, bête noire des Américains, des services secrets à leur solde et de la fameuse loge P2, c’est aussi un démocrate intransigeant et courageux qui n’hésite pas à faire l’apologie de la liberté, à Moscou, en plein congrès du Parti communiste soviétique, sous le regard glacial de Leonid Brejnev, qui vient tout juste d’envoyer ses chars mater à Prague les partisans du «  socialisme à visage humain  ».

Je sais, je sais, pour un marxiste «  il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun  », et ce sont les peuples qui décident de leur destin, pas les leaders, si charismatiques soient-ils. Parfois, pourtant, il y a comme un état de grâce entre les uns et les autres, fait de respect mutuel, étranger à toute manipulation. Enrico Berlinguer était l’ami de Salvador Allende et ce n’est pas par hasard. La dernière séquence du film tire les larmes. Berlinguer est en campagne électorale à Padoue. Il va jusqu’au bout de son dernier discours qui se termine par un hommage vibrant aux femmes luttant pour leur émancipation. Ivre de fatigue, il vacille sous les encouragements de la foule  : «  Enrico  ! Enrico  !  » Dans quelques heures, il va mourir dans sa chambre d’hôtel. Les images de ses obsèques à Rome sont bouleversantes. Tout un peuple en larmes, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des prolétaires, des intellectuels. Près du cercueil, un homme effondré, Marcello Mastroianni.

Quelques années plus tard, j’étais correspondant de France 2 à Rome. François Mitterrand est venu passer quelques jours de vacances en Toscane. À ma grande surprise, les premiers à venir se prosterner devant celui qu’on surnommait «  le Florentin  », dont l’excellent film de William Karel montrait, la veille justement sur France 2, à quel point il était la parfaite antithèse d’Enrico Berlinguer, furent ses successeurs – Occhetto, D’Alema – qui s’apprêtaient à faire du grand PCI un petit parti démocrate à l’américaine, converti sans état d’âme au plus pathétique des libéralismes. Berlinguer était bien mort. Deux fois  !

Guillaume CLEMENT, L’Humanité

Faire retrouver au communisme son fondement démocratique

Né le 25 mai 1922 en Sardaigne, celui qui en deviendra
le secrétaire général de 1972 à sa mort, le 11 juin 1984, adhère au Parti communiste italien (PCI) en 1943 en même temps qu’il participe à la résistance antifasciste. Élu au Comité central en 1948, Enrico Berlinguer est nommé par Palmiro Togliatti responsable des jeunesses communistes italiennes en 1949. Élu député en 1968, 
il critique lors d’un congrès à Moscou l’invasion de 
la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques pendant 
le printemps de Prague. «  Nous voulons parvenir 
à réaliser, dans l’Occident européen, un modèle économique, social, étatique, qui ne soit plus capitaliste mais qui ne recopie aucun modèle et ne répète aucune des expériences socialistes jusqu’ici réalisées, et qui,
en même temps, ne se réduise pas à exhumer des expériences de type social-démocrate, lesquelles se sont limitées à la gestion du capitalisme  », déclara-t-il dans 
un entretien à la Repubblica daté du 2 août 1978 intitulé «  L’identité du PCI ». «  Berlinguer voulait que le PCI 
se réapproprie pleinement la représentation de classe  », écrit Guido Liguori, dans Berlinguer rivoluzionario. 
Ses héritiers politiques, qui poussseront à la dissolution du PCI en janvier 1991, liquideront son héritage 
en se mettant à la remorque du réformisme libéral.


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