Patrons, salariés : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (Jean de la Fontaine)

dimanche 31 janvier 2016.
 

- A) Cette conclusion de la fable « Les Animaux malades de la peste » est applicable à la décision de justice concernant Goodyear

- B) « Pour les magistrats, ces patrons sont “des gens biens” » Christophe Baumgarten (avocat spécialiste en droit du travail)

Prison ferme pour les syndicalistes de Goodyear : consternation ! colère ! dégoût ! Inacceptable ! Ignoble !...

Une grande société licencie les salariés qui ont contribué à faire sa fortune, ferme l’entreprise plongeant dans le désarroi et la difficulté des centaines de familles, aggravant la situation du bassin d’emploi.

Parmi ces salariés un certain nombre perdent tout, ne peuvent plus faire face à leurs échéances de prêts, d’autres se suicident, mais le tribunal d’Amiens condamne ceux qui se sont le plus ardemment défendu à neuf mois de prison. Oui, neuf mois embastillés.

Oui, alors même que finalement les responsables de l’usine et les cadres qui ont été « séquestrés » lors d’une action réclamant des négociations avaient retiré leur plainte.

Pendant ce temps-là des corrupteurs et des corrompus courent toujours, des violeurs ont des peines moindres, et ceux qui cachent leurs capitaux contre les intérêts nationaux et généraux sont protégés.

Ceci suffit.

L’Humanité mène campagne pour la relaxe de ces travailleurs syndiqués.

Il devient urgent de se mobiliser.

Il le faudra pour défendre toutes les libertés.

Patrick Le Hyaric, eurodéputé du Front de gauche

B) « Pour les magistrats, ces patrons sont “des gens biens” » Christophe Baumgarten (avocat spécialiste en droit du travail)

Avocat au barreau de Bobigny et spécialiste en droit du travail, Christophe Baumgarten fustige le « deux poids, deux mesures » de la justice entre employeurs et employés.

Salariés et patrons sont-ils égaux devant la justice  ?

Christophe Baumgarten À l’évidence, non. Tout ce qui permet l’expression individuelle et collective des salariés et leur résistance, obtenu au cours de l’histoire, reste encore bien léger par rapport au pouvoir patronal. Et cela commence par l’accès à la justice. Pour un employeur, la question du coût de la défense ne se pose pas, car c’est la caisse de l’entreprise qui finance les frais de justice. Le salarié, lui, paye de sa poche. Ce qui, quand on vient d’être licencié, n’est jamais évident.

Plusieurs cas de séquestration par des patrons n’ont pas été condamnés comme les huit de Goodyear. Deux poids, deux mesures  ?

Christophe Baumgarten Certainement. Peut-on même parler de séquestrations dans l’affaire Goodyear  ? Je ne le pense pas. Les cadres de direction sont des interlocuteurs habituels des représentants du personnel  ; ceux-ci voulaient poursuivre un dialogue alors que les premiers ne le voulaient plus. C’est ça, le contexte. Et surtout, il n’y a pas eu de violence, ce que les cadres ont reconnu. D’ailleurs, ils ont retiré leurs plaintes.

Justement, comment expliquez-vous ces poursuites engagées par le parquet  ?

Christophe Baumgarten Il s’agit clairement d’une décision politique, qui s’inscrit dans un contexte précis, avec la réduction récente des peines pour les délits d’entrave des employeurs, ou l’exclusion des conflits collectifs du travail des dernières lois d’amnistie. Il y a vraiment, d’un côté, la volonté de criminaliser l’action syndicale, y compris en poursuivant des faits qui ne le méritent pas, et, de l’autre, celle d’exonérer de toute responsabilité pénale des employeurs qui, pourtant, peuvent avoir des choses à se reprocher.

Dans votre pratique d’avocat, constatez-vous ce « deux poids, deux mesures »  ?

Christophe Baumgarten Oui, avec les accidents mortels du travail. Nous avons des affaires provoquées par des fautes avérées de l’employeur, des manquements dans les règles élémentaires d’hygiène et de sécurité. Or, les responsables n’ont pas fait un jour de garde à vue ou de détention. Et tout le monde sait qu’à l’issue du procès pénal, ils écoperont, au pire, de sursis. Pourtant, ce qui leur est reproché est bien plus grave qu’une chemise arrachée ou que le maintien sans violence d’un cadre dans les locaux de son entreprise  !

La délinquance en col blanc n’aurait donc rien à craindre de la justice…

Christophe Baumgarten Pas grand-chose, en effet. Regardez l’histoire du fichier des fraudeurs fiscaux  : on s’est empressé de leur promettre une absence de poursuites s’ils acceptaient de payer leurs arriérés. Et quand poursuites il y a, c’est presque toujours devant le tribunal administratif, et non au pénal. Et quand c’est au pénal, les peines prononcées ne sont pas de la prison ferme. Officiellement parce que la personnalité des auteurs ne serait pas criminogène, ou susceptible de récidive. En réalité, parce que, pour les magistrats, ces patrons sont « des gens biens », au contraire des syndicalistes.

Il y aurait donc une justice de classe…

Christophe Baumgarten Oui. Si on regarde les faits de l’affaire Goodyear, rien dans l’action des syndicalistes ne peut justifier cette peine de prison ferme. Les causes sont donc ailleurs  : la connivence entre des gens du même milieu, mais aussi, chez les magistrats, une grande méconnaissance du monde de l’entreprise, et de la violence sociale qui s’y exerce.

Entretien réalisé par Alexandre Fache, L’Humanité


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